Coup de gueule d’une lectrice numérique

Madame C. est une lectrice numérique au profil de prime abord atypique par rapport à celui qu’on imagine habituellement. Âgée de 77 ans, elle a adopté le livre numérique depuis 3 ans. Chaque semaine, elle dévore 2 livres sur sa liseuse, que ce soit des romans, des biographies ou des livres d’histoire et de sociologie. Mais Madame C. est aussi une lectrice en colère. Pourquoi ? Parce qu’elle a l’impression que les éditeurs et les libraires font tout pour lui compliquer la vie. Elle explique son point de vue pour Lettres numériques et inaugure notre série de « portraits de lecteurs ».

Récemment, j’ai cherché en vain le dernier livre de Joël Dicker, « La vérité sur l’affaire Harry Quebert », prix Goncourt des lycéens et Grand Prix de l’Académie française, en version numérique. Il n’existe pas. J’ai trouvé cela complètement fou. Alors, bien sûr, je ne vais pas m’empêcher de le lire mais je vais attendre la sortie de la version poche. On m’a expliqué que l’auteur et l’éditeur original voulaient protéger les libraires traditionnels, mais ils ne protègent personne en boycottant le livre numérique. Les gens lisent moins, c’est un fait. Il ne faut pas empêcher ceux qui veulent lire de le faire, peu importe le support.

Pourquoi avez-vous succombé à l’appel du numérique ?

Il y a 3 ans, un peu par hasard, je regardais des livres à la Fnac et la liseuse Kobo a attiré mon attention. Je voyage beaucoup et l’idée de ne pas avoir à transporter autant de livres dans une valise dont le poids est limité m’a séduite.

Lors de mon dernier déménagement, j’ai dû me défaire de 450 livres. Le m² coute cher à Paris et, avec les années, les livres s’entassent. Le numérique, c’est fabuleux : vous pouvez stocker un nombre infini de livres sur un disque dur. Cependant, lorsque j’ai voulu relire les œuvres de Camus et Malraux, impossible de les trouver au format numérique ! Je me suis dit : « À quoi pensent les éditeurs ? Pourquoi numériser des nanars sans valeur et ne pas commencer par les grandes œuvres ? » Mais le constat est le même pour les classiques américains. S’il faut 50 ans pour numériser un auteur important, il tombera forcément dans l’oubli.

Comment choisissez-vous vos livres et où les achetez-vous ?

Je choisis mes livres dans des librairies. J’ai besoin de les feuilleter, de confronter les critiques que j’ai lues dans les journaux ou écoutées à la radio à l’avis des libraires. Mais lorsque je leur demande si une version numérique existe, ils ne peuvent pas me répondre ou ils m’envoient paitre. Je me suis déjà dit plusieurs fois : « Il faudrait un sigle apposé sur les couvertures pour que l’on sache si une version numérique existe. » Même à la télé, je regarde souvent l’émission La Grande Librairie, on n’indique pas si le livre est disponible en numérique.

J’ai renoncé à acheter des livres numériques à la Fnac tant la procédure pour obtenir un fichier est complexe. Désormais, je télécharge mes ebooks via le site d’ePagine, Chapitre.com ou directement sur les sites des éditeurs.

Que déplorez-vous dans le monde du livre numérique ?

L’ebook, personne ne sait ce que c’est. On ne fait pas de publicités pour les liseuses. Lorsque je parle des livres numériques autour de moi, mes amis ou connaissances me demandent de quoi je parle. Ils trouvent cela formidable mais n’en avaient jamais entendu parler. C’est normal, on n’en parle pas. Pourtant c’est facile à transporter et idéal pour lire, on peut agrandir les caractères, lire dans le noir. Néanmoins, rien n’est fait pour simplifier la vie du lecteur. Amazon n’est pas capable de faire une tablette universelle. Il faut faire 4 ou 5 manipulations pour lire un ePub acheté sur ePagine sur un Kindle. Forcément, ça décourage le lecteur. C’est quand même aberrant, si on veut qu’on achète, il faut nous donner à lire et faciliter l’accès à l’offre actuelle.

Et vous ? Partagez-vous ce constat ? Quel est votre sentiment en tant que lecteur numérique ?

