Évolution des métiers : vendeur de droits pour le livre papier et pour le livre numérique

Les droits d’auteur requièrent depuis longtemps une grande attention de la part des éditeurs et des auteurs eux-mêmes. Cependant, alors que la négociation des droits « papier » a de nombreuses années d’expérience à son actif, négocier des droits pour des œuvres numériques n’est pas une mince affaire dans les conditions d’un marché encore embryonnaire.  Souvent cette négociation entraine une cascade de questions juridiques qu’il est difficile de résoudre une fois pour toutes.

Pour vous donner un aperçu de la situation concernant les livres papier et les livres numériques, nous avons fait appel à Clotilde Guislain, directrice des Éditions Mardaga et à Chantal Leonard, aujourd’hui éditrice indépendante, formatrice et vendeuse de droits.

Droits d’auteurs d’œuvres papier

Pour une œuvre identifiée, les droits sont cédés pour un territoire, une langue et une durée à une personne ou une société qui aura le droit de la traduire et de l’exploiter sur son territoire pour une durée précise. Ce sont généralement des durées de 5 à 7 ans renouvelables.

Dans un contrat d’auteur, il est stipulé la part de droits que l’auteur reçoit pour l’œuvre originale mais il est également précisé, par exemple, tout ce qui concerne la cession des droits pour la traduction. Les auteurs sont généralement payés au pourcentage sur le prix de vente public hors taxes. L’éditeur considère généralement que l’auteur a droit à un pourcentage situé entre 6 et 8% sur le prix de vente hors taxe. Mais évidemment, il ne touchera cet argent qu’au mieux un an après la sortie de l’ouvrage parce que c’est un calcul qui se fait sur une base annuelle. Si l’on part du principe que l’auteur a commencé son travail un an avant de le déposer chez un éditeur, ça fait donc deux ans durant lesquels il attend ses revenus. C’est la raison pour laquelle, la plupart du temps, les auteurs reçoivent une avance sur droits. L’éditeur évalue la quantité de livres qui seront probablement vendus et cette somme ou la moitié de cette somme sera payée à l’auteur à la signature du contrat.

Certains éditeurs calculent les droits d’auteur sur le prix de vente hors taxe et d’autres le calculent sur le prix de cession, c’est-à-dire sur leur chiffre d’affaires. Cela fait donc une grosse différence. « Parfois certains auteurs nous annoncent qu’on leur offre 12% chez un autre éditeur mais souvent ces 12% sont calculés sur le prix de cession auquel il faut retirer la part des distributeurs et la part des libraires (qui souvent à eux deux regroupent 50% du prix ) » nous confie Clotilde Guislain.

En ce qui concerne les droits de traduction de l’œuvre, les droits sont souvent divisés à parts égales entre l’éditeur et l’auteur (illustrateur). « Néanmoins, » explique Chantal Leonard « parfois certains éditeurs déduisent une série de frais liés à la traduction avant de diviser les gains. Ce qui pénalise quelque peu les auteurs. »

Avant le numérique, les contrats des œuvres papier couvraient toutes les situations envisageables. Lorsque les choses ont évolué vers les transpositions au cinéma, les dessins animés ou encore les produits dérivés de certains ouvrages, il suffisait de faire des avenants aux contrats. Mais les possibilités n’étaient finalement pas infinies…

Vendeurs de droits papier, un métier possible sur le marché français ?

