Les Editions ONLIT ou comment passer de la revue de création littéraire à la maison d’édition numérique ?

Les Editions onlit.be sont avant tout une revue de création littéraire. Néanmoins, en 2012, ils deviendront le premier éditeur littéraire 100% numérique en Belgique francophone. Qui, comment, pourquoi… ce sont les questions auxquelles a répondu un des deux membres du projet, Pierre de Mûelenaere.

Pierre de Mûelenaere : ONLiT a été lancé en 2006 par Benoit Dupont et moi-même.  Nous nous sommes rencontrés à cette époque-là. Benoit est écrivain sous le pseudonyme de Edgar Kosma (www.edgarkosma.com) et de mon côté, j’étais à cette époque et depuis plusieurs années, libraire chez Graffiti à Waterloo. Tous deux férus de nouvelles technologies et de littérature, nous avons réfléchi aux possibilités que nous offrait ce qui commençait à être l’Internet dit 2.0 :  un réseau participatif, un moyen extraordinaire de toucher en direct le lecteur,  de lui mettre le texte dans la main, de créer un pont entre l’auteur et son lecteur.

Au fil du temps, la formule a connu plusieurs évolutions pour parvenir à notre formule actuelle, avec pour constante, dès le début, de privilégier la forme courte.

En quoi consistent exactement vos activités de revue de création littéraire ? Et quel type de retour avez-vous connu ?

Pierre de Mûelenaere : Notre activité de revue littéraire en ligne, dans sa forme actuelle, est la suivante : nous publions tous les quinze jours sur notre site www.onlit.be un texte court de maximum 8.000 signes, qui est accessible librement au lecteur. A chaque publication, nous effectuons une communication via mailing et réseaux sociaux. Les lecteurs peuvent ainsi venir le lire sur leur écran et le partager s’il leur a plu. Une dimension intéressante de cette proximité entre  l’auteur et le lecteur est la possibilité de laisser des commentaires. Cela fonctionne très bien et nous assistons régulièrement à des échanges entre lecteurs mais aussi entre les lecteurs et l’auteur. Cette interactivité est, je pense, très enrichissante pour les uns comme pour les autres. L’auteur travaille de manière solitaire et, hormis séances de signatures un peu ritualisées, est souvent privé de ce rapport très immédiat avec le lecteur. Ici l’échange est direct voire instantané !

Dernièrement, la publication d’un texte de Laurent Sagalovitsch intitulé La Facture de Gaz a provoqué quelques remous. On a pu lire en commentaire « A quoi ça sert ce texte? » Par la suite, on a vu des lecteurs y réagir, répondre. L’auteur lui-même prend part à la discussion. Les gens ont commencé à dialoguer, échanger sur la question de la fonction de la littérature : doit-elle servir à quelque chose ? Si oui, à quoi ? Don Quichotte sert-il à quelque chose ? Vous vous doutez que nous trouvons ce genre d’échanges passionnants.

ONLIT en quelques chiffres ?

Pierre de Mûelenaere : Au fil du temps, nous avons créé un réseau dense, une communauté de lecteurs et d’auteurs. Notre mailing est envoyé à plus de 20.000 adresses e-mail, le site compte plus de 25.000 visites mensuelles, le texte le plus lu 8000 clics à ce jour, plus de 500 commentaires, 620 abonnés à la page facebook et presque autant sur notre compte twitter, mais aussi à ce jour 90 textes disponibles et 70 auteurs publiés de tous les horizons : connus ou en devenir, jeunes et moins jeunes, belges, français, québécois, etc.

Pourquoi avoir décidé d’élargir le champs des activités à de l’édition numérique ?

Pierre de Mûelenaere : Il nous a semblé que le moment est propice de passer à l’édition numérique. Certes, le taux d’équipement des lecteurs en liseuses et tablettes est encore très faible en Belgique francophone, certes le marché du livre électronique est encore mince. Mais d’un autre côté, nos oeuvres numériques seront disponibles dans toute la francophonie. Il nous semble crucial de prendre une place, développer un savoir-faire, de construire et d’installer une présence, d’offrir aux auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles un espace, une fenêtre dans le numérique.

