Le défi technique de la poésie à l’ère numérique

L’offre en matière de poésie anglophone dans la boutique d’e-books d’Amazon, bien que restreinte, a le mérite d’exister. Néanmoins, le lecteur prêt à passer à l’achat est confronté à des commentaires pour le moins, peu encourageants. Quelques exemples :

  • À propos d’une édition bilingue de Baudelaire : « C’est un chaos illisible. Les versions françaises et anglaises sont toutes mélangées. Ne pas acheter. »
  • A propos d’une collection d’une poétesse moderniste : « Mlle Moore: infailliblement brillante. Les éditeurs de P—? Pas tellement. »
  • A propos d’un poète parmi les plus appréciés de la moitié du XXe : « Ca m’étonne qu’un éditeur aussi réputé que K— permettra un produit fait avec une telle négligence d’arriver sur le marché… »

J’imagine que ces éditeurs – dont j’ai supprimé les noms, mais qui sont bien connus – ont suivi un raisonnement des plus simples : le lectorat de la poésie est tellement petit qu’il ne vaut pas la peine de payer pour une bonne numérisation. Si le résultat est laid, presque personne ne s’en apercevra. Sérieusement ?

Une question de prestige

Rappelons d’abord pourquoi des éditeurs publient la poésie. Si ce n’était que pour l’argent, ils l’auraient délaissée dès l’époque d’Apollinaire et Yeats. L’enjeu ne se limite pas à la simple question de ventes : les renommées de Gallimard à Paris, de Farrar, Strauss and Giroux et de New Directions à New York, ne se sont-elles pas construites en partie grâce aux poètes ? Publier des versions de textes poétiques de piètre qualité va donc au-delà d’un simple mépris pour quelques lecteurs. Cela démontre qu’une fois entré dans le monde numérique, le prestige leur importe peu. Ce n’est sans doute pas le meilleur signe à envoyer à ses lecteurs.

Des réponses techniques

Passons au comment. Il n’est pas si difficile de mettre en page la poésie pour un livre numérique, mais il faut faire attention à quelques questions qui ne se posent pas pour la prose. Chacune d’entre elles nécessite une certaine réflexion préalable ainsi que du travail en amont sur le texte.

  • les strophes – sans ses divisions strophiques, un poème n’a pas de sens. La manière la plus simple de les préserver est bien entendu d’observer un retour à la ligne : l’omniprésent <br> de l’HTML. Mais cela présente des inconvénients, et il vaut mieux identifier les strophes elles-mêmes, et les entourant  d’une balise <div class=’strophe’>. Après, l’espace interstrophique peut être défini à part dans la feuille de style. On passe déjà de

    à
  • l’alinéa – la position des mots sur la page est également essentielle. Ici on est presque obligé de définir soit des balises « vides » d’espacement, tels <span class=‘alinea’>&nbsp;</span>, soit de définir des classes pour des vers avec des marges à gauche:
  • les retours à la ligne – jusqu’ici tout va bien… mais rappelons qu’en numérique, un lecteur peut ajuster la taille de police de son livre. Qu’advient-il alors quand il choisit une taille beaucoup plus grande ?

    Il est temps de considérer alors les retraits négatifs ou bien d’autres solutions adaptées au poèmes en question :
  • le Saint-Graal – Enfin, une devinette pour les amateurs de CSS (sans tricher en consultant la blogosphère). Comment faire centrer le bloc d’un poème selon la longueur de son vers le plus long ?

Ces quelques précisions techniques devraient pouvoir permettre d’améliorer fortement la qualité de certains textes, ainsi que d’assurer le prestige littéraire de l’éditeur.

Nathaniel Rudavsky-Brody

Retrouvez Lettres Numériques sur Twitter et Facebook.

— Rédaction

Share Button

One thought on “Le défi technique de la poésie à l’ère numérique

  • 12/03/2013 at 23:48
    Permalink

    « Enfin, une devinette pour les amateurs de CSS (sans tricher en consultant la blogosphère). Comment faire centrer le bloc d’un poème selon la longueur de son vers le plus long ? »

    Si ce sont les solutions simples qu’on utilise pour le web auxquelles je pense, elles créent un énorme bug d’affichage sur le RMSDK Adobe… (Donc les liseuses et 95 % des apps du marché).

    Ça fait depuis 2008 que les développeurs cherchent une technique qui fait le job partout pour EPUB… Et à part tricher comme un goret niveau CSS et HTML, toujours avec des contreparties plus ou moins grandes, c’est un peu le Saint-graal, effectivement, mais dans le sens où personne ne l’a jamais trouvé.

    Donc si quelqu’un le trouve, que c’est viable et que ça fonctionne vraiment partout sans créer de gros bugs nulle part, va falloir qu’il explique.

Laisser un commentaire