Rencontre avec Cindy Van Wilder, autrice Young Adult

À l’occasion du colloque du PILEn autour des défis de la lecture chez les jeunes, Lettres Numériques a rencontré Cindy Van Wilder, autrice de romans Young Adult tels que Les Outrepasseurs et La lune est à nous. L’occasion de lui poser quelques questions sur sa pratique et sa vision de l’écriture à l’ère numérique.

Lettres Numériques : On voit souvent le terme Young Adult utilisé comme un genre à part. Comment le définiriez-vous ?

cindy_portraitCindy Van Wilder : Déjà, je ne le définirais pas comme un genre. C’est plutôt une étiquette commerciale pour désigner un genre de littérature qui n’existe en librairie que depuis peu de temps, soyons clairs ! Quand j’ai commencé à être publiée en 2014, le genre commençait tout juste à avoir son rayon. La particularité du YA, c’est qu’il s’adresse en théorie à un public de 15-25 ans, mais qui est beaucoup plus large dans la pratique. Il regroupe en réalité divers genres et de nombreux domaines : l’imaginaire, le contemporain, la BD, etc. Ce qui fait son identité, c’est sa diversité ; un paradoxe qui résume bien la chose pour moi.

Lors de séances de dédicace, j’ai par exemple déjà eu les enfants, les parents et les grands-parents ! Il y a un échange d’expériences, ce sont des livres pour tout âge. On entend souvent que la littérature jeunesse est une passerelle pour aller vers la « vraie littérature » — entre guillemets et avec des majuscules. Pour moi, c’est une littérature à part entière dont il faut reconnaître la diversité et la richesse.

Quelles opportunités voyez-vous pour valoriser la littérature jeunesse ?

Il y a un apprentissage à faire sur ce que recouvre la littérature YA, en s’intéressant aux professionnels qui œuvrent là-dedans. Avoir des outils d’apprentissage et de reconnaissance, pas seulement à destination de son public cible. Des études le prouvent encore, ce sont surtout des adultes de 35 ans voire plus qui lisent cette littérature. Mais ça reste toujours une sorte de plaisir coupable. On me demande par exemple quels livres j’ai honte de lire. Aucun ! Pourquoi est-ce que j’aurais honte de lire ou d’aimer un bouquin parce que je suis hors de l’âge ciblé ? Il reste un travail à faire pour montrer que la littérature YA est pour tout le monde, pas seulement les 15-25 ans. C’est aussi l’occasion de découvrir de nouveaux acteurs, de sortir de cette cloison qui sépare l’école et le milieu de la littérature jeunesse.

Cindy Van Wilder_Wattpad

Quel avenir voyez-vous pour la lecture et l’écriture numérique?

Je trouve que les lecteurs et lectrices sont encore fort attachés au papier, ce que je peux comprendre. Par contre, il y a quand même quelque chose que j’aimerais démonter : il faut arrêter d’opposer lecture numérique et lecture papier ! Cela me semble complètement stérile comme débat. Je suis une lectrice hybride à ce niveau-là. Pour moi, les deux sont complémentaires : ce n’est pas parce qu’on lit sur un média qu’on ne lira pas sur un autre.

Je pense qu’il y a notamment des choses à faire au niveau des livres augmentés. On parlait des livres pop-up, par exemple. Il y a une vraie réflexion à mener pour accompagner au mieux chaque média. Quant au livre traditionnel en format papier, on pourrait imaginer un accompagnement spécifique pour chacun. Bien sûr, la réalité augmentée représente des coûts et de l’énergie. Mais si on veut jouer la carte du numérique, pourquoi ne pas la jouer à fond ? Et ne pas seulement s’excuser d’être là, comme c’est parfois le cas. Je pense aussi qu’il y a vraiment une réflexion à mener sur le prix : il dépasse souvent les 10 euros pour les ouvrages numériques. C’est plus qu’un livre de poche ! Les versions numériques devraient faire un effort sur l’accessibilité, et ce, surtout par rapport aux jeunes : l’accessibilité peut se mesurer en termes de prix déjà, tout bêtement.

Cindy Van Wilder_bookstagram

Imaginez-vous intégrer une dimension augmentée à votre pratique ?

Ce serait un super exercice ! Pourquoi pas : en tant que lecteur et auteur, nous sommes tout le temps appelés à s’adapter. Il y a toujours une évolution à faire, tant personnelle que professionnelle. On parlait des formats ePubs. Pourquoi s’y limiter ? Pourquoi ne pas faire un vrai travail avec un éditeur qui nous dirait s’il existe certaines contraintes ou cadres à respecter ? Ce serait une manière de toucher un public qui ne se serait pas intéressé par l’objet livre, mais qui viendrait à la lecture parce qu’elle lui rappelle certaines pratiques médiatiques.

Vous êtes active sur différents réseaux sociaux : quelles sont les particularités de chacun ?

À chaque communauté son propre jargon. Bookstagram, booktube, ça peut sembler un peu obscur, surtout pour les personnes qui n’ont pas l’habitude. Quand j’ai débuté, c’était quelque chose qui commençait à émerger. Mais ça s’apprend vite. Ce qui me frappe, c’est la multiplicité des réseaux et des canaux de diffusion. Quand on voit leur développement, on dirait une explosion. C’est aussi un peu une particularité de nos sociétés : tout doit aller très vite. Et c’est vrai qu’on peut avoir une sensation de foisonnement, de fouillis, ce qui est dommage parce que nombreuses sont les vraies voix à découvrir dans ce milieu.

J’ai moi-même testé Wattpad, une plateforme de publication bien connue. J’offre aussi certains contenus gratuits sur mon site et sur mon blog. Ce sont des expériences de lecture qui ont été très chouettes. Un exemple : j’avais écrit une novella en ligne qui s’appelle Mulberry Tree. J’ai eu la surprise d’être contactée par une étudiante en master d’édition qui voulait réaliser mon livre pour son projet de fin d’année. Et elle l’a fait, grâce à une campagne de crowdfunding pour financer le projet. J’ai été frappée par l’objet qu’elle est parvenue à sortir. Elle a mené toute une recherche sur la qualité du papier, sur les illustrations. On voit bien que le numérique et le papier ne sont pas opposés, chacun peut au contraire s’inspirer de l’autre.

En parlant du format ePub, la question du verrouillage DRM a été abordée. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Pourquoi s’en encombrer ? J’ai l’impression que c’est devenu une pratique courante plutôt qu’une vraie réflexion. Est-ce que ça protège vraiment le droit d’auteur ? Est-ce que c’est une mesure efficace ? On en a beaucoup parlé à un moment et le débat est un peu retombé. On a tellement l’habitude d’une consommation immédiate que je me demande si les DRM ont un effet positif sur les consommations numériques. Je serais très intéressée de voir des études qui mesurent l’impact réel sur le public.

Retrouvez le travail de Cindy Van Wilder sur son site et sur son blog.

Propos recueillis par Emma Kraak.

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— Emma Kraak

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