Le marché du livre numérique et la place des bibliothèques publiques (France, Québec, Italie, Espagne, Belgique) – Partie 2

Retrouvez cette semaine la seconde partie du compte rendu à propos du marché du livre numérique et la place des bibliothèques publiques !

Pretnumerique.ca et PNB

Si du point de vue de l’usager, hormis la simultanéité donc, les services proposés au Québec et via PNB sont très proches, les approches en termes d’architecture sont un peu différentes. Si la place de la plateforme de vente du libraire dans les deux systèmes est identique, en revanche c’est une seule société (De Marque) qui centralise les besoins des bibliothèques dans pretnumerique.ca. Pour PNB, la présence des librairies est elle aussi un fondement du projet (avec l’objectif de soutenir les réseaux de librairies indépendantes actuellement en grande difficulté) mais elles ont le choix entre plusieurs prestataires informatiques pour mettre en place leur plateforme de vente d’ebooks aux bibliothèques (même si à l’heure actuelle seul epagine est encore présent) ; elles peuvent aussi mettre en place elles-mêmes cette plateforme, comme l’a fait Feedbooks. La valeur ajoutée du libraire dans cette chaîne devra néanmoins se construire car le conseil de libraire et le suivi des commandes de livres aux distributeurs, piliers essentiels de la valeur ajoutée dans la chaîne papier, sont d’un intérêt moindre pour le numérique.

Les bibliothèques ont elles aussi le choix de leur plateforme dans PNB et deux prestataires occupent actuellement ce marché qui devrait s’élargir : Archimed et De Marque. Trois options tendent à émerger pour cet élément de l’écosystème PNB :

– une plateforme de prêt indépendante, comme cela a été développé à Grenoble, à Lausanne et dans le réseau des bibliothèques publiques belges francophones ;

– une plateforme intégrée à un portail comme cela a été mis en œuvre à Levallois, Aulnay-sous-bois et Montpellier ;

– un module de prêt numérique au sein d’un SIGB, comme cela se développe à Cergy-Pontoise (avec Decalog).

Comme pretnumerique.ca avec des réseaux de bibliothèques rurales, PNB s’est ouvert aux bibliothèques départementales et aux collectivités plus larges comme le réseau de bibliothèques publiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce dernier réseau est d’ailleurs le premier à s’être présenté dans PNB avec un projet collectif. Cette approche coopérative se révèle particulièrement intéressante car, pour le numérique, la dimension territoriale se pose en d’autres termes.

En effet, les petites et moyennes bibliothèques se sentent démunies pour prendre en charge tant le choix, l’acquisition et la mise en place d’une plateforme ou d’un outil numérique que la sélection, l’acquisition et la mise en exergue d’une collection numérique en parallèle de la collection papier, surtout à ressources constantes en cette période d’austérité économique. En revanche, les difficultés fréquemment rencontrées par les « non technophiles » lors de leur lancement (choix d’un outil de lecture, choix d’une application de lecture, création d’un compte Adobe, inscription à la plateforme de prêt,…) nécessitent, pour un large public, un accompagnement en groupe voire personnalisé sur place dans leur bibliothèque. Il s’agit donc d’une approche mixte mettant en synergie les forces de chaque niveau d’action :

  • niveau global (et/ou collectif) pour l’acquisition de l’infrastructure et sa maintenance ainsi que pour l’acquisition des titres et la mise en valeur du catalogue, via un consortium de bibliothèques ayant des missions sur un territoire plus large ;
  • niveau local pour les actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des usagers des bibliothèques.

La promotion du catalogue peut quant à elle être effectuée à la fois au niveau global et au niveau local et idéalement en concertation entre ces deux niveaux.

Il est encore un peu tôt pour se prononcer sur le succès des offres des bibliothèques proposant un catalogue lié à PNB en France, en Suisse et en Belgique, les premières étant apparues il y a seulement 7 ou 8 mois. Il sera en revanche intéressant de faire une évaluation intermédiaire à l’automne, un an après le lancement des premières offres.

Les cas de l’Espagne et de l’Italie

En Espagne, bien qu’il y ait plusieurs offres aux bibliothèques, celle centrée sur la plateforme de vente mise en place par le distributeur majoritaire (Libranda) apparaît significative. Libranda regrette toutefois à ce stade que les bibliothèques ne portent pas davantage l’offre sur le terrain. Mais au-delà du défi commun à tous les pays – dont certains acteurs étaient présents à Québec – qui consiste à réduire les barrières d’accès aux livres numériques – liées à la technique d’une part, à l’accompagnement des publics d’autre part–, le projet a-t-il été suffisamment concerté avec les bibliothécaires ? On sait en effet que s’il n’y a pas adhésion des bibliothécaires des institutions participantes, les chances de succès sont réduites… Cette adhésion constitue sans conteste un des éléments qui a fait le succès québécois (avec l’engagement clef de Bibliopresto et de l’ANEL) et qui permet de se montrer optimiste par rapport à PNB dans lequel il y a une réelle concertation entre éditeurs/distributeurs et bibliothécaires.

En Italie, le constat d’un succès relatif du prêt numérique (mais à nouveau il s’agit d’un système proposé de manière unilatérale par les éditeurs autour d’un distributeur unique)  a engagé e-digita à proposer aux bibliothèques en parallèle un modèle « pay per view ». L’expérience est encore jeune mais c’est un modèle qui pourrait s’avérer intéressant, notamment pour les titres de la longue traîne. En revanche, pour les nouveautés, cela pourrait entraîner pour les bibliothèques d’une part des difficultés de gestion de leurs budgets (budgets fixes annuels), d’autre part la disparition d’une politique de gestion de la collection par la bibliothèque qui ne constitue plus qu’un « tuyau ». Cela dit, cela permettrait aux bibliothécaires de concentrer leurs efforts sur la médiation numérique et l’accompagnement plutôt que sur la gestion des acquisitions. Il s’agit d’une autre vision de la bibliothèque sans aucun doute, mais le secteur est-il prêt à un tel changement ? Il sera intéressant de recueillir dans quelque temps l’avis des bibliothécaires italiens impliqués dans cette expérience.

Il apparaît par ailleurs judicieux également de signaler une autre originalité italienne : le système de prêt numérique y permet le prêt inter-bibliothèques d’ebooks.

Les bibliothèques, un acteur de taille pour le marché du livre numérique

En conclusion, la faiblesse actuelle des marchés de vente de livres numériques dans les pays latins européens et l’exemple du Québec où les bibliothèques ont permis de franchir un cap dans les ventes d’ebooks doivent sans doute encourager les éditeurs et les distributeurs à s’appuyer sur les bibliothèques pour les aider à faire décoller ce marché. Le Québec est en train de le réaliser avec succès et un projet comme PNB en France, Belgique et Suisse pourrait lui aussi contribuer à faire évoluer le marché et permettrait d’offrir un accès au livre numérique à une population plus large. C’est une voie qui, outre l’augmentation des ventes pour les acteurs concernés, devrait produire un autre effet très positif : la réduction du piratage.

À relire sur Lettres Numériques :

— Alexandre Lemaire

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