Le défi de la lecture chez les jeunes : compte-rendu du colloque du PILEn

Le mardi 20 novembre s’est tenu le colloque annuel du PILEn, le Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique. Enseignants, bibliothécaires, libraires, auteurs et autrices se sont rassemblés pour opérer une veille sur les évolutions du livre – et des lecteurs. La jeunesse et ses défis étaient au centre du programme cette année. Retour sur cette journée alliant discussions, poésie et actions concrètes.

C’est à la Maison Européenne des Auteurs et des Autrices que les professionnels de la chaîne du livre se sont réunis pour identifier les différents défis de la lecture chez les jeunes. Au départ de ces réflexions, une série d’études ont servi à baliser les enjeux actuels. L’étude « Progress in Reading Literacy Study » (Pirls) de 2016 a notamment démontré que les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles se plaçaient nettement en dessous de la moyenne en termes de savoir-lire. Si les différences doivent être mises en regard du genre, du milieu social et des pratiques culturelles, la pratique littéracique est aussi une question de confiance et de volonté d’interaction de la part des lecteurs. Comment dès lors favoriser cette confiance et surtout le plaisir de lire ? Un des défis majeurs semble être l’intégration des nouvelles formes hypertextuelles et multidimensionnelles de l’écrit dans l’enseignement de la lecture.

Les professionnels du livre, des « passeurs » de lecture ?

Telle est la question centrale posée lors de la première table ronde de la journée. Pour Frédérique Bertrand, illustratrice et autrice, l’essentiel de cette transmission consiste à faire valoir la lecture comme une « vie augmentée », une nécessité centrale à sa propre pratique d’écrivain. En effet, cette notion de « passeur » désigne avant tout le transfert d’une envie, d’un plaisir de la part de l’adulte. Il est donc essentiel de proposer des livres qui font sens pour le passeur. D’après Muriel Limbosch, directrice de la Maison de la Littérature de Jeunesse Le Wolf, il faut rester positif : tous les enfants aiment les histoires. Mais le manque de transversalité en FWB peut être déprimant. « Un bon livre n’a pas d’âge, pas de sexe. Il faut travailler le contenu avant tout. Un conseil ? Venez avec vos enfants et laissez-les choisir : foutez-leur la paix ! »

Un constat qui résonne auprès de ses interlocuteurs, qui préconisent une démarche plus horizontale envers les jeunes lecteurs. Cindy Van Wilder, autrice Young Adult, témoigne d’un manque de valorisation de la littérature jeunesse, souvent considérée comme une simple passerelle vers la soi-disant « vraie littérature ». D’après elle, ce secteur fertile, peu reconnu par les professionnels du livre, offre des exemples édifiants d’échanges continus entre lecteurs sur les réseaux sociaux, signe d’un enthousiasme rare. Ces réseaux permettent en effet aux lecteurs de communiquer eux-mêmes sur leurs lectures et de créer leurs propres prescriptions. Comme le note Nancy Brijs, la lecture est plurielle. Il faudrait dès lors imaginer un travail d’expression et d’écriture, une exploration de thématiques pour mener les jeunes vers la lecture. Notamment, en adaptant les lectures à des thèmes présents dans leurs autres formes de divertissement. Ainsi, il y aurait des ponts à créer entre les thèmes des séries ou des jeux vidéo, une opportunité pour diversifier les canaux d’apprentissage.

Et le numérique dans tout ça ?

PILEN_biblioplante
La Biblioplante, développée par la bibliothèque numérique Cyberlibris, mesure les enfants et leur donne des conseils de lecture 

La question semble encore faire débat. D’après Alexandre Lemaire, gestionnaire de la plateforme de prêt numérique Lirtuel, il est difficile de déterminer si le public jeune montre une véritable appétence pour la lecture numérique, car on ne peut voir le lecteur. Il nous donne tout de même quelques chiffres : Lirtuel offre 16 % de titres jeunesse, pour seulement 6 % de lecteurs de moins de 20 ans. Cependant, la lecture par procuration n’est pas à exclure, car ce sont souvent les parents qui manient d’abord les liseuses numériques. Il peut d’ailleurs y avoir une émulation de ce type de lecture, l’envie de la part des enfants de choisir le média avant le contenu. Pour Muriel Limbosch, ces chiffres n’ont rien d’étonnant : pour les tous petits, notamment, le caractère physique du livre demeure primordial, ainsi que la notion d’échange entre parents, tuteurs et enfants. Dans un esprit de réconciliation, la plateforme Cyberlibris a élaboré la Biblioplante : il s’agit d’une plante imprimée grandeur nature, grâce à laquelle l’enfant peut se mesurer. En fonction de sa taille, il pourra scanner des QRcodes lui donnant accès à une sélection de livres adaptés à son âge. Un dispositif ludique piloté en bibliothèque pour reconnecter le physique au numérique.

La différence comme vecteur d’accessibilité

Un champ où le numérique offre des possibilités inédites pour toucher des publics éloignés est celui des publics « dys ». La dyspraxie s’est longtemps avérée un élément d’exclusion, au niveau de la réussite scolaire d’une part, mais aussi du plaisir de lire. Plusieurs acteurs tentent de reconquérir ces publics en élaborant des outils numériques adaptés. La plateforme européenne Dyspraxiatheca fournit des modèles de leçons adaptés pour former les médiateurs, ainsi que des exercices pour mieux s’adresser aux élèves dys. Elle propose également une sélection d’ebooks disponibles dans le domaine public, qui peuvent s’adapter aux besoins particuliers des enfants dyslexiques. Ainsi, en téléchargeant l’ePub, on pourra choisir la police, l’interlignage, la taille et la colorisation. L’idée étant de penser le livre de façon native aux environnements digitaux (pour relire notre interview de sa cofondatrice Julie Guilleminot, c’est par ici).

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L’European Digital Reading Lab (EDRLab) est un institut de recherche et développement au service du déploiement européen de technologies de publication.

Favoriser l’accessibilité aux livres numériques s’avère donc un enjeu majeur. La plateforme EDRLab œuvre en ce sens, en développant des logiciels libres qui favorisent la mise au point d’un format ePub, plus fluide et malléable que ses concurrents propriétaires (pour relire notre interview de Fernando Pinto Da Silva, consultant accessibilité pour EDRLab, c’est par ici). Ces formats ouverts sont essentiels pour développer des pédagogies alternatives, plus accessibles, mais aussi plus inclusives.

Poésie et action

La journée s’est conclue par une présentation des différents focus thématiques et une déclamation poétique de Laurence Vielle, poétesse nationale. Quatre propositions concrètes ont été retenues et seront portées par le PILEn : des stages alternatifs obligatoires pour les futurs enseignants des métiers du livre ; le quart d’heure lecture en classe, obligatoire, mais sans lectures imposées ; la création de réseaux de profs passionnés pour échanger régulièrement avec les auteurs et les éditeurs ; et enfin, le développement de projets d’édition en classe, afin que les enfants deviennent à leur tour des passeurs de lecture.

Retrouvez le programme détaillé du colloque sur le site du PILEn et restez à l’affût de leurs podcasts pour (re)plonger dans les discussions de la journée.

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— Emma Kraak

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