Europe et États-Unis : l’intelligence artificielle se voit refuser le statut d’inventeur

En janvier dernier, l’Office européen des Brevets (OEB) a refusé deux demandes d’enregistrements de brevets dont les inventeurs sont des intelligences artificielles. Ces décisions ont été suivies de près par l’Office américain.

Deux demandes de brevet inhabituelles

Situé à Munich, l’OEB est l’institution européenne chargée d’analyser les demandes de brevets pour une protection sur le territoire de l’U.E. Le brevet est un titre de propriété accordé sur une invention nouvelle, issue d’une activité inventive et susceptible d’application industrielle. Il offre une série de droits ainsi qu’une protection pour une durée de 20 ans.

Cependant, bien que les inventions les plus saugrenues puissent être protégées, il semblerait que nous ayons atteint en ce début d’année l’une des limites juridiques au brevetage. En effet, ont été déposées en août 2019 auprès de l’OEB, aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni deux demandes de brevet bien particulières, car leur inventeur est dit être une machine.

Sans entrer dans les détails techniques, la première demande (EP 18 275 163) désigne un système de récipients utilisant des notions avancées de géométrie, tandis que la seconde (EP 18 275 174) renvoie à un dispositif ingénieux de lumières utilisable pour les sauvetages.

Cependant, au moment de déposer une demande de brevet, il faut notamment renseigner quelques informations basiques telles que les nom et prénom de l’inventeur et, s’il y a lieu, de son ayant cause.

C’est alors que les mandataires en charge du dépôt ont dû faire preuve d’imagination :

  • l’inventeur a été désigné comme portant le prénom DABUS et le nom de famille « Invention generated by artificial intelligence» ;
  • l’ayant cause, c’est-à-dire la personne à qui l’inventeur peut éventuellement transmettre ses droits, a été désigné comme étant Stephen Thaler, ingénieur informatique et inventeur de l’algorithme DABUS. En effet, Thaler proposait que la titularité du brevet lui soit accordée, puisque DABUS n’est qu’une machine.

Mais alors, est-il possible d’accorder à une machine la capacité de création (par opposition à celle d’imitation), alors qu’elle-même a été créée et nourrie d’informations par un être humain ?

Selon Stephen Thaler, c’est tout à fait envisageable. En effet, DABUS est une forme avancée d’algorithme dit connexionniste, c’est-à-dire qui réplique en quelque sorte le système neuronal humain et est ainsi capable, selon son titulaire, de créer, seul et sans avoir été influencé, des objets nouveaux.

Un droit désuet face aux avancées technologiques ?

L’OEB, suivi ensuite par les autres pays sollicités, a été le premier à répondre à ces demandes par un refus, au motif que, selon les principes fondamentaux posés par la Convention sur le brevet européen, l’inventeur doit être une personne physique, notamment pour être capable de valablement transmettre ses droits à son éventuel ayant cause.

En effet, le droit s’adapte toujours a posteriori des évolutions qui le façonnent. Ainsi, aucun cas de figure où une machine se verrait conférer des droits n’avait été prévu juridiquement. L’une des raisons pour cela est simplement que seule une personne physique peut réellement jouir des droits moraux et patrimoniaux afférents au brevet.

Cependant, la tendance est visiblement en train d’évoluer. Les demandes de brevet en question ont été déposées par The Artificial Inventor, un groupe de recherche qui soutient qu’une IA doit pouvoir être reconnue comme inventeur, ce qui permettrait notamment de ne pas freiner l’innovation.

Finalement, ces demandes de brevets étaient un moyen de montrer que le droit international devient désuet face aux nouvelles avancées technologiques, et qu’il faut le réformer. Cela pose plus largement la question de la responsabilité de l’intelligence artificielle pour ses agissements. Peut-être serait-il temps pour l’Union européenne de réétudier son projet de personnalité électronique ?

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— Nausicaa Plas

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