Regards croisés sur le prêt de livres numériques par des bibliothécaires qui n’en font pas

En mars denier, Lettres numériques vous rapportait l’expérience de prêt numérique mise en place par la Bibliothèque des Chiroux à Liège. Or, si les initiatives se multiplient, la majorité des bibliothèques n’ont pas passé le cap du numérique. Lettres numériques a décidé de donner la parole à deux établissements de prêt bruxellois et est parti à la rencontre de Stéphane Dessicy, bibliothécaire dirigeant des Bibliothèques de Schaerbeek et Johnny Colin, de l’Espace Maurice Carême à Anderlecht.

A propos de l’arrivée du numérique

Stéphane Dessicy : A l’heure actuelle, nous sommes dans une position attentiste par rapport au numérique notamment parce que nos plans de financement s’étalent sur cinq ans. Nous avons déjà commencé à réfléchir en équipe et nous prévoyons l’intégration du numérique dans nos bibliothèques pour 2013. Nous ne nous pressons pas parce que nous avons d’autres axes d’action prioritaires tels que l’accompagnement des primo-arrivants, la médiation scolaire, etc. Il faut dire que Schaerbeek est une commune multiculturelle avec une population issue de l’immigration. Nous comptons un taux important de faibles lecteurs dans notre commune. Le fossé entre ceux qui lisent et ceux qui ne lisent pas est déjà suffisamment important et demande qu’on s’y consacre.

Johnny Colin : Pour ma part, je connais bien la problématique du prêt de livre numérique puisque j’avais consacré mon mémoire de fin d’études à l’expérimentation qu’avait entrepris la bibliothèque de La Louvière l’année dernière. Nous avions fait tester la lecture numérique à différents groupes et les résultats avaient été surprenants. Par exemple, les personnes âgées d’un home de la région avaient été plus « emballées » par ce support de lecture que les jeunes de la bibliothèque. Selon moi, les bibliothèques ont pour objectif de vulgariser la lecture numérique, elles ne doivent pas se braquer, ni se faire dépasser par les évènements. Dans un tel cas, elles risqueraient de se faire remplacer par les ventes en ligne ou le piratage. La plus-value du bibliothécaire réside dans la sélection des lectures qu’il propose et le conseil adapté qu’il peut apporter à chaque lecteur.

Comment voyez-vous l’intégration du numérique dans votre bibliothèque ?

S.D. : On envisage surtout de jouer un rôle pédagogique, de mettre des tablettes ou des liseuses à disposition du public dans les bibliothèques ou en prêt. On organiserait surtout dans un premier temps des activités de sensibilisation, des formations, des conférences pour apprendre à lire sur un nouveau support mais également pour susciter un regard critique avant de mettre des outils à disposition du public. Tel qu’on le présage, dans 10 ans, nous serons massivement actifs dans le numérique que ce soit avec du téléchargement ou du prêt mais nous préférons pour le moment prendre le temps de nous informer pour prendre les bonnes décisions.

J.C. : On sait que le numérique sera compliqué à mettre en place. Il existe différents modèles envisageables que la majorité d’entre nous ne connait pas. Notre mission est d’offrir le meilleur service possible à nos usagers en fonction de leurs intérêts que ce soit via le prêt de livres numériques ou l’abonnement à une plateforme. L’arrivée du livre numérique dépendra donc de notre public et des objectifs de la bibliothèque.

Quels sont les livres numériques susceptibles d’attirer majoritairement l’attention de votre lectorat ?

S.D. : Nous analysons les différentes offres actuelles pour être sûrs de répondre aux envies de nos lecteurs. Je pense que les livres lus en classe et les bandes dessinées connaitront sans doute le plus de succès et nous sélectionnerons probablement nos ressources en conséquence.

Quelles sont les préoccupations de votre équipe face au livre numérique ?

S.D. : Forcément, le numérique laisse entrevoir des points de tension motivés par la peur de l’inconnu. Nos équipes redoutent notamment une charge de travail plus élevée ou le fait de ne pas avoir les compétences suffisantes pour encadrer de tels développements.

J.C. : Nous souhaitons surtout intégrer le numérique dans nos projets en cours. Bien sûr, certains bibliothécaires sont réticents à l’égard du numérique mais c’est un mode de lecture complémentaire aux autres. Je me souviens combien le projet-test de la bibliothèque de La Louvière a été décrié et pourtant il a fonctionné à tel point que d’autres ont suivi. Pour gérer une telle transition, nous avons besoin de personnes expérimentées, compétentes et intéressées par le livre numérique. Je redoute quelque peu la position frileuse des éditeurs qui bloquent les solutions de prêts, nous attendons des solutions claires, pratiques et complètes pour nos usagers. Ils auraient tellement à y gagner !

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— Stéphanie Michaux

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Stéphanie Michaux

Digital publishing professional