Après de nombreux contacts « virtuels », nous avons eu le plaisir de rencontrer François Bon il y a peu. François Bon est écrivain mais également fondateur la plateforme Publie.net (www.publie.net), un « penseur » du livre de demain (Lire notamment Apres le livre, Seuil et Publie.net). Il fédère autour de lui les initiatives en francophonie autour du l’édition numérique et est à ce titre un véritable modèle pour nous. J’ai été frappé par un dialogue tenu entre lui et Beigbeder autour du livre électronique et récemment publié par L’Express. A l’auteur de 99 francs fervent « défenseur » du livre papier, l’éditeur numérique répond « Cette discussion a déjà eu lieu quand les locomotives et les tramways ont pris la place des chevaux. Elle a déjà eu lieu au moment du livre imprimé, alors qu’on lui reprochait sa fragilité par rapport aux supports précédents. Mais où sont les usages aujourd’hui? Puisqu’on est tout le temps dans l’ordinateur, il faut apprendre à en faire un usage critique. Comment va-t-on lui ajouter cette voix humaine qui est justement la littérature? « 

La question n’est en fin de compte pas de savoir si on va aller dans le numérique ou pas, ni si on va aller dans le numérique ou dans le papier. Le fait est que l’on est dans le numérique. La question c’est de savoir si on est en mesure d’y construire une place pour la littérature. Une place pour nos auteurs, pour nos lecteurs. C’est entre autres à nous, éditeurs, qu’il convient de travailler pour créer cette place, de travailler pour que le texte puisse vivre dans le numérique. A très petite échelle, c’est ce que nous faisons par le biais de notre revue en ligne. C’est à présent ce que nous voulons faire encore d’avantage en créant ONLiT Books.

Comment avez-vous réussi à accueillir des auteurs comme Patrick Delperdange et Jacques Mercier dans une maison d’édition 100% numérique ?

Pierre de Mûelenaere :Depuis le début, nous avons constaté que les auteurs qui acceptent de jouer le jeu avec nous (qu’ils soient reconnus comme Nicolas Ancion, Patrick Delperdange, Jacques Mercier… ou totalement inconnus) sont principalement des écrivains qui ressentent au minimum une curiosité et au mieux une affinité pour le numérique, le développement des nouvelles technologies, les réseaux sociaux. De ce fait, ils ont accepté  de participer à l’aventure ONLiT. Et il s’agit réellement d’une aventure, car à ce stade il y a foule d’incertitudes. Chacun des auteurs qui a publié dans notre revue en ligne, chacun des auteurs qui publiera dans ONLiT Books est un auteur qui fait avec nous le pari d’un modèle d’édition qui en est à ses débuts. Nous pensons que le numérique n’est pas un danger mais bien une formidable opportunité. En partageant cela, il se crée de facto entre les auteurs ONLiT et nous-mêmes comme une complicité, comme un parfum de comploteurs, une excitation que nous partageons à propos du futur du texte et de sa diffusion.

De quel modèle vous êtes-vous inspiré ?

Pierre de Mûelenaere : Avant tout, il faut préciser une chose à propos d’une crainte que l’on entend souvent : Internet et le numérique ne signifient pas une baisse de la qualité du travail sur le texte. Tout dépend du travail et du professionnalisme de l’éditeur et non du support.

Au-dela de ça, comme expliqué plus haut, la maison qu’a créée François Bon (www.publie.net) est pour nous un modèle : absence de DRM, prix bas déterminé par le processus numérique et non pas déterminé par un prix de vente « papier ». Notre modèle n’est pas une « traduction » d’un modèle papier au format numérique. Nous essayons de développer en fonction de ce que nous connaissons, avons appris au sein du digital, quelque chose qui soit « nativement » numérique.

Il va de soi que nous avons énormément de respect pour les éditeurs papier. Ils ont publié les livres qui nous ont fait aimer la littérature. Ils ont propagé avec leurs moyens ce texte qui est pour nous le point central. Simplement, quand un éditeur papier nous décourage de vendre un livre numérique à 4 euros, on se demande s’il s’agit d’arguments honnêtes ou si le but n’est pas de protéger son activité. Nous pensons pouvoir vendre un livre à 4 euros et à ce prix péreniser notre activité et rémunérer l’auteur. Au-dela du coût lié à la distribution, l’auteur et l’éditeur sont rémunérés à part égale avec des perspectives qui seront grandissantes, des livres dont la disponibilité est assurée, des livres qu’on pourra se procurer aux quatre coins de la planète.

