Stéphanie Michaux : « L’ebook doit être intégré dans la stratégie globale d’une maison d’édition »
Retrouvez cette semaine notre second portrait de professionnel du numérique. Stéphanie Michaux, chargée des partenariats avec les éditeurs francophones chez Primento, distributeur et diffuseur ebook, revient sur son parcours et nous livre son point de vue sur le marché du livre numérique.
Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler dans le secteur du livre numérique ? Quelles sont les étapes de votre parcours ?
Dans le cadre de ma formation en lettres, avec une spécialisation dans l’édition, j’ai eu la possibilité de réaliser un stage de trois mois aux éditions du Lombard. À l’époque, je faisais mon mémoire sur les stratégies marketing des éditeurs belges entre 2005 et 2010. Grâce à cela, j’ai pu rencontrer une soixantaine de professionnels du livre en Belgique (éditeurs, libraires, prescripteurs), ce qui m’a permis d’acquérir une bonne vision d’ensemble de ce qu’était le secteur du livre en Belgique, les difficultés rencontrées par les acteurs et les spécificités du marché. Après cela, j’ai choisi de me spécialiser dans le marketing et suis partie faire un stage à Londres dans une agence de communication où j’étais notamment chargée de mettre au point les stratégies marketing pour les nouveaux clients. Par la suite, j’ai été engagée en tant que responsable marketing chez Primento, dans la branche « édition numérique » de la société. Cette branche est devenue depuis Lemaître Publishing, un éditeur 100% numérique. Ce fut une première expérience enrichissante car je pouvais allier ma connaissance du monde du livre et mes compétences en marketing. Chez Lemaître, j’ai travaillé sur la promotion de collections telles que LePetitLittéraire.fr et LePetitPhilosophe.fr. Je participais aux salons, animais les réseaux sociaux et je supervisais les développements du site Web. Après 6 mois, j’ai été en charge de Lettres Numériques, et ce jusqu’en août 2014, projet très enthousiasmant à un moment où le numérique commençait à intéresser les différents acteurs du monde du livre. Et puis, en 2012, j’ai décidé de compléter ma formation par un Master en Management à la Solvay Business School qui m’a apporté une meilleure approche des nouvelles dynamiques et nouveaux business models de l’industrie du livre. À la même époque, nous avons débuté les partenariats à la suite de plusieurs demandes d’éditeurs belges qui souhaitaient être accompagnés dans leur développement numérique. C’est ainsi que j’ai été en charge entre autres des partenariats avec les éditeurs francophones (Belgique et France) chez Primento, actuellement distributeur et diffuseur ebook indépendant.
En quoi consiste exactement votre travail ?
Mon travail à l’heure actuelle consiste essentiellement à répondre aux besoins des éditeurs, à faire en sorte que leurs projets numériques réussissent et qu’ils augmentent leurs ventes digitales. Je les accompagne dans le choix des titres à publier et pour fixer les bons prix. Je les aide également à repenser le livre pour le numérique et à mettre en place le marketing qui correspond à chaque livre. C’est enrichissant d’être en contact avec tous ces éditeurs – Primento travaille désormais avec autant d’éditeurs belges que français – et de leur prodiguer des conseils grâce à l’expertise que nous avons développée. Tout comme les livres doivent être visibles sur une table de librairie pour trouver leur public, les ebooks doivent être le plus visible possible. Le nerf de la guerre est donc la diffusion. En plus de cette activité, je participe à la mise en place des stratégies marketing pour Primento en me rendant à des foires et salons. Je suis également en charge des contacts avec les libraires numériques.
Quels conseils donneriez-vous aux éditeurs ?
Je pense qu’il ne faut pas se lancer en numérique avec l’idée de faire un test sur 5 livres. Un projet numérique se construit sur le long terme. Il faut bien choisir ses titres et penser avant tout au lecteur. Il faut faire en sorte que l’ebook ne soit pas un projet à part mais qu’il soit intégré dans la stratégie globale de la maison d’édition et en adéquation avec le plan marketing et le calendrier éditorial pour aligner les efforts. L’ebook est une nouvelle façon d’approcher les lecteurs, autant en profiter pour développer cette relation et en dire plus sur ce que l’éditeur a à offrir.
