Portrait d’une professionnelle du numérique : Laurence Engel, médiatrice du livre en France
Depuis quelques mois, Lettres Numériques vous propose des portraits de lecteurs numériques de tous horizons. S’il est intéressant de se pencher sur les habitudes de lecture de chacun, nous avons décidé pour ce numéro de partir à la rencontre de professionnels dans le domaine. Rencontre donc avec Laurence Engel, médiatrice du livre en France, qui a récemment joué un rôle clé dans la réforme des offres de lecture en illimité en France.
Tout d’abord, pourriez-vous résumer rapidement votre parcours ? En quoi vous a-t-il préparée à la fonction de médiateur ?
Mon parcours professionnel m’a en effet préparée à la fonction de médiateur puisqu’il recouvre les deux parties du métier : d’un côté, la médiation, de l’autre la culture.
Tout d’abord, le métier de magistrat à la Cour des comptes m’a permis de pratiquer les fonctions de jugement et de tiers.
Ensuite, j’ai débuté mon parcours culturel dans l’audiovisuel en tant que conseillère technique, puis j’ai exercé dix ans à la ville de Paris, sur l’ensemble des secteurs des politiques culturelles, et notamment tout ce qui touchait au livre. J’ai ensuite été directrice du cabinet de la ministre de la culture durant deux ans (questions d’adaptation des outils culturels et plan librairie, adaptation et lois pour compléter le cadre législatif du prix du livre).
La fonction de médiateur du livre consiste principalement à régler les litiges relatifs à la loi du prix unique du livre, mise en place en 1981 en France. Cette fonction est pourtant quant à elle assez récente puisqu’elle a été créée en 2014. Avez-vous le sentiment qu’un tel poste aurait dû être mis en place plus tôt ?
Un médiateur avait été créé pour le secteur du cinéma dans les années 1980 pour soutenir les industries et illustrer l’exception culturelle. Cela n’a en effet pas été fait pour le livre à l’époque, mais depuis maintenant dix ans, les librairies le demandaient en prenant appui sur le succès de cette fonction pour le cinéma et en considérant que tous les éléments de la loi de 1981 n’étaient pas toujours appliqués. Il n’était pas du souhait des uns et des autres de solliciter les juges à chaque problème ou de pénaliser, d’où le besoin d’une fonction de médiation.
Depuis le début des années 2000, de nombreux travaux ont été mis en place. En 2012, le plan librairie a permis d’accélérer le processus pour la mise en place de la fonction de médiateur car tous les acteurs se sont réunis et ont pu en discuter. Il y avait une réelle volonté globale de traiter la question. En ce sens, le numérique a également joué un rôle déclencheur puisqu’il a également réuni tous les acteurs concernés.
Pensez-vous que cette fonction réponde à un réel besoin dans le monde de l’édition ? Avez-vous déjà fait l’objet de nombreuses saisies ? Si oui, de quel genre ?
Comme toute nouvelle fonction, elle s’est mise en place doucement, notamment car les acteurs ont d’abord dû en prendre connaissance.
Nous avons reçu une petite dizaine de demandes depuis le début. À celles-ci s’ajoutent de plus grandes questions qui nécessitent une réflexion plus poussée et où le médiateur doit réunir les acteurs autour de la table. Ça a été le cas pour les abonnements de lecture en illimité, et ça l’est également pour le commerce de livres sur les « marketplaces », à savoir les plateformes de vente en ligne. L’édition publique représente également un autre grand débat.
Le monde du livre numérique a suivi de près l’enquête entourant les offres d’abonnement de lecture en illimité. Globalement, vous estimez-vous satisfaite des négociations qui ont eu lieu ? A-t-il été difficile de réunir tout le monde autour de la table ?
Je suis en effet très satisfaite de cette médiation. Le rôle du médiateur est de savoir écouter, de prendre la position de tiers et de fournir ainsi un regard extérieur sur la question.
Tous les acteurs concernés, qu’il s’agisse des éditeurs ou des prestataires de service, ont fait preuve d’enthousiasme mais également d’une grande maturité. Cette médiation a réellement permis une réflexion commune sur la loi du prix unique et sur ses objectifs.
Hormis le fait qu’elles respectent désormais la loi du prix unique, avez-vous le sentiment que les offres d’abonnement en illimité soient une bonne chose pour le monde de l’édition ?
Ce sont, comme vous dites, deux questions distinctes. D’un côté se posait la question strictement juridique de la légalité des offres, telles qu’elles avaient été commercialisées. Or, précisément, elles n’étaient pas légales. Il ne s’agissait pas de porter un jugement de valeur, et encore moins moral sur le comportement des acteurs de la filière. En 1981, de la même manière, lorsque la loi nouvellement votée a conduit à remettre en cause les procédés de la Fnac ou de Leclerc, il ne s’est jamais agi de supprimer ces enseignes : la preuve, et heureusement, elles continuent de vendre des livres, mais elles ne le font plus au rabais.
De l’autre côté, vous posez la question de l’intérêt économique des offres d’abonnement : à cela, c’est aux acteurs de la filière de répondre, à commencer par les éditeurs. On a beaucoup dit que les abonnements étaient le seul moyen de développer le numérique, or rien ne le prouve ! En revanche, les offres d’abonnement, lorsqu’elles ne respectaient pas la loi, risquaient de conduire à une baisse excessive du prix des livres. Jusqu’à laisser entendre, comme cela se faisait, qu’ils étaient gratuits ! C’était dangereux.
Mais sur le long terme, nul ne sait ce que sera l’effet de ces offres. Comme pour d’autres secteurs, elles répondent à de nouvelles habitudes de consommation. Mais il ne faut pas oublier que les gens ne lisent pas comme ils écoutent de la musique ! Surtout, en ouvrant la concertation, ce qui m’a frappée, c’est que l’on se trouvait dans une sorte de mouvement non réfléchi. Par exemple, les acteurs impliqués n’avaient pas réellement réfléchi à la valeur du livre lorsqu’il est offert dans un service d’abonnement. Si l’on prend l’exemple du DVD, on a bien un prix d’achat, un prix de location à l’unité et un prix pour la SVàD. C’est ce travail d’analyse que les éditeurs vont devoir engager, et c’est une bonne chose.
Comment percevez-vous le marché du numérique face à celui du papier ? Que pensez-vous notamment du débat sur la différence de TVA entre papier et numérique ?
Quels que soient les arguments que l’on avance, à partir du moment où l’on souhaite une TVA réduite sur les produits culturels, qu’il s’agisse de livres ou autre, cette réduction doit s’appliquer à tous les formats existants. On ne peut pas différencier ce taux simplement pour une question de support, c’est avant tout le fond qui prime.
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— Mélissa Haquenne