Stefan Aimar, cofondateur d’Upblisher : « Pour moi, le livre numérique permettra à la langue française de continuer à exister et de s’embellir »

| Les acteurs du livre numérique 1/5 | Dans le cadre d’une série consacrée aux acteurs du livre numérique, nous sommes partis à la rencontre d’éditeurs, d’auteurs, de lecteurs qui publient, vendent, écrivent et lisent des ouvrages numériques. En 2016, nous vous présentions Stefan Aimar, éditeur et cofondateur d’UPblisher. Nous le retrouvons cette semaine pour évoquer l’actualité du livre numérique ainsi que sa vision du marché.

Lettres Numériques : Pouvez-vous nous rappeler qui vous êtes et ce qui vous a poussé à vous lancer dans le numérique ?

stefan_aimar_portraitStefan Aimar : Nous sommes une maison d’édition indépendante lancée en 2011. Dès le départ, notre positionnement était de travailler dans le numérique exclusivement. Nous avons voulu donner une chance à des auteurs qui ont du talent, mais qui ne correspondent pas nécessairement au cœur de cible des maisons d’édition traditionnelles en profitant du fait que nous avions, a priori, une structure plus légère et que nous pouvions prendre plus de risques de ce point de vue-là. Nous ne sommes pas des éditeurs traditionnels papier qui se seraient lancés dans le numérique, nous avons créé une maison d’édition numérique.

Avec cette motivation de donner une chance à des auteurs qui n’auraient pas été publiés en version papier.

Exactement. Mais le but n’est pas de faire un fourre-tout où tout le monde ayant un jour écrit une rédaction ou une belle dissertation se verrait d’un coup auteur. Chaque manuscrit est travaillé avec l’auteur, il est édité au sens propre puis publié en numérique.

Nous avons également une sélection de titres qui peuvent être imprimés grâce au programme POD (Print on demand), c’est-à-dire l’impression à la demande d’Amazon. Mais c’est une sélection réduite de notre catalogue.

Le livre numérique a-t-il toujours le vent en poupe selon vous ? Ou bien constatez-vous une forme de tassement ?

Pour être franc, on avait des attentes quand on a commencé. C’est formidable parce qu’il y a beaucoup de personnes qui écrivent, et le seul fait de pouvoir proposer à des lecteurs potentiels les écrits de ces gens, encore inconnus mais qui ont du talent, cela permet une floraison de littérature nouvelle via l’édition numérique. Mais force est de constater que cela ne s’est pas produit.

Le bilan des chiffres fournis par le Syndicat national de l’édition (France) est interpellant : l’édition numérique française représente 7,6 % des ventes des éditeurs. Quand on observe de plus près, la littérature ne représente que 13 % de ces 7,6 %, c’est-à-dire 1 %. C’est très peu.

Qu’est-ce qui vous vient comme explication de ces chiffres ?

J’ai quelques intuitions, mais, aujourd’hui, je m’efforce d’avoir un peu moins d’idées sur la raison pour laquelle le marché ne décolle pas. Quand on est devant une montagne, pour moi la question n’est pas de savoir pourquoi elle est là, mais comment faire pour la gravir ? Mon objectif est de trouver des livres qui racontent quelque chose et qui se vendent. On essaye de trouver des textes qui décrivent une époque, qui décrivent une ambiance, qui sentent quelque chose. On essaye de trouver les gens qui vont les aimer et qui vont les lire. S’interroger sur les dysfonctionnements du marché peut être très intéressant, mais est-ce notre rôle ? Se demander pourquoi ça ne fonctionne pas comme on le voudrait ne fait pas avancer les choses. Ce qui fera avancer, c’est qu’on soit capable de sortir des bons livres et d’intéresser des lecteurs à ces livres-là.

Tout de même, pour que le marché du livre numérique puisse décoller, il peut être intéressant de savoir ce qui coince. Vous avez bien quelques idées…

Si l’on regarde uniquement la France, il y a eu pendant très longtemps une mauvaise image du livre numérique en ce qui concerne les prix. Le prix d’un livre numérique est à peine inférieur à celui d’un livre papier, ce qui est considéré comme excessif pour de nombreux lecteurs. Certains grands éditeurs papier qui se sont mis au numérique se montrent encore réticents à l’idée de vendre du numérique. Ils maintiennent des prix élevés parce qu’ils n’ont pas envie que le marché se développe puisqu’ils ne voient pas le potentiel de celui-ci. Ils craignent surtout que, à court terme, les lecteurs se dirigent davantage vers le livre numérique s’il est vendu moins cher que vers le livre papier, pire encore, moins cher que le livre de poche. Donc, si les leaders du marché ne baissent pas le prix du livre numérique, qu’ils vendent en moyenne à 15 €, les gens ne l’achèteront pas. Si à cela s’ajoute le prix d’une liseuse et le fait que tous les fichiers ne sont pas compatibles avec toutes les liseuses, pourquoi les acheter ?

Est-ce l’unique raison selon vous ? Certains livres numériques sont à des prix extrêmement bas.

