Le lecteur belge de plus en plus friand d’ebooks ? Des chiffres à lire … et à nuancer !

La semaine dernière, fleurissaient sur le Web et ailleurs des articles à propos des habitudes de lecture des Belges en numérique. À l’occasion de ce dernier numéro de l’année 2014, Lettres Numériques a souhaité se pencher sur la question et apporter quelques éclaircissements concernant les chiffres précédemment relayés par les médias.

Les articles de presse sont parus dans la foulée d’une question parlementaire posée par Jean-Charles Luperto et à laquelle a répondu le Ministre de l’économie et du Gouvernement wallon Jean-Claude Marcourt concernant la situation des librairies Libris Agora. Dans sa réponse, il fait état de plusieurs données statistiques au niveau du marché numérique en Belgique, issues de deux sondages réalisés par IPSOS pour le compte du PILEn sous l’égide de l’Adeb, les résultats du premier ayant été relayés en juin 2013 par Lettres Numériques. Ainsi, il est question du fait que « 18% des livres lus sont achetés en format numérique », un pourcentage communiqué par l’enquête IPSOS 2013 et qui concerne donc l’année 2012.

Des chiffres dont il faut se distancer

Pour éclairer notre lanterne par rapport aux chiffres relayés la semaine dernière dans la presse, nous avons contacté Axelle Ninove, responsable des études statistiques à l’Adeb ayant pris part au projet d’observation des marchés numériques du livre. Selon elle, « il faut pouvoir se distancer des chiffres qui ressortent de ces sondages ». En effet, plusieurs données doivent être prises en compte, en ce compris le fait que l’enquête IPSOS concerne un public ciblé : un échantillon de lecteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les sondages ont été réalisés en ligne, sur un nombre d’utilisateurs ayant choisi de répondre au questionnaire. Pour 2013, les chiffres ont en réalité été établis à partir des réponses de 700 lecteurs (sur 1130 personnes interrogées) ayant lu au minimum un livre sur l’année 2012.

Qu’entend-on par « livre numérique » ?

Axelle Ninove ajoute que tout dépend de la manière dont les lecteurs interprètent les questions du sondage. Dès lors, qu’entend-on par le fait de « lire un ouvrage numérique» ? Dans la mesure où il ressort de l’enquête que 67% des lecteurs numériques lisent sur ordinateur et que le PDF reste le format privilégié par 7 personnes sur 10, il se peut que le fait de lire un ouvrage numérique s’apparente à la consultation de documents Web, d’un article Wikipédia, etc.

L’enquête IPSOS se base donc sur une définition assez large du livre numérique puisqu’elle inclut le format PDF fortement consulté par les internautes dans le cadre professionnel ou estudiantin. Rappelons ici le baromètre Primento de janvier 2014 qui prenait quant à lui pour base les ebooks en tant que tels (format ePub par exemple) et dont il ressortait que sur 1400 belges interrogés, 19% avait déjà lu un livre numérique, soit 1 belge sur 5.

Des données à ne pas négliger

« Les enquêtes doivent sans cesse être améliorées car les questions posées sont susceptibles d’être parfois mal comprises et ainsi prêter à confusion », affirme Axelle Ninove. Certains chiffres peuvent donc paraitre étonnants, c’est la raison pour laquelle il faut les prendre avec des pincettes et garder en tête la base des interrogés. Ainsi, lorsqu’on parle de 2 livres sur 10 achetés en numérique dans le sondage IPSOS 2013 (référant donc bien aux chiffres de 2012), il faut préciser qu’il s’agit d’un résultat émis sur la base de personnes ayant lu un ou plusieurs livres en 2012 sous forme numérique. Cela change effectivement toute la donne. De même, certains chiffres méritent d’être nuancés. En effet, comme l’explique Bernard Gérard, président de l’Adeb, à propos d’une autre donnée de l’enquête IPSOS : « On constate qu’1 lecteur sur 4 déclare avoir déjà lu un ouvrage numérique, ce qui ne signifie pas qu’il l’a acheté… »

Des conclusions intéressantes

Les résultats dégagés par ces sondages sont appréciables, à partir du moment où ils sont relayés de manière éclairée. « Pour notre part, nous nous sommes surtout intéressés aux conclusions des sondages IPSOS » affirme Axelle Ninove. Ces dernières permettent d’observer que la part du numérique est en légère progression puisque 3% des lecteurs interrogés lisent exclusivement sous forme numérique (contre 2% en 2012), que près de la moitié des lecteurs numériques se procurent les ouvrages via des sites Internet d’opérateurs internationaux comme Amazon et Google Books et que les ebooks sont de plus en plus consultés sur tablette (44% en 2013 contre 29% en 2012).

Habitudes de lecture et marché numérique : deux domaines à distinguer

Si le numérique semble peu à peu faire sa place auprès des lecteurs belges, l’analyse du marché numérique en Fédération Wallonie-Bruxelles demeure néanmoins complexe puisque « plus de 70% des livres vendus sont des livres d’éditeurs français » et que « les achats ou téléchargements / streaming de livres numériques se font par le biais de plateformes principalement basées à l’étranger sur lesquelles nous n’avons aucune visibilité » observe Bernard Gérard. Il est donc évident qu’une distinction doit être faite entre les habitudes de lecture des Belges en numérique, dégagées grâce à des sondages tels qu’IPSOS ou le baromètre de Primento, par rapport auxquels nous devons prendre un certain recul, et la situation actuelle du marché du livre numérique en Belgique, difficilement quantifiable à l’heure d’aujourd’hui.

Malgré des relais parfois peu documentés et approfondis de la part de certains médias, nous pouvons néanmoins nous accorder sur le fait que les chiffres qui ressortent des enquêtes IPSOS confirment tous une seule et même tendance, à savoir un réel appétit des Belges pour le numérique !

Retrouvez les enquêtes complètes IPSOS 2013 et 2014.

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— Gaëlle Noëson

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Gaëlle Noëson

Digital publishing professional