Après avoir travaillé comme vendeuse de droits pour les éditions Labor, Pastel et la Renaissance du Livre, Chantal Leonard nous explique les difficultés de ce métier sur le champ francophone. « Le métier de vendeur de droits est un métier difficile à maintenir et ce pour plusieurs raisons. Dans le champ francophone, les éditeurs aiment traiter directement avec les auteurs (illutrateurs). C’est la même chose pour les auteurs, ils préfèrent traiter directement avec un éditeur qui leur assurera une publication plutôt qu’avec un vendeur de droits ou un agent littéraire qui doit non seulement accepter de prendre l’oeuvre sous son aile, mais également lui trouver un éditeur. Finalement, dans un marché comme celui-là, et parce que les ventes et la marge bénéficiaire de ces ventes ne sont pas assez importantes, l’agent littéraire finit par être l’intermédiaire de trop. En revanche, dans les marchés comme ceux des USA et de l’Allemagne, la place de l’agent est vraiment reconnue. Le marché est plus grand mais c’est aussi une question de tempérament. La meilleure preuve du phénomène, c’est qu’en anglais, il existe deux termes pour désigner ce que l’on appelle en français un éditeur:  editor and publisher. L’editor est celui qui s’occupe de la partie juridique/financière et le publisher, celui qui travaille sur le texte. »

Droits d’auteur en diffusion numérique

On le mentionnait plus haut, l’arrivée du numérique a ébranlé profondément la manière de concevoir les contrats de cession de droit. Entre les éditeurs qui ne peuvent pas encore franchir le pas, faute de moyens, de connaissances suffisantes et de temps et ceux qui ont décidé d’y consacrer beaucoup d’énergie, la législation et les pratiques sur le terrain de la cession de droits numériques avancent à petits pas, lentement mais sûrement.

Qu’est ce qui pose le plus de problèmes lorsque l’on crée une version numérique d’un ouvrage existant ?

Lorsque les éditeurs choisissent de numériser des livres de fonds, des livres épuisés ou même plus généralement des livres parus antérieurement en version papier, une certaine quantité de questions quant aux droits d’auteur pour la diffusion numérique de l’œuvre se posent.

« En effet, c’est peut-être un des points les plus épineux de la question des droits du numérique. Aujourd’hui, dans nos nouveaux contrats passés avec nos auteurs, on définit directement les droits pour le livre papier, pour l’édition poche ainsi que pour le livre numérique. Mais tout cela, c’est dans les nouveaux contrats. Dans des contrats signés il y a 10 ans et même ceux signés il y a deux ans, cela ne figurait pas. Donc, aujourd’hui, avant de travailler sur la version numérique d’une œuvre pour laquelle la cession de droits numérique n’a pas été négociée, on doit obtenir l’accord de l’auteur sur cette adaptation-là. Quand on connait l’auteur, que l’on possède une adresse, un email, la question peut se régler assez facilement. En revanche, lorsque c’est un ouvrage collectif (par exemple, des ouvrages d’architecture), il faut aller rechercher les droits de toutes les images qu’il y a dans un livre… et souvent, c’est impossible » nous explique Clotilde Guislain.

C’est également le cas pour des ouvrages contenant seulement du texte. Renégocier les droits pour la diffusion numérique demande une grosse gestion mais aussi des frais quasi insurmontables pour bon nombre de petites maisons d’édition. Dans ces maisons d’édition, ce n’est pas la numérisation elle-même qui pose problème, c’est la création des conditions juridiques de la numérisation. Avant de confier la tâche de numérisation à un sous- traitant, il faut que la question des droits soit réglée. « Nous venons de mettre une quarantaine d’ouvrages en ligne au Cairn » nous explique Clotilde Guislain, « mais avant d’arriver à cette étape-là, il nous a fallu refaire une série de contrats. Cela a pris beaucoup de temps et d’énergie. »

Les droits numériques à intégrer au contrat

L’ADEB n’a pas encore finalisé la formulation de cession de droits numériques dans les contrats-type qu’elle propose, c’est d’ailleurs toujours en discussion au sein de la commission juridique.  Il semblerait que les éditeurs souhaitent placer les droits numériques sur le même pied que les droits papier. Les auteurs ne sont pas toujours de cet avis, certains d’entre eux estiment que le média est un peu trop nouveau pour qu’ils s’engagent dans le numérique de la même façon et pour la même durée que pour le papier.

