Les 6es Rencontres de l’Édition numérique : quel bilan pour la BD numérique ?

Ce jeudi 17 mai se tenaient à la Plaine Images de Tourcoing les Rencontres de l’Édition numérique. Pour cette sixième édition, les différents exposés, tables rondes et workshops se focalisaient sur la numérisation du neuvième art puisque le thème de cette année était « BD numérique, hors des cases ? ». Le sujet vous intéresse, mais vous n’avez pas eu l’occasion de participer à l’événement ? Bonne nouvelle : Lettres numériques y était et vous propose un compte-rendu de cette intéressante journée !

Les Rencontres de l’Édition numérique résultent de la collaboration de différents acteurs importants du secteur du livre en France et en Belgique : elles sont proposées par l’Agence régionale du Livre et de la Lecture Hauts-de-France, l’Association des éditeurs Hauts-de-France, le Partenariat interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique en Belgique et la Plaine Images. Après s’être consacrée à divers aspects du livre et de l’édition numériques de manière globale, mais également à des types d’éditions plus spécifiques comme l’édition touristique, cette journée d’étude s’est, cette année, penchée sur l’impact de la révolution digitale sur la BD. Revenons sur les grandes tendances et idées qui se sont dégagées de ces rencontres !

Des formats dédiés

Actuellement, dans le domaine de l’édition BD franco-belge, les versions numériques des albums résultent souvent d’une transposition de leurs versions papier. Dans ce cas, l’expérience de lecture ne se révèle pas toujours très confortable pour le lecteur qui se retrouve devant un fichier de type PDF. Mais il existe d’autres formats, plus innovants, adaptés et permettant une lecture interactive. Lors des Rencontres de l’Édition numérique 2018, deux de ces formats ont été particulièrement mis en avant :

  • Le webtoon. Originaires de Corée du Sud, les webtoons sont des webcomics offrant des histoires courtes (sous forme d’épisodes) dans lesquelles le suspense est particulièrement développé. Destinés à être lus sur smartphones principalement, ils incitent le lecteur à « scroller » verticalement. Ainsi, il s’agit d’un format particulièrement adapté aux jeunes internautes, habitués à jongler avec leur téléphone pour découvrir le contenu qui les intéresse. Comme l’a expliqué Anne-Lise Combeaud, illustratrice pour des magazines jeunesse et adulte, le webtoon représente la possibilité de raconter une histoire via un autre mode de narration, de transmettre son message autrement.
  • Le turbomedia. À la fois dynamique et interactif, ce format offre un nouveau mode de lecture de BD sur écran. En effet, le turbomedia allie technologie et narration puisqu’il mêle animations, BD et même jeu vidéo. Dès lors, le turbomedia repousse les limites de la création : il est évolutif et permet aux auteurs de concrétiser une infinité d’idées. Cependant, comme l’a notamment signalé François Boucq, auteur emblématique de BD lillois, il est nécessaire de rester prudent face à ce format en n’abusant pas d’animations. En effet, l’expérience proposée par une BD doit rester celle de la lecture active, et ne pas devenir similaire au visionnage d’un dessin animé.

Avec ces nouveaux formats pleins de potentiel, les possibilités de création se multiplient à l’infini. Créer les albums de demain en les pensant à partir de ceux-ci (et non en adaptant les versions papier) permettrait de faire évoluer la BD et de développer l’attrait des lecteurs pour leur version numérique.

Les difficultés de financement

Un problème récurrent a pourtant été mentionné dans les témoignages de plusieurs intervenants : la difficulté, voire l’impossibilité, pour les auteurs de BD numériques de vivre de cette activité dans le domaine franco-belge. La grande majorité des auteurs présents publient également des BD papier ou exercent une activité autre, leur permettant de gagner leur vie. Cette difficulté financière met en exergue le décalage séparant le marché français des marchés américain ou coréen.

Bien plus, Mast, auteur et story boarder travaillant pour Marvel Comics, a par ailleurs souligné l’avancée du marché américain sur le marché français en matière de BD numérique. Il a en effet expliqué que, chez Marvel Comics, les BD sont d’abord pensées en version numérique avant d’être éventuellement adaptées sur papier. En France, la démarche est inverse, et il est encore nécessaire de créer le marché de la BD numérique : les grands éditeurs restent frileux quant à investir dans le numérique. De même, en Corée, la BD numérique représente un marché florissant, notamment grâce aux webtoons qui sont très populaires et constituent un enjeu économique important.

Le futur de la BD numérique

Quel futur envisager pour la BD numérique ? Au terme de cette journée sont apparus plusieurs défis pour l’édition BD numérique. Parmi ceux-ci, trois nous semblent être primordiaux :

  • La nécessité de se détacher des habitudes du format papier et de l’objet livre. Les habitudes de lecture changent, les possibilités d’interaction entre le lecteur et la BD deviennent infinies (grâce aux nouveaux formats). Dès lors, il est important d’adapter le contenu et la narration à ces nouveautés, dès la création. Il est également nécessaire d’adapter les prix des albums de BD numériques. Le marché de la BD papier se referme progressivement sur un public qui évolue peu : les personnes ayant les moyens de dépenser de l’argent dans des produits papier. Pour se développer, la BD numérique doit tendre à cibler un nouveau public, plus jeune et connecté, notamment via l’offre de streaming qui connaît un grand succès dans d’autres domaines de divertissement (pensons à Netflix et Spotify, par exemple).
  • La création de formations en BD numérique. Actuellement, l’offre pour ce type de formations est assez restreinte, et souvent intégrée à la formation à la BD papier. En Belgique, comme l’a expliqué Sacha Goerg, professeur dans le master Bande dessinée-Éditions à l’ESA Saint-Luc, les outils permettant la création de BD numérique sont présentés aux étudiants dans le cadre d’un cours relatif à la BD générale, mais leur utilisation est peu approfondie ensuite.
  • La lutte contre le téléchargement illégal. Le marché de la BD numérique est souvent qualifié de « confidentiel ». Lors de ces 6es Rencontres de l’Édition numérique, certains intervenants ont nuancé cette idée largement répandue. Ainsi, Luc Bourcier, dirigeant d’Izneo (une plateforme de bandes dessinées en ligne) a expliqué que le nombre d’albums BD téléchargés sur Internet est énorme, mais qu’il s’agit majoritairement de téléchargements illégaux. Dès lors, un des défis de l’édition BD numérique est de convertir ces usagers illégaux et de les séduire pour les inciter à acheter de manière légale des albums numériques. Vidu, auteur de turbomedia, réalisateur et infographiste 3D, a, quant à lui, soulevé un autre point interpellant : les BD disponibles sur Instagram ne sont pas considérées comme de vraies BD, alors qu’elles sont vues par des millions de lecteurs. En bref, la BD numérique attire bien plus de lecteurs que l’on pourrait croire !

 

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— Emilie de Sousa Oliveira

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