L’accessibilité, un enjeu crucial pour l’avenir du numérique

Dans le cadre du colloque Le format epub est-il l’avenir du livre numérique ? organisé par le PILEn, Laurette Uzan, bibliothécaire à la Médiathèque Valentin Haüy à Paris, interviendra ce lundi 5 décembre à Bruxelles. Pour Lettres Numériques, elle revient sur les questions d’accessibilité et de formats numériques.

Pourriez-vous présenter brièvement votre parcours ?

Il y a un peu moins de 10 ans, j’ai commencé ma carrière à la bibliothèque universitaire de Nanterre, où j’ai développé mon intérêt pour la sociologie de la culture et de la connaissance, ainsi que pour l’accès aux nouveaux contenus et connaissances. Après l’obtention d’un Master spécialisé dans les métiers du livre, j’ai travaillé pour une association qui fournissait un accès à l’écrit aux publics empêchés de lire. Cette expérience a suscité une vocation : au sein de la bibliothèque numérique Valentin Haüy, je pilote aujourd’hui un programme de partenariat avec les bibliothèques publiques.

Quelles sont les missions et les actions de la Médiathèque Valentin Haüy ?

Valentin_HaüyL’Association Valentin Haüy est un acteur principal et historique en France dans les services aux personnes en situation de déficience visuelle, afin de faciliter leur autonomie dans tous les aspects de leur vie quotidienne. L’objectif de la médiathèque est de parvenir à une égalité d’accès à l’écrit pour tous les publics empêchés de lire, sur tous les supports disponibles et publiés au même moment.

La médiathèque, qui s’adresse à un public déficient visuel, mais aussi handicapé moteur et mental, a comptabilisé 180.000 prêts en 2015. Les livres au format DAISY (lire notre article sur le sujet) représentent plus de 95% des prêts de la médiathèque (qui propose aussi par ailleurs des livres en braille papier et numérique).

Le format DAISY est-il au point ? Quels sont ses points forts et ses points faibles ?

Le Consortium DAISY a fêté ses 20 ans cette année : ce format est historique dans l’apparition du livre numérique et il a clairement fait ses preuves. Son unique désavantage est qu’il est utilisé uniquement par les personnes handicapées : son écosystème est complètement séparé de l’écosystème traditionnel du livre numérique. Il présente par ailleurs de nombreux avantages. Tout d’abord, le livre DAISY est techniquement très au point : ce n’est pas un simple livre audio mais il est structuré et navigable, impliquant un rapport actif au livre. Il s’agit d’un format valise pouvant contenir à la fois texte, audio et vidéo, et ces différentes versions du contenu sont synchronisées entre elles, permettant par exemple de suivre en même temps le texte et l’audio. Cette fonctionnalité constitue un intérêt notamment pour les personnes dyslexiques.

Autre avantage : son utilisation, d’une grande facilité, est généralisée partout dans le monde. Dans cette optique, l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) a conçu le Traité de Marrakech, qui permettra des échanges internationaux entre les organisations adaptatrices des États signataires (qui disposent d’une exception au droit d’auteur en faveur de personnes atteintes d’un handicap). Ainsi, si l’Union européenne signe le traité, la France disposera d’une capacité d’échange de collections avec le Canada par exemple.

DAISY

Que pensez-vous du format ePUB et de son accessibilité ?

L’ePUB 3 constitue la prochaine version du format DAISY car il intègre toutes ses fonctionnalités et versions. Les éditeurs adaptés travaillent d’ailleurs dès à présent à une transition vers ce format. Sa promesse, très intéressante, est d’apporter une véritable égalité d’accès à toutes les publications numériques. S’il s’agit d’un idéal difficilement atteignable, la vraie question à se poser est la suivante : à quel public un livre est-il accessible (malvoyants modérés ou personnes aux besoins plus importants) ? À la diversité des publics (et des handicaps) doit répondre une diversité des solutions.

AccessibilitéDes variables apparaissent ainsi en fonction du profil démographique de l’utilisateur. Statistiquement, parmi les personnes déficientes visuelles, les utilisateurs technophiles (généralement les jeunes adultes) sont extrêmement minoritaires. En effet, le handicap est souvent une conséquence des maladies qui apparaissent en vieillissant, comme la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge). Le public handicapé est donc majoritairement âgé et « novice » dans la situation de handicap. Le besoin d’interfaces simplifiées, de supports très adaptés et le travail d’accompagnement et de médiation humaine sont donc indispensables.

Quel rôle les éditeurs ont-ils à jouer dans cette évolution ?

Du point de vue des éditeurs standards (pas adaptés), l’accessibilité est souhaitable mais pas obligatoire. Une partie non négligeable des maisons d’édition ne fera peut-être pas l’effort de rendre ses livres accessibles ou n’aura pas les moyens techniques de s’en assurer. C’est la raison pour laquelle existe le projet Baseline, mené par le Consortium DAISY et financé par Google, qui vise à améliorer la collaboration entre les éditeurs commerciaux et les éditeurs adaptés. Ces derniers interviennent pour partager leur expertise, pour vérifier et éventuellement effectuer le travail d’adaptation complémentaire, ou pour délivrer une certification.

L’accessibilité des ebooks est importante car elle permet à l’éditeur commercial d’atteindre de nouveaux publics, elle représente une plus-value et elle pourrait devenir condition de marchés publics à l’avenir. L’accessibilité doit être envisagée comme un droit pour tout un chacun et, dans cette optique, chaque éditeur trouvera un grand intérêt à y participer.

Propos recueillis par Loanna Pazzaglia

— Loanna Pazzaglia

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