Monde : l’infrastructure numérique se développe

Le livre numérique a pris son envol dans le monde anglo-saxon. Il fait doucement son trou sur le vieux continent européen. Mais où en est-il dans les pays en voie de développement ? Dans ces pays où tant de problèmes subsistent, le livre numérique est, parfois, un début de solution et même un exemple.

Les pays du tiers monde manquent de routes, d’hôpitaux, d’écoles, d’infrastructures sanitaires. Les ressources naturelles y ont du mal à assurer la subsistance ; parfois, c’est l’eau potable qui manque. On s’y bat pour vivre décemment… quand on ne se bat pas simplement pour (sur)vivre.

Alors, là-bas (qui n’est pas toujours si loin), les questions qui agitent le petit univers du livre numérique doivent paraître lointaines et futiles.

Pas forcément. Dans certains cas, le livre numérique pourrait bien être une façon de lutter contre l’alphabétisation ou l’isolement.

Octavio Kulesz (voir notre interview de la semaine) a rédigé, pour l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, une étude approfondie sur le développement de l’édition du livre numérique dans les pays du Sud (disponible en version complète ici).

L’infrastructure littéraire numérique dans le monde

Pas de livre numérique sans l’infrastructure qui l’accompagne. Sur base de l’étude d’Octavio Kulesz, voilà quelques particularités, en terme d’infrastructure, d’un monde qui s’ouvre au numérique.

  • L’Amérique latine, le POD et les agrégateurs étrangers

En Amérique latine, c’est le Print On Demand (POD) qui marche fort. Toutes les capitales du continent voient fleurir des spots de POD. Que ce soit au Brésil (Bandeirantes et Singular), en Argentine  (Bibliográfika, Docuprint) ou au Mexique (Publidisa), le POD est plus compétitif que l’impression offset. C’est le modèle numérique privilégié par les éditeurs latino-américains.

Mais les ebooks sont également présents. D’abord par un réseau de librairies traditionnelles : « Ainsi, des librairies comme, entre autres, Saraiva et Cultura (Brésil), Paidós (Argentine), Gandhi (Mexique), Sophos (Guatemala) et Librería de la U (Colombie) commercialisent des fonds comptant des dizaines de milliers d’e-books en espagnol, portugais et anglais, par le biais de leurs portails » écrit Octavio Kulezs.

Et ce n’est pas tout, des plateformes de ventes en ligne ont débarqué ces dernières années. Malheureusement, pour des raisons de langues, elles n’ont accès principalement qu’à des agrégateurs étrangers (européens). La production littéraire autochtone n’est alors que faiblement représentée et difficilement disponible. Des initiatives locales pointent leurs nez pour y remédier (Xeriph au Brésil).

  • L’Afrique à l’heure de la téléphonie mobile

Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, le continent africain n’est peut-être pas le plus en retard. En effet, si la pénétration d’internet est très faible (9,6% en 2010), elle est de 41 pour cent (la même année) pour la téléphonie mobile.

L’Afrique est en effet massivement couverte en télécommunication. Ce sont donc les programmes liés à la téléphonie mobile qui ont le plus de succès. En gros, les Africains pourraient purement et simplement éviter l’étape de lecture sur tablettes ou liseuses (onéreuses et peu disponibles) pour passer directement sur la lecture sur téléphone. MXit, l’un des plus importants opérateurs téléphoniques du continent, propose des m-books (mobile books) accessibles via micro-paiements.

Mais les liseuses, que l’on peut lire sans source de lumière additionnelle et dont l’autonomie est importante, ont aussi une carte à jouer. Là où il est compliqué d’avoir un nombre de livres suffisant pour une classe entière, le format numérique a des arguments.

Wolrdreader, une ONG américaine, dirigée par David Risher (ancien cadre d’Amazon), soutient le développement de la littérature numérique en distribuant des Kindle en Afrique subsaharienne (Ghana, Kenya… ). Certains ont émis l’hypothèse qu’à travers Worldreader, Amazon manœuvrait pour installer sa liseuse dans des marchés à fort potentiel de croissance. N’empêche, 78 000 ebooks ont ainsi pu être distribués.

Ensuite, Worldreader a lancé, en 2012, la version bêta d’une application de lecture numérique sur des téléphones conventionnels (et donc pas « smart ») via un signal mobile.

Le nord du continent et le monde arabe rencontrent eux des difficultés différentes, notamment avec le format ePub. Le sens de lecture, la richesse et la complexité des alphabets arabes ne sont pas évidents à transcrire dans un format aussi rigide que celui-là. Mêmes soucis pour les systèmes de reconnaissances optiques des textes (OCR) qui s’y perdent souvent.

  • La Russie, le livre numérique comme remède contre les vastes étendues

C’est probablement l’un des pays où le livre numérique a un vrai coup à jouer. Depuis toujours, les éditeurs traditionnels sont confrontés à la difficulté de diffuser leurs livres sur toute la longueur d’un territoire russe hors-normes ! Les sites de ventes en lignes, l’impression à la demande et les bibliothèques sont sans doute la solution.

D’ailleurs, d’après idboox.com, Amazon serait, depuis cet été, en négociation avec l’un des principaux éditeurs russes, Rosman, pour la vente d’ebooks, les contenus digitaux étant nettement plus faciles à gérer que de lourds centres de distribution pour la Sibérie.

Le succès est au rendez-vous, toujours selon idboox.com, puisque 70 pour cent de la population russe (50 pour cent des enfants) lit déjà des livres numériques.

  • La Chine, producteur mondial d’e-readers

La Chine, contrairement aux autres pays dont il est question ici, est une puissance industrielle de tout premier plan. Selon le rapport d’Octavio Kulesz, la moitié des appareils à encre électronique sont fabriqués en Chine. Les liseuses les plus utilisées sont des appareils locaux. Même si les machines d’Amazon ou Sony sont fabriquées sur place, elles ne pénètrent pas le marché chinois, notamment à cause de différentes difficultés, spécialement typographiques. Du coup, les Jinke – avec Hanlin, dispositif très populaire, NewsmyNetronix et Hanvon se partagent le marché. La concurrence fait rage… et les prix sont tirés vers le bas. Si chez nous, il existe un vrai débat autour du prix du livre numérique, en Chine, les ebooks sont bien moins onéreux. La chaine de supermarchés Jongdong Mall propose l’accès, pendant trois mois, à mille références, pour trente yuans (soit un peu moins de quatre euros). Un exemple à suivre ?

En 2011, d’après l’Irish Time, vingt-cinq pour cent de la population chinoise serait passée à la lecture numérique. Si le pourcentage lui-même n’est pas plus impressionnant que ça, ramené à l’échelle du pays, cela fait tout de même quelque 330 millions de lecteurs.

Comme en Russie, la conquête des campagnes ouvre de belles perspectives, notamment via les téléphones.

Alors, non, peut-être que le livre numérique n’est pas le développement prioritaire dans ces régions du monde. N’empêche. S’il peut participer à rendre l’accès à la connaissance et à la culture plus aisé, il remplira un rôle fondamental dans la construction de ces pays.

Martin Boonen

@martyboonen

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— Martin Boonen

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