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— Stéphanie Michaux

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Stéphanie Michaux

Digital publishing professional

5 thoughts on “Coup de gueule d’une lectrice numérique

  • 15/02/2013 at 08:20
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    Bonjour.

    Comme Madame C. je suis souvent énervé de ne pas trouver tous les livres en numérique.

    Mais contrairement à elle je n’attend pas la version poche … j’utilises le circuit du piratage.

    Tant que les éditeurs n’aurons pas compris que ralentir l’adoption du numérique avec des prix aberrants des DRM énervant ou des sortis à des date différentes de la version papier sont contre productifs et encouragent le piratage, le livre numérique décollera sans eux.

    Il et étonnant de voir qu’ils font les même erreur que l’industrie du disque au début des MP3, ce qui vais donner la situation de normalisation du piratage que l’on connait actuellement.

  • 15/02/2013 at 13:22
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    Tout à fait d’accord sur la complexité de l’écosystème. Les formats propriétaires ou liseuses attachées à des plateformes courent le risque de tuer dans l’oeuf le marché du livre numérique. Je me demande souvent comment les gens font pour ne pas se décourager quand ils constatent les difficultés liées à l’interopérabilité des plateformes et des machines et des fichiers…

  • 15/02/2013 at 20:42
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    Je comprends parfaitement la déception de Madame C. Sur le forum d’Amazon Kindle où nous discutons souvent de ce genre de questions, une lectrice hollandaise voulait aussi se procurer le dernier Dicker en numérique, mais je lui avais expliqué que les éditeurs du suisse disaient vouloir « protéger les libraires ».

    Les libraires sont réticents, et ça se peut s’expliquer. Ils pensent que le livre numérique causera la perte des libraires traditionnelles, tout comme la musique numérique a entraîné la chute des disquaires. Cependant, les pratiques numériques que l’on observe aujourd’hui tendent à invalider ces inquiétudes.

    On sait aujourd’hui que la lecture numérique s’envisage plus comme un complément de la lecture papier. Pourtant féru de numérique, je crois que l’an dernier j’ai acheté 75% de livres papier et 25% de livres électroniques. Aussi, on constate qu’on ne lit pas tous les genres en numérique. Dans le top 100 d’Amazon (qui est la référence dans la vente de livres électroniques), les genres qui reviennent souvent sont la littérature sentimentale (au sens large du terme) et le policier. Les essais sont très peu vendus en numérique.

    Donc la crainte que le numérique vienne supplanter le papier me paraît aujourd’hui infondée. Même la réticence par rapport au piratage est aujourd’hui infirmée par les faits. Les gens ne piratent pas tant que ça les livres numériques, et même quand ils le font ils ne le lisent pas toujours jusqu’au bout.

    J’imagine ce que Madame C. vit quand elle dit qu’elle a l’impression qu’autour d’elle les gens découvrent à peine ce que sont les ebooks ou les liseuses. Au États-unis, les choses décollent. En France ou en Belgique, il faudra encore du temps et un changement de mentalité de la part des éditeurs…mais les choses changent petit à petit.

  • 16/02/2013 at 15:27
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    Constat tout à fait juste.
    J’ai toujours l’impression que les éditeurs ne lisent pas d’ebooks, que les grands distributeurs comma la FNAC n’ont jamais essayé de se mettre dans la peau d’un client en achetant et utilisant les ebooks qu’ils vendent.
    Concernant Joël Dicker, « La vérité sur l’affaire Harry Quebert », le seul résultat de son attitude et de celle de son éditeur a été que quelqu’un a fait l’ebook a sa place dans les réseaux pirates où il est disponible. Bref, ils n’ont rien protégé du tout, ils encouragent simplement les lecteurs à utiliser des réséaux non légaux…

  • 16/02/2013 at 20:42
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    Je suis d’accord sur le manque d’information autour du livre numérique, mais on peut tout de même comprendre que les libraires ne soient pas enthousiastes pour indiquer l’existence éventuelle d’un format numérique pour un livre.
    Il y en a très peu qui ont un site pour distribuer les livres numériques (ce que je déplore), et ils préfèrent forcément qu’on achète le volume papier.

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