« Le problème de la gestion des droits dans le domaine numérique, c’est que tout le monde veut se garder une marge de sécurité et cela entraine une série de questions juridiques en cascade » explique Clotilde Guislain. « Je pense que la première chose à faire, c’est de créer une relation de confiance entre l’auteur et l’éditeur et ainsi créer de bons contrats entre les deux afin que l’on puisse avancer dans une situation de confiance. Si les auteurs se sentent en sécurité et ressentent le fait qu’ils sont correctement rémunérés pour leur travail, tout peut se réaliser. Mais souvent, les situations sont difficiles à comprendre pour les auteurs. Prenons l’exemple des livres que l’on a placés au Cairn. Ce n’est pas un pourcentage sur le prix de vente d’un livre que l’auteur va percevoir puisque c’est un droit d’accès dans des bouquets ou des parts d’abonnement qui sont achetées par les lecteurs… L’auteur finit donc par toucher un pourcentage sur le chiffre d’affaires que l’éditeur lui-même a touché pour l’ensemble des publications déposées au Cairn. Finalement, ce sont des règles qui deviennent très complexes et pour lesquelles la gestion informatique est assez compliquée. Il faut donc un bon logiciel de gestion de droits qui permette d’intégrer des choses beaucoup plus compliquées qu’un simple pourcentage sur un prix de vente public hors-taxe. »

L’enjeu des contrats liés au numérique est d’arriver à rédiger des contrats entre éditeurs et auteurs qui vont laisser la place à l’évolution du phénomène. « Les cas de figure et les modes d’exploitation deviennent beaucoup plus divers et multiples. Tout l’enjeu c’est de faire quelque chose où les auteurs s’y retrouvent et dans lesquels il ne se sentent pas « arnaqués ». C’est la politique de Mardaga, surtout dans nos publications de niche : l’auteur doit savoir que l’on fait quelque chose pour faire exister son livre sur le marché du numérique. Mais c’est difficile d’imaginer toutes les formes d’exploitation qui vont pouvoir être faites dans un futur à court et à moyen terme. Il faut donc essayer de mettre dans le contrat des principes qui sont clairs dans leur énoncé et ensuite restituer des comptes aux auteurs dans lesquels ils comprennent la logique avec laquelle les droits ont été calculés. »

Finalement, si l’on se penche sur le temps que prend la constitution de ces contrats, le temps du calcul des droits d’auteur, on peut dire que l’on est toujours dans une phase où régler l’aspect juridique de ces questions coûte plus cher que ce que les droits rapportent à l’auteur et à l’éditeur. Il faut pourtant mettre en place un outil performant comme si c’était déjà une exploitation qui rapportait. Et en même temps, pour que la diffusion numérique fonctionne, il faut utiliser un outil qui fonctionne.

« Si les éditeurs ne se soucient pas de sécuriser juridiquement tout ce qu’ils font, ils prennent le risque, dans trois ou quatre ans, de se retrouver dans des situations qui vont leur coûter très cher. Souvent, c’est un problème que l’on sous-estime mais qui risque de très vite nous rattraper » conclut Clotilde Guislain.

Propos recueillis par V. D’Anna

Le Vade Mecum du livre numérique publié par la Promotion des Lettres se trouve ici:

http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/fileadmin/sites/pdl/upload/pdl_super_editor/pdl_editor/documents/Espace_numerique/Vade-mecum_Livre_numerique_ISBN_978-287145-016-0.pdf

Voici l’extrait concernant :

Droits d’auteur et diffusion numérique

S’agissant de la numérisation de livres de fonds, de livres épuisés ou de numéros anciens de revues, les éditeurs doivent régler la question des droits d’auteur pour la diffusion numérique de l’œuvre. Cette gestion contractuelle de gré à gré avec les intéressés ou leurs ayants droit requiert temps et énergie, sachant qu’elle concerne également les traducteurs, illustrateurs, photographes, voire les personnes portraitées…

Pour les œuvres orphelines (celles dont on ne trouve plus les ayants droit), une solution de type « licence collective » est attendue au niveau européen ; il s’agit du projet ARROW (Accessible Registries of Rights information and Orphan Works towards Europeana).

