Dossier BD – partie 2 : Les challenges des éditeurs

Après avoir esquissé un rapide tour d’horizon dans notre dossier spécial BD numérique paru la semaine dernière, nous nous penchons cette fois sur les nombreux challenges auxquels l’éditeur de bandes dessinées numériques doit faire face.

Les réalités économiques des « Comics », comme les surnomment nos voisins anglophones, sont loin d’être claires et définies. En l’absence de grand modèle économique viable, il n’est pas simple pour les acteurs de se positionner sur ce marché. Malgré la crainte légitime d’un échec potentiel, nombreux sont ceux qui se lancent dans cette grande aventure pour ne pas se faire dépasser par les usages, en constante évolution, des internautes-amateurs de bandes dessinées.

Impératifs technologiques : les formats
Bien que la majeure partie des exemplaires des albums en vente sur le net soit de simples transpositions PDF des originaux papiers, d’autres formats existent. Ils sont le plus souvent des agglomérats de fichiers compressés contenant les pages d’une bande dessinée (sous forme d’images GIF, JPEG, BMP): le Comic Book RAR (.cbr), le Comic Book Zip (.cbz) ou encore le format spécifique aux BD numériques – surtout les mangas japonais qui sont à l’origine monochrome – sur les e-readers de Sony (.book). Afin de pouvoir feuilleter librement les pages de la bande dessinée, le lecteur devra se munir d’un logiciel capable d’ouvrir tous les fichiers conjointement.

Le droit d’auteur : les droits numériques
De plus en plus fréquemment, les éditeurs prévoient des clauses relatives à la cession des droits numériques dans les contrats qu’ils font signer à leurs auteurs. Celles-ci sont devenues monnaie courante et apparaissent dès le début des négociations pour faciliter une éventuelle déclinaison sur les supports numériques. L’auteur pourra cependant choisir de ne pas les céder. Mais à l’heure actuelle, de plus en plus de bandes dessinées font l’objet d’une publication simultanée : papier et numérique – avec des fichiers PDF ayant déjà servi à la réalisation des albums-objets. Par ailleurs, l’un des défis des éditeurs actuels consiste également à faire signer des avenants au contrat à leurs auteurs pour acquérir leurs droits numériques.

Les utilisateurs
Les avis convergent à ce sujet : d’un côté, l’on retrouve une communauté enthousiaste et ouverte à toutes nouvelles initiatives dans ce domaine ainsi qu’énormément de blogs de dessinateurs de BD pas ou peu connus, mais qui méritent de l’être, de l’autre certains éditeurs assurent ne pas encore rencontrer leurs publics. Ces derniers expliquent cette tendance momentanée notamment par le fait que le peu de lecteurs (on pointe la jeune génération) qui pourraient être intéressés ne disposent pas d’un pouvoir d’achat suffisant pour commander en ligne, mais aussi parce que les collectionneurs (génération plus âgée) préfèrent acheter l’objet livre plutôt qu’un contenu digital.

Le piratage
Comme abordé précédemment dans un article du 27 janvier, le piratage semble sévir davantage dans le secteur des bandes dessinées numériques que dans celui des ebooks selon une étude du MOTif. D’une part, les excellentes contrefaçons en circulation sur la Toile participent au succès illégal. Ces dernières ont d’ailleurs le plus souvent bénéficié d’une attention particulière de la part des passionnés du genre. Bien plus, du point de vue purement technique, il semblerait qu’il soit plus facile de scanner des bandes dessinées que des livres, car elles ne nécessitent pas autant de travail en amont.

Ce qui est sûr c’est que des démarches pour trouver des solutions voient le jour : tentatives de diminution du prix, le système de prêts/locations, les nouvelles façons de passer d’une illustration à l’autre… Mais rien, jamais, ne permettra de contrer cette affirmation : « Les pirates ont toujours une longueur d’avance ! ».

Mais qu’en pensent les éditeurs traditionnels ? L’interview en trois questions d’Olivier Comanne, chef de fabrication aux Éditions Casterman

Quelle est, à ce jour, l’offre numérique que proposent les Éditions Casterman ?
En partenariat avec Apple, les Éditions Casterman ont développé l’application de Bilal qui permet une lecture case à case agrémentée des textes ou d’une narration orale et de nombreux bonus tels que des vidéos et autres. Parallèlement, nous avons transposé les formats PDF de la majeure partie de notre catalogue d’albums sur le portail de ventes en ligne Iznéo.

Comment percevez-vous l’offre numérique ? Complémentaire ou concurrente à l’offre papier ?
Actuellement, l’offre numérique ne détient pas un grand poids économique, aussi je la vois plus comme un moyen complémentaire que concurrent à l’offre papier. Indéniablement, elle améliore la visibilité du catalogue et fait office de vitrine.

Comment réagissent vos auteurs à cette montée du numérique ?
Il y a plusieurs cas de figure, je dirais. Certains sont très enthousiastes et sont emballés à l’idée de travailler sur des projets interactifs créés directement pour le numérique. D’autres sont tout à fait d’accord de nous céder leurs droits d’exploitation et nous pouvons procéder alors à la numérisation de leurs albums. Enfin, certains auteurs préfèrent rester propriétaires de leurs droits soit pour les exploiter eux-mêmes ou tout simplement parce qu’ils ne sont pas convaincus par le numérique.

Au final, nous essayons de proposer le plus grand nombre possible de titres au format numérique : pour quelques pans du catalogue, un certain nombre de nos nouveautés paraissent directement sur Iznéo par exemple. A terme, nous visons la mise à disposition de notre fonds. Mais, pour tous les albums, nous sommes obligés de procéder au cas par cas puisqu’on ne peut rien faire sans l’autorisation des auteurs. Numériser l’ensemble de notre fonds dépend clairement de ces accords.

Vous l’aurez compris, la BD numérique n’en est qu’à ses prémices. Les challenges sont nombreux certes, mais risquent d’être passionnants…

J.N.

http://www.izneo.com/

— Stéphanie Michaux

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Stéphanie Michaux

Digital publishing professional