Quelles sont les réactions des éditeurs vis-à-vis du numérique ? Observez-vous une évolution ?
Dans un premier temps, nous nous trouvions dans une phase d’évangélisation des éditeurs. Il fallait d’abord les sensibiliser au numérique et à ses opportunités, surtout pour les éditeurs belges. Tandis que depuis fin 2014, les éditeurs semblent plus conscients et plus au courant de ce qu’est le numérique. Après avoir lancé plusieurs initiatives en ce sens, ils cherchent à présent le meilleur partenaire pour augmenter leurs ventes. On note une réelle demande, surtout de la part des éditeurs français, au niveau d’une approche complémentaire distribution et diffusion numérique car la mise en ligne ne suffit pas pour vendre.
Quelles sont les grandes tendances que vous observez au niveau du marché du livre numérique ?
On constate que le marché du livre numérique est en croissance. Certaines études évoquent 45% d’augmentation cette année. Les lecteurs sont de plus en plus au fait de cette évolution et il n’est plus rare de voir des gens lire sur des liseuses ou des smarphones. De plus en plus d’éditeurs ont d’ailleurs une expérience dans le domaine. On remarque aussi que plus l’investissement est important et pertinent, plus le retour sur investissement est élevé. La grande force du numérique, c’est de pouvoir dépasser les frontières physiques et de toucher des lecteurs parfois très éloignés qui ont pourtant un pouvoir d’achat important. C’est pour cela que nous insistons sur la nécessité de rendre disponibles les livres à l’international. En dehors de la France et de la Belgique, nous vendons des ebooks en langue française aux USA, en Allemagne, en Italie au Japon ou au Brésil.
Quels sont les genres plébiscités par les lecteurs en numérique ?
Les livres de fiction sont les livres les plus populaires car ils répondent à des achats plus impulsifs et ils sont consommés par des plus grands lecteurs. De plus, la lecture numérique est souvent nomade. Il est donc plus difficile de se concentrer sur un livre à caractère scientifique dans le métro ou le train par exemple. Se vendent bien le polar, la romance, la fantasy, des livres très grand public qu’on va lire une fois et qu’on n’aura pas forcément envie d’avoir dans sa bibliothèque.
À long terme, quels seront selon vous les bénéfices du numérique pour l’éditeur ?
Grâce au numérique, de nombreuses informations vont pouvoir être agrégées par les éditeurs pour affiner la connaissance de leur lectorat. Auparavant, l’éditeur était très peu en contact avec son public. Cela a déjà changé avec les réseaux sociaux, mais pas seulement. Les éditeurs peuvent créer de plus en plus de liens directs avec leurs lecteurs, notamment avec les newsletters. Grâce au numérique, nous allons pouvoir en savoir davantage sur les comportements après l’achat. À la dernière IDPF/BE Conference en mai dernier, Kobo a publié une étude qui stipule que seulement 60% des ebooks achetés étaient ouverts et donnait aussi d’autres informations assez capitales, notamment sur le moment où le lecteur arrête en moyenne de lire un livre. Comparé à d’autres domaines, les éditeurs prennent un très grand risque en publiant un ouvrage tandis que dans d’autres industries, les pratiques marketing tels que les études de marché ou des focus group sont indispensables au lancement d’un produit. L’éditeur a quant à lui peu de retours des lecteurs avant la parution de ses livres. Le numérique va permettre d’en savoir plus sur ses lecteurs et je pense que cela va pouvoir aider l’éditeur dans son travail.
Primento sera présent à la Foire du Livre de Francfort du 14 au 16 octobre sur le stand E56-57 Hall 5.1.
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— Gaëlle Noëson
