Copy This Book : les droits d’auteur vus par les artistes

En tant qu’artiste, il y a des chances que votre pratique mobilise des outils aussi variés qu’un crayon ou un bout de code. Quel que soit le vecteur, la loi octroie automatiquement des droits sur les « œuvres de l’esprit ». Si ces droits semblent évidents au premier abord, ils peuvent l’être beaucoup moins en regard des différents médias et des collaborations, particulièrement dans les environnements numériques. Comment naviguer dans les eaux troubles de la propriété intellectuelle aujourd’hui ? C’est la question à laquelle tente de répondre Eric Schrijver avec son livre Copy This Book: An artist guide to copyright.

C’est dans l’ambiance décontractée du Beursschouwburg et en tenue étincelante qu’Eric Schrijver nous présente son guide sur les droits d’auteur. Le lancement se déroule dans le cadre du Bâtard Festival, une plateforme annuelle pour artistes de tous poils. Plus particulièrement, le festival se présente comme une invitation à traverser ces frontières et à imaginer des mouvements possibles entre les marges et la culture dominante. À cette occasion, l’association Caveat a programmé une série de rencontres et de discussions sur les conditions socio-économiques et les cadres légaux de la production artistique.

copy this book

Protéger ou partager ?

Le copyright, souvent mobilisé comme un argument en faveur de l’autonomie des artistes, est une notion paradoxale. Il peut être un levier important pour protéger l’intégrité d’une œuvre, décider des conditions de sa distribution et rémunérer un travail artistique souvent précaire. Il peut cependant s’avérer contraignant, particulièrement dans des contextes de création en réseau. Dans notre réalité hypermédiatisée, la paternité d’une œuvre est une question nébuleuse. Si l’on sait qu’une image ne peut être utilisée sans l’accord du photographe, on ignore souvent qu’il en va de même pour un dessin de cette même photographie. Aux sources de ces questionnements, qui peuvent parfois se muer en guerres juridiques pernicieuses, c’est la conception même de la création qui est en jeu.

Le copyright, en effet, s’applique à ce qu’on appelle une « expression originale ». Derrière cette dénomination se cache une mythologie de la notion d’auteur, qui présente la créativité comme étant toujours le fruit d’une idée abstraite, teintée du génie et de la personnalité de son auteur. Autrement dit, la création serait une affaire individuelle, un acte inspiré conférant automatiquement le droit de propriété à son auteur. Or, si l’on en croit notre condition post-moderne, la créativité prendrait plutôt la forme d’un collage, voire celle plus actuelle du remix. En ce sens, toute création peut être considérée comme une collaboration. Entre les intérêts idéologiquement marqués du public d’une part et du marché de l’autre, l’artiste fonctionne comme un intermédiaire pratique et philosophique. Loin du débat manichéen sur le bien-fondé de la propriété intellectuelle, Eric Schrijver nous propose une approche à la fois pragmatique et critique qui replace l’artiste au centre de cette réflexion.

En joyeux mélange d’histoire de l’art, de cadres juridiques et de questions éthiques, Copy This Book offre des clés conceptuelles à toute personne concernée par les droits d’auteur. Comment monétiser ses créations ou au contraire les rendre accessibles au plus grand nombre ? Quel modèle économique choisir en tant qu’artiste, auteur ou designer ? Dans quelles conditions (con-)céder ses droits ? Comment « citer » une œuvre visuelle ? Des questions auxquelles Schrijver répond avec candeur dans une approche compréhensive. Le guide s’avère aussi local, se focalisant en particulier sur les contextes belges, français et néerlandais. Au-delà de son utilité, Copy This Book est un livre performatif. Publié sous licence Creative Commons et élaboré avec des outils open source, il propose une écologie de l’édition qui assure une continuité entre éditeur(s), graphiste(s), auteur(s) et public. D’après Freek Lomme, l’éditeur présent à la discussion, si le choix d’une licence libre peut paraître contre-intuitif d’un point de vue économique, il s’inscrit dans une volonté de redonner à l’édition une fonction publique.

OMP165_-Copy-This-Book-_-978-94-91677-93-9-low-res-_2-1700x1133
Copy This Book, Erik Schrijver, éditions Onomatopée

Entre copyright et copyleft

Ce n’est pas pour autant que vous pourrez télécharger le guide complet sur le site de l’éditeur. La licence CC-BY NC 4.0 autorise le partage de l’œuvre ainsi que les créations dérivées dans le respect de certaines conditions : l’Attribution nécessite de citer l’auteur et d’indiquer si des modifications ont été effectuées ; NC (pour Non-Commercial) signale qu’il n’est pas autorisé d’en faire un usage commercial. Ce paramétrage ouvert permet aux auteurs de décider pour eux-mêmes des conditions de partage de leur travail et d’opter pour un modèle économique qui leur convient. D’autre part, on notera la possibilité de léguer son travail directement dans le domaine public et l’option virale du copyleft. Celui-ci, sous la dénomination SA (Share-Alike) stipule que peu importe l’usage, l’œuvre dérivée doit être distribuée dans les mêmes conditions pour établir une alternative à l’hégémonie du copyright. À défaut de moyens pour soutenir l’initiative d’Eric Schrijver, vous pourrez toujours le suivre dans sa tournée de lancement : équipé de sa photocopieuse, l’auteur vous invite chaleureusement à copier son livre.

Retrouvez Lettres Numériques sur TwitterFacebook et LinkedIn.

— Emma Kraak

Share Button