D-Livre libraire numérique et libraire de proximité

Patrick De Munck est propriétaire de la librairie D-Livre à Dinant et libraire depuis cinq ans. Il s’est tout de suite prêté au jeu du numérique, jugeant indispensable de se positionner sur le marché pour ne pas voir le rôle du libraire disparaître. Merci à lui de nous avoir consacré cette interview.

Comment êtes-vous devenu libraire numérique ?
J’ai lancé ma librairie en 2007 et j’ai tout de suite pris le parti du numérique en commençant par la vente de livres papier sur mon site.  Pourquoi avoir fait ce choix ? Avant d’être libraire, j’exerçais un autre métier et en 2004, j’avais eu l’occasion de lire des ebooks sur le support mis au point par Compaq. Ce fut une bonne expérience.

J’ai commencé par suivre des formations, me rendre à des colloques et rencontrer des lecteurs numériques pour tenter de comprendre leurs motivations. Le numérique, il faut bien s’y préparer. C’est un métier complètement différent et encore mouvant.  Il y a de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances techniques à acquérir, telles que la gestion d’un CMS ou d’une plateforme d’e-commerce.

Aujourd’hui, j’ai trois sites Internet : mon site de vente de livres papier en ligne, une plateforme en partenariat avec Numilog et une plateforme avec ePagine. Nos clients numériques arrivent par Google, ils ne nous connaissent pas spécialement en tant que libraire de proximité.

Comment avez-vous adapté votre librairie en conséquence ?
Y avez-vous installé des bornes numériques ?

Non, je n’ai pas de borne : le numérique se limite aux sites Internet pour le moment. En réalité, les bornes, je n’y crois pas à court terme. D’ailleurs, plusieurs librairies parisiennes y ont renoncé, si je ne me trompe.

De plus, c’est très difficile à rentabiliser en Belgique et à l’heure actuelle. Nos lecteurs habituels qui viennent en magasin ne sont pas majoritairement intéressés par le numérique. Oui, bien sûr, certains sont curieux, se posent des questions et viennent nous demander conseil, mais c’est rare.

Au début, j’ai vendu des tablettes et des liseuses, mais cela évolue tellement vite que ce n’était pas possible d’en garder en stock. Et puis, il faut bien s’y connaitre en technologies. C’est un autre métier.

Comment voyez-vous l’avenir de la librairie à l’ère du numérique ?
Difficile de répondre à cette question. Il faut avouer que pour le moment le marché reste naissant et le papier est encore ce qu’il y a de plus rentable. Mais il faut que les libraires se lancent dans le numérique rapidement au risque de perdre des parts de marché non négligeables. Les éditeurs pure-player tendent déjà à remplacer les librairies via leurs plateformes e-commerce.

C’est la place du libraire dans la chaine du livre qui est remise en question, car à partir du moment où il signe un accord de partenariat avec de grands acteurs du numérique, il verra diminuer son importance. Ce n’est pas évident de se faire prendre au sérieux en tant que libraire numérique dans un monde digital qui tend à limiter son rôle. J’ai parfois l’impression que des éditeurs veulent se passer de nous.

Par exemple, il n’existe pas de plateformes sur lesquelles figure tout le catalogue français numérique.  Cette complexité et la confusion des réseaux de distribution et de diffusion ne nous facilitent pas la tâche. Aussi faudrait-il que les libraires s’associent, mais cela bouge très lentement.

Quelles sont les options pour un libraire souhaitant se lancer dans le numérique ?
Deux possibilités s’offrent à lui : soit, il crée son propre site Internet avec les coûts que cela implique, soit il s’associe avec des acteurs comme ePagine ou Numilog pour un coût moindre, mais il verra sa marge de manœuvre diminuer. Par exemple, le libraire n’est pas libre de rédiger les notices affichées sur le site, ce sont celles de l’éditeur. Il perd ainsi toute la dimension de conseil et les marges sont très faibles. Ce partenariat apparaît largement déséquilibré en faveur des e-distributeurs.

Pour remédier à cela, nous sommes en train de mettre au point un blog pour assurer ce rôle de prescripteur et continuer à aiguiller le client. Nous parlerons entre autres de nos coups de cœur.

Quelle est votre position sur le prix du livre numérique ?
Il est difficile de se prononcer à ce sujet. Le prix est fixé par l’éditeur. Si les lecteurs veulent une baisse de 40% par rapport au prix du livre numérique, cela risque d’avoir des répercussions sur la vente de livres papier. Si l’on compare aux États-Unis où la politique des prix est différente, on observe un mouvement de retour de certains éditeurs qui tentent de renégocier leurs marges ou qui font carrément marche arrière et se retirent du numérique.

Quelles sont les difficultés d’un libraire numérique à l’heure actuelle?
Tout d’abord, il n’y a pas de catalogue unique et la majorité des éditeurs ne nous préviennent pas de la sortie de leurs nouveautés (Gallimard et le Seuil le font sur un système comparable aux offices). Aussi, la plupart du temps, c’est à nous de regarder au quotidien les nouveautés.

De plus, il faut gérer tout l’aspect technique. Le numérique demande un service après-vente important. De nombreux clients numériques nous contactent pour avoir des précisions techniques ou pour des bugs informatiques qu’il faut résoudre d’une manière ou d’une autre même si nous ne sommes pas de professionnels de l’informatique.

— Stéphanie Michaux

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Stéphanie Michaux

Digital publishing professional