Le livre audio s’installe en France

Retour sur les chiffres-clés du livre audio en 2018 avec Paule du Bouchet, présidente de la commission livre audio du SNE, responsable du département Musique de Gallimard Jeunesse et de la collection Écoutez Lire. Elle intervenait dans le cadre de la journée interprofessionnelle du livre audio, organisée en juin dernier par La Plume de Paon et la Société des gens de lettres (SGDL).

Cette année, pour la première fois sur le marché français, le livre audio ne connaît pas un simple « frémissement » ou un « décollage », mais une véritable croissance : passé du statut de « secteur de niche » à celui de marché-levier, il acquière enfin, selon Paule de Bouchet, la place qui lui revient de droit dans le monde du livre.

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Une redécouverte du livre audio grâce aux nouvelles technologies

En effet, le marché français du livre audio a longtemps été à la traîne par rapport à de nombreux pays étrangers. Les habitudes culturelles ont sans nul doute contribué à ce retard : nous vous en parlions déjà ici, la France (et la Belgique) accordent au livre papier une place à part, considération dont ne s’embarrassent pas le Royaume-Uni ou l’Allemagne, cette dernière ayant depuis très longtemps pris l’habitude de faire coexister la sortie papier des titres avec leur sortie audio et des lectures in vivo dans les librairies. L’autre explication, c’est que le livre audio n’a longtemps pas été visible en France : les libraires, notamment, étaient peu habitués à communiquer sur cette offre dématérialisée qu’ils connaissaient mal.  Grâce au travail de communication effectué par la commission livre audio depuis quelques années auprès des professionnels, des prescripteurs, des enseignants et du public pour expliquer ce qu’est réellement un livre audio (ses usages, ses avantages, ses fonctions polyvalentes), celui-ci a fini par acquérir depuis deux ans une véritable visibilité, non en tant qu’alternative au livre papier, mais comme son complément.

Selon Paule du Bouchet, il manquait un contexte favorable à ce développement, celui qui a fini par voir le jour avec l’avènement des usages numériques (on peut citer l’arrivée de la 4G, la démocratisation du smartphone, etc.). Pour la présidente de la commission livre audio, il y a « dans le déclenchement de tout processus culturel, outre les raisons pragmatiques et rationnelles, une sorte de plus-value culturelle, de “mieux-disance” qui fait qu’à un moment, un marché s’installe ».

C’est aussi l’écoute en déplacement permise par les appareils mobiles qui change la donne : « Lorsque l’audiolecteur était dans l’écoute statique, dans l’écoute en chambre avec le CD, nous étions très peu audibles ; dès lors que les pratiques sont devenues nomades, “audibles” (sans jeu de mots), nous le sommes devenus dans l’essence et dans la finalité du contenu ». Cette meilleure audibilité se doit-elle uniquement à une évolution technologique ? Si Paule du Bouchet ne prétend pas connaître la réponse à cette question d’ordre presque philosophique, elle estime en tout cas que les nouvelles technologies ont permis aux Français de redécouvrir un contenu culturel primordial.

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Quelques chiffres

Très souvent, le marché français finit par imiter le marché anglo-saxon dans ses habitudes de consommation : les chiffres fournis par la présidente de la commission du livre audio montrent bien le boom que connaît le livre audio en France, quelques années après le Royaume-Uni. Voici les chiffres d’affaires totaux (numérique et physique) pour différents pays entre 2016 et 2017 :

  • États-Unis : croissance de 18 % (ratio numérique/physique : 87 % pour le numérique, 13 % pour le physique) ;
  • Royaume-Uni : croissance de 16 % (65 % numérique, 35 % physique) ;
  • Allemagne : croissance de 5 %. C’est un marché-levier, où le marché physique est beaucoup plus important et ancien (20 % numérique, 80 % physique) ;
  • France : croissance de 50 % (60 % numérique, 40 % physique). Selon Paule du Bouchet, le chiffre réel est sans doute plus important, car les résultats pour Audible, la plateforme d’Amazon, ne sont pas disponibles.

Une étude, menée en 2017 par IPSOS pour le SNE et le CNL, en dit plus sur les habitudes naissantes des audiolecteurs :

  • En 2017, 11 % des Français avaient acheté des livres audio au cours des douze derniers mois. Selon Paule du Bouchet, on peut estimer ce chiffre à environ 15 à 20 % aujourd’hui ;
  • 21 % des Français adultes se disaient intéressés par le livre audio, mais 93 % des jeunes entre 7 et 19 ans le connaissaient et l’utilisaient ;
  • Si 68 % des audiolecteurs choisissaient leurs audiobooks en fonction du sujet, ils sont presque 50 % à accorder une importance majeure à la voix de l’interprète. Pour Paule du Bouchet, cela montre que l’écoute revient à pénétrer dans l’intimité d’une œuvre par l’incarnation de la voix, qui agit comme un « exhausteur de littérature» ;
  • L’audiolectorat n’est plus composé principalement de personnes empêchées de lire, mais aussi de grands amateurs de littérature, souvent des femmes, en pleine maturité physique et professionnelle.

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Le potentiel du public jeunesse

Beaucoup plus que le marché adulte, le marché jeunesse s’appuie encore sur le livre audio physique, puisqu’il s’agit d’un public qui ne lit pas ou qui perfectionne son apprentissage de lecture. Selon Paule du Bouchet, la dématérialisation de l’écoute devrait néanmoins faire son chemin : selon une étude, l’écoute d’histoires fait partie du top 3 des activités des enfants entre 19 et 21 h.

De plus, l’audiolecture présente un avantage pour les parents : elle « fait partie des espaces sécurisés du dématérialisé », pouvant en effet « être contrôlée par les parents, contrairement à la tablette et aux ordinateurs ». Une étude américaine de 2016 a également montré que l’écoute de livres audio multiplie par 2 l’appétence pour l’apprentissage de la lecture, par 3 l’acquisition du vocabulaire, par 5 la maîtrise de la langue et par 8 la compréhension du texte.

Ces chiffres prometteurs n’ont d’ailleurs pas échappé à certains acteurs du secteur, qui font leur entrée sur ce marché : Paule du Bouchet cite pêle-mêle l’arrivée d’Éditis, celle d’opérateurs télécom tels que Orange, en partenariat avec Fnac Kobo pour permettre l’écoute sur smartphone et liseuse, l’élargissement d’Écoutez lire au groupe Madrigall et la création de l’audiobook store de Google lancé sur Google Play. Enfin, signe évident de la consécration du livre audio en tant que pratique de lecture à part entière : un Salon national du livre audio devrait voir le jour dès l’année 2019.

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— Elisabeth Mol

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