Il y a l’effet « applications » qui est notable également. Je m’explique : Apple a créé pour ses appareils mobiles (ipad, ipod, iphone, etc.) le modèle Appstore. Il s’agit donc d’une bibliothèque d’applications, de software, de logiciels vendus à des prix très bas. Plutôt que de vendre des logiciels à prix élevés, ils ont fait le pari (gagné) d’en vendre à des prix très bas. Cela a provoqué une augmentation globale des ventes car d’une part le clic est plus facile à obtenir de la part du consommateur et d’autre part l’équipement en tant que tel s’est peu à peu généralisé. C’est un modèle nouveau.

De la même manière, la vente de mp3 titre à titre a explosé depuis l’avènement d’itunes et consorts. On peut le déplorer ou non, il n’empêche que nous pensons nous aussi offrir des « livres » numériques plus courts, parfois quelques nouvelles, à très bas prix. Cela pour correspondre à des besoins particuliers. Des besoins pour lesquels des collections papier comme les Folio à 2 euros ont vu le jour. La différence c’est que le livre électronique est accessible en wifi, en un clic, dans le wagon de train, dans la zone d’attente de l’aéroport, dans la file au bureau de poste, au milieu d’un embouteillage, etc.

C’est également pour ce type de raison que vous avez choisi de travailler sans DRM?

Pierre de Mûelenaere : Oui, le fait de travailler sans DRM est lié au fait de proposer des prix bas, prix numériques, et au fait de faire confiance au lecteur. Il est certain que l’éditeur qui veut vendre du numérique à 15€ sera plus sujet à la piraterie que celui qui vend des ebooks à 2,99€. Nous choisissons donc de faire confiance aux lecteurs et ne sommes pas contre le fait qu’un lecteur puisse « prêter » un livre acheté.
Il se dégage actuellement un consensus pour libérer les fichiers des DRM. De la même manière qu’on ne peut pas lutter contre le piratage audio. Plutot le seul moyen de lutter contre est de créer des conditions pour obtenir le fichier qui soit plus simple et qui rende la gestion du fichier plus aisée dans un environnement multipliant les terminaux de lecture (ordinateur, téléphone, ipad, autoradio, etc.) La gestion du fichier est centralisée dans ce qu’on appelle désormais le « cloud ». Le lecteur devient un simple terminal connecté au réseau en permanence et synchronisant les différents terminaux. Pour l’audio, c’est le modèle Spotify dont on parle beaucoup actuellement. Ce type de raisonnements, liés à la gestion des différents terminaux, va immanquablement apparaitre pour le livre numérique. C’est déjà en cours avec la gestion synchronisées des ouvrages quant à la dernière page lue : si je quitte tel ouvrage sur mon l’application Kindle de mon ipad, je le retrouve à la même page sur mon Kindle. Ce type d’environnement sera sans doute, bien plutot que les DRM, ce qui protègera le livre électronique du piratage.

Allez-vous garder volontairement le « flou de la ligne éditoriale », comme vous vous en défendiez pour le site internet ?

Pierre de Mûelenaere : D’abord je dirais que c’est l’éditeur qui fait la maison d’édition. Et que la ligne éditoriale est l’addition des textes publiés par un éditeur. Le comité de lecture de ONLiT Editions est donc composé de Benoit et moi-même. Depuis cinq ans, nous lisons l’un et l’autre chaque proposition de textes envoyée. C’est un travail passionnant qui a abouti à de nombreuses découvertes. Nous publions donc ce que nous aimons, ce qui nous fait rire, ce qui nous touche… Pas de raison de changer de méthode pour les projets d’ebooks que nous recevrons pour ONLiT Books. Le résultat est une ligne de fiction contemporaine, francophone et volontiers décalée. Mais nous aimons surprendre !

— Vincianne D'Anna

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