Le métier d’écrivain bientôt remplacé par des intelligences artificielles ?

Ce 16 novembre 2018, le magazine économique anglais Quartz a publié un article intégralement écrit par une intelligence artificielle : « Amazon has everything it needs to make massively popular algorithm driven fiction ». Cette expérience a ainsi permis d’évaluer les capacités d’une IA en termes de génération de texte : force est de constater qu’il y a encore matière à amélioration.

Ayant laissé le contrôle du contenu de son site à ce robot, Quartz souhaitait avant tout mettre en avant la compétence de l’IA dans la génération d’articles. L’article ainsi produit, qui fait plus de 1000 mots, est cependant assez mal écrit : décousu et sans réel fil conducteur, il donne l’impression d’une superposition de faits n’aboutissant à aucune conclusion réfléchie. Cet exemple de maîtrise imparfaite de la part de l’IA devrait sans nul doute rassurer auteurs, journalistes et autres écrivains.

À quand l’avènement de l’écrivain artificiel ?

Si cette expérience démontre que l’écriture par IA est encore loin d’être au point, elle indique cependant que ce genre de performance semble inéluctable dans un futur plus ou moins proche. Elle n’est d’ailleurs pas neuve, puisque les ordinateurs écrivent des histoires depuis plus de 30 ans et ne sont de toute évidence pas prêts de s’arrêter. Pour l’instant, aucun d’entre eux n’est encore parvenu à produire une fiction digne d’un écrivain. Mais la tendance pourrait bientôt s’inverser, après un événement qui a beaucoup fait parler de lui en 2016 : un robot a réussi à passer les premières étapes de qualification dans un concours littéraire national au Japon. Cette IA, créée par une équipe de chercheurs dirigée par Hitoshi Mastubara de la Future University Hakodate, a produit un récit structuré, quoique présentant quelques lacunes au niveau de la description des personnages.

Pour bientôt donc ?

Bien qu’impressionnante, cette évolution se doit d’être contrastée avec les échecs fracassants qu’a connus ce domaine. Ainsi, Zach Trout, un ingénieur fan de Games of Thrones, a créé une IA entraînée à prédire la suite de la saga. Le résultat s’est révélé déplorable : « une technologie pour entraîner un générateur parfait de texte qui peut se souvenir de millions de combinaisons de mots différents n’existe pas encore ». Une tentative similaire a été tentée avec la saga Harry Potter et l’échec fut aussi navrant qu’hilarant. Tout un chacun peut s’essayer à ce type de création en suivant ce tutoriel.

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Une tentative de suite de la saga Harry Potter par une intelligence artificielle.

Certaines contraintes à la fois techniques et socio-économiques empêchent ce type de technologie d’évoluer. En effet, comme souligné par Zach Trout, il y a d’abord un frein technologique. Une intelligence artificielle manque de compréhension du contexte et ne percevra ni l’ironie ni les sarcasmes. Cependant, selon Bjorn Schuller, expert en intelligence artificielle, ce fossé serait doucement en train de se combler grâce à l’intelligence émotionnelle et au big data. Ceci dit, il faudrait compter encore plusieurs dizaines d’années avant de parvenir à un résultat concluant.

Même si cet enjeu technologique devait être surpassé, il faut aussi souligner le manque d’investissement dans ce secteur : il n’y a pas assez d’argent en jeu pour motiver une firme à créer ce type d’IA. Le marché du livre est en effet loin de dégager des profits aussi élevés que d’autres secteurs comme le jeu vidéo ou la finance, et les géants comme Amazon ne considèrent pas ce chantier comme une priorité.

Et si l’on voit apparaître dans les nouveautés littéraires des ouvrages estampillés « IA », il sera fort à parier que ces livres auront été écrits par de « fausses IA » ou des « écrivains fantômes ». En effet, l’effet de mode provoqué par cette technologie a déjà poussé de nombreuses start-ups à faire travailler des personnes à la place d’intelligences artificielles.

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Alors, quelle place pour l’IA dans l’écriture de fiction ?

À défaut d’écrire directement et intégralement une œuvre, l’IA pourra contribuer à sa rédaction en aidant l’auteur. En effet, les IA tirent parti d’immenses bases de données et pourront, à terme, offrir plusieurs fonctionnalités intéressantes. Dans le cas d’Amazon et du big data, l’IA pourrait fournir les caractéristiques d’une fiction susceptible de devenir un best-seller. Plus originale, une IA peut aussi assister le travail de l’écrivain en terminant ses phrases à sa demande. Selon Robin Sloan, à l’origine de cette invention, ce robot est efficace parce qu’il a été programmé à partir de ses propres mots, phrases, et imagination. Les résultats proposés sont donc tantôt satisfaisants, tantôt surprenants, mais toujours intéressants.

Les auteurs ne sont donc pas prêts de ranger leurs plumes pour plier l’échine sous un joug robotique. L’imagination, le talent et l’imprévisibilité de l’être humain lui donnent un avantage certain sur une intelligence artificielle le plus souvent limitée à des bases de données circonscrites et à des algorithmes définis. Cependant, il est important de s’intéresser aux progrès en la matière, car l’auteur de demain pourrait bien s’en servir pour donner forme à ses idées.

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— Jean Cheramy

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