Une maison d’édition numérique pour la francophonie?

Jean-François Fueg, Responsable du Service de  la Lecture publique, réagit à l’intervention de Marc Quaghebeur, directeur des Archives et Musée de la Littérature,  aux « Assises du Lire au Livre » organisées par la Province du Luxembourg, le 4 octobre 2011.

Les Français pourront-ils accepter un jour de devenir francophones ? C’est par cette interrogation provocatrice que Marc Quaghebeur a débuté son exposé consacré à l’avenir de l’édition littéraire en Wallonie et à Bruxelles.

Au fond, nous avons intériorisé une conception qui fait de Paris le centre unique de la sphère culturelle de langue française et repousse à la périphérie toutes les voix particulières. Marc Quaghebeur remarque que les autres langues impériales n’ont pas eu cette volonté castratrice. L’Amérique latine, les Etats-Unis participent au mouvement littéraire hispanophone, lusophone ou anglophone.

Le fait que toutes les francophonies acceptent la suprématie parisienne conduit à un modèle dans lequel nous construisons exclusivement des relations bilatérales. A l’heure des réseaux, tout se passe comme si Paris restait la seule référence possible.

Historiquement, plusieurs occasions ont été manquées. Si le XIXe siècle belge a vu l’émergence d’un milieu littéraire très brillant et composé d’écrivains issus de la grande bourgeoisie, aucun d’entre eux ne s’est lancé dans l’édition littéraire à vocation commerciale. On a manqué d’un Gallimard. Et lorsqu’après 1914, la Renaissance du Livre et Labor sont créées pour assumer la production littéraire francophone de Belgique, l’ancrage est essentiellement local.

Dans le même temps, on a assisté au développement de l’édition de la bande dessinée, assuré par des maisons anciennes, en particulier Casterman. Selon Marc Quaghebeur, c’est parce que le milieu de l’édition parisienne ne daignait pas se pencher sur les paralittératures que cet essor a été possible.

Au moment de la communautarisation, les francophones de Belgique se sont dotés d’outils de promotion de leur littérature. Un important corpus patrimonial a été constitué, en particulier à destination des écoles. Mais ici encore, le projet a été contrarié par le marché français qui rééditait systématiquement les titres d’Espace Nord qui auraient pu connaître le succès public.

Dans le même ordre d’idée, le cas de la collection Babel est intéressant. Il s’agissait de soutenir la littérature francophone. Le projet qui associait une maison française, Actes Sud, et les éditions Labor a débuté avec la Belgique et a largement été soutenu par la Communauté française. Marc Quaghebeur déplore que le projet financé largement par le contribuable belge, n’ait pas empêché Actes Sud de se l’approprier à la première occasion. Il lui semble donc hasardeux de tenter une collaboration avec des éditeurs français qui nous méprisent. Au final, ces alliances n’ont conduit qu’à des absorptions, des pertes d’identité et des disparitions. Le cas de Marabout, jadis fleuron de la littérature populaire belge et relégué aux pages pratiques du catalogue d’un grand groupe est très parlant.

Il existe toutefois des contre exemples. Lansman éditeur en est un. La petite maison devenue éditeur de référence en matière de théâtre a pu se faire une place. Mais il faut noter que, hors des domaines un peu spécialisés comme la poésie ou le théâtre, cela reste extrêmement difficile d’exister.

Pour Marc Quaghebeur, il n’y a qu’une seule option réaliste. Il faut créer des maisons francophones non françaises. Nous disposons d’un corpus francophone fantastique qui provient des cinq continents et brasse les cultures mais qui ne peut émerger en raison du jacobinisme parisien. Comment sortir de ce rapport de force ? Il faut inventer des circulations francophones plurielles qui permettent à un Québécois d’être édité à Alger, à un Belge de l’être à Kinshasa et à un Sénégalais à Genève.

Pourquoi est-ce que cette invention d’une structure éditoriale échappant à Paris semble impossible ? La faiblesse de la francophonie institutionnelle est en cause. L’invention des francophonies, conclut Marc Quaghebeur, ne passera pas par des discours mais par des actes et il en appelle à une intervention forte des pouvoirs publics qui pourraient prendre en charge la création d’une maison de référence.

Si l’analyse historique est tout à fait intéressante, les propositions politiques qui en découlent semblent datées. Autant le rêve d’une grande maison d’édition alternative pouvait paraître envisageable il y a vingt ans, autant il est hasardeux aujourd’hui, à l’heure de la concentration éditoriale grandissante et de la mainmise de quelques groupes sur la distribution et la diffusion.

En revanche, un projet prenant en compte les récents et futurs développements de l’édition électronique pourrait certainement trouver sa place dans le paysage éditorial francophone. Anticiper l’édition de demain au service d’un projet politique plutôt que de réagir avec les armes de concurrents forcément trop forts pour nous est peut être une clé pour sortir enfin de la constatation démoralisante faite par Marc Quaghebeur.

— Vincianne D'Anna

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