Pour la transposition numérique d’une nouveauté, la question reste ouverte quant à la qualification d’exploitation première ou seconde de l’œuvre. Les pourcentages attribués aux auteurs sur les recettes en seront radicalement différents. À ce sujet, la Commission juridique de l’ADEB (Association des éditeurs belges) rappelle que son contrat-type d’édition inclut l’édition numérique. Elle partage la position française du SNE (Syndicat national de l’édition) sans exception : les droits numériques sont toujours considérés comme des droits premiers et sont à ce titre inclus dans le contrat d’édition. Ces droits sont cédés pour la même durée que les droits papier.

De manière générale, on comprend que le numérique implique de nouveaux usages en matière de droits d’auteur. Les associations professionnelles, les sociétés belges de gestion collective des droits, comme la Sabam, la Sacd, la Scam et la Sofam, ainsi que les fondations privées et les cabinets d’avocats spécialisés travaillent actuellement sur cette mutation. La plupart des professionnels recommandent aux auteurs de prévoir dans leur contrat avec la maison d’édition un droit de regard sur la version numérique avant commercialisation et une clause de rendez-vous stipulant la faculté de renégocier les droits numériques dans un délai fixé, par exemple au terme de trois ans.

— Vincianne D'Anna

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6 thoughts on “Évolution des métiers : vendeur de droits pour le livre papier et pour le livre numérique

  • 31/05/2013 at 17:06
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    Un petit détail. La définition des tâches du « publisher » et de l’ « editor » dans les pays anglo-saxons me semble un peu… curieuse. A moins que cela vienne de changer, l’ « editor » est la personne qui est responsable des textes (choix, travail avec l’auteur, révisions, etc.) et, dans certains cas, d’une série ou d’une collection. Le « publisher », quant à lui, est responsable de la publication au sens large (de la fabrication à la commercialisation).

  • 03/06/2013 at 13:15
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    Merci pour cette intéressante mise au point. Question : qu’en est-il pour la commercialisation au format numérique d’œuvres du domaine public? Est-ce qu’on peut faire le travail de mise à disposition de ces textes patrimoniaux au format numérique — souvent mal gérés par les institutions — et ne pas avoir à s’acquitter de droits? Même chose pour ces œuvres du domaine public, si on en offre la traduction? Il y a un coût — même avec beaucoup d’outils gratuits — en temps, en dévouement… En tous cas, cela me semblerait une bonne façon de se mettre en jambes pour le numérique, et pour améliorer l’offre. Idée d’une traductrice qui deviendrait éditrice (translator+editor+publisher).
    Car nous n’oublions pas que « la traduction est la langue de l’Europe ». Sauf encore dans les faits numériques…
    Merci.

  • 03/06/2013 at 17:07
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    @Francis: c’est la formulation qui doit prêter à confusion. Je voyais bien l' »editor » comme la personne responsable des textes et le « publisher », responsable de la partie publication. Mais puisque c’était la question des droits qui était posée dans l’article, je n’ai pas jugé utile, à tort, d’aller plus loin dans la définition. Mais merci pour cette précision.

  • 04/06/2013 at 18:28
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    Jusqu’à récemment, les contrats entre éditeurs et auteurs concernaient seulement le tirage papier. Des avenants avaient dû être ajoutés à ces contrats avec l’apparition des formats numériques. Il s’agit désormais aujourd’hui, de fixer des dispositions légales encadrant l’exploitation numérique des œuvres littéraires. Cet accord, officialisé le 21 mars dernier, pose ainsi désormais non seulement les principes nouveaux de l’exploitation du livre sous format numérique, mais modifie également plusieurs dispositions essentielles propres au livre imprimé.

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