Selon moi, l’aspect prix est donc fondamental pour expliquer l’indifférence du public face au livre numérique. Tant que les grands groupes (Hachette, Editis, Gallimard, Grasset) ne parient pas sur le livre numérique, le marché restera bloqué. De nombreux éditeurs indépendants, comme UPblisher, pratiquent en effet des prix bas. Chez UPblisher, un roman est vendu en moyenne à 5,99 € parce que, dès le départ, nous avons positionné nos livres en fonction des attentes du marché. Mais tant qu’il n’y a pas un signal des géants du marché du livre qui disent « OK, on croit au livre numérique, on met le paquet dessus et on va baisser nos prix pour les mettre au même niveau que tout le monde », on en restera au même stade.

Par ailleurs, outre la question du prix, il y a d’autres éléments qui peuvent justifier les réticences face aux livres numériques. On a déjà pu lire dans la presse, par exemple, que l’on devient moins intelligent, plus précisément que l’on comprend moins rapidement, quand on lit un livre numérique. Ou bien que l’on rattacherait le livre numérique à de l’image. Vous avez donc des débats intellectuels qui tendent à semer le doute. Les gens se disent qu’ils vont devoir acheter un truc qui va les rendre idiots, qui coûte une fortune… comment voulez-vous que cela se développe ? Si, en plus de cela, on ajoute le blocage des grands éditeurs et de ceux qui détiennent le livre de poche, très rentable, cela fait beaucoup de raisons qui expliquent le manque d’intérêt de la part des lecteurs.

Et malgré cela, vous continuez votre métier.

Nous, on a la foi. On pense qu’il faut être présent jusqu’au bout parce qu’un jour ou l’autre les conditions du marché seront meilleures. On ne sait pas quand, mais on y croit.

Justement, comment voyez-vous l’avenir du livre numérique ? Avez-vous des attentes particulières ? Des idées de formes futures du livre numérique ?

Pour moi, le livre numérique permettra à la langue française de continuer à exister et de s’embellir. Je pense qu’il y a un réservoir de francophones qui existe de par le monde et qui sera un jour un réservoir économique exploitable. L’Afrique a une progression démographique très importante. Sachant que les Africains se sont, dans bien des secteurs, directement tournés vers le numérique (sans passer par la phase de développement « physique »), il y a de quoi espérer qu’un jour les Africains puissent aussi lire des livres sans devoir construire des bibliothèques.

On travaille donc avec cette idée-là concernant le marché francophone mondial. Nous pensons qu’il y a quelque chose à conserver de cette langue, de cette culture, de la diversité. Nos auteurs sont belges, algériens, franco-algériens, tunisiens, franco-américains et français bien entendu. Tous ont quelque chose à dire avec la même langue.

Le rôle de l’éditeur est de donner la chance à ces jeunes auteurs, et le numérique le permet formidablement. Il s’affranchit de tous les frais de manutention liés à la partie physique.

Que pensez-vous de l’audiobook ? Pensez-vous vous tourner vers ce format, si ce n’est pas déjà fait ?

Ce qui me fait rire avec l’audiobook, c’est de le présenter comme étant moderne. Or, ce n’est pas nouveau. Quand j’étais enfant, on écoutait déjà des livres sur des cassettes. De plus, le marché a été largement utilisé pour les personnes ayant des problèmes de vision. La question est de savoir si c’est un marché qui va se généraliser. On le regarde, notamment quand des boîtes comme Audible se font racheter par Amazon. On se dit que ce n’est pas complètement par hasard.

À titre personnel, nous pensons qu’il y a un futur pour ce format. Cependant, nous nous interrogeons sur le coût (élevé) de création du livre audio et sur le type de clientèle, ce qui nous fait hésiter sur la stratégie à adopter. Il existe des gens qui achètent des livres numériques, mais est-ce que ce sont les mêmes qui achèteront les livres audio ? Ce n’est pas sûr. Aujourd’hui, j’aurais tendance à considérer qu’il va y avoir une différence entre les gens qui achètent de l’audio et les gens qui achètent du livre numérique.

Une dernière question : quels conseils donneriez-vous à un éditeur qui souhaite se lancer dans le numérique ?

Il y a deux cas de figure : soit c’est un éditeur papier, soit c’est quelqu’un qui se lance dans l’édition.

Si c’est un éditeur qui fait déjà du papier, je dirais d’y aller parce qu’il n’a rien à perdre. Le papier et le numérique sont, et c’est ce que les éditeurs traditionnels ont du mal à comprendre, compatibles parce qu’ils sont complémentaires. Pour moi, on continuera à vendre du papier. L’enjeu pour eux est de trouver d’autres clientèles, d’aller sur des terrains sur lesquels ils ne sont pas aujourd’hui.

Pour ceux qui ne sont pas éditeurs, le problème est différent. Pour quelqu’un qui veut faire de l’édition numérique avec une vision généraliste, je dirais d’attendre que le marché soit plus gros, surtout si c’est le marché francophone. Il faut donc vraiment choisir son marché, une niche, et tenter de se tourner vers l’international tant que le marché francophone reste au stade actuel.

Propos recueillis par Matthieu Lamon

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— Matthieu Lamon

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