Livre audio : quels enjeux juridiques et fiscaux ? (Partie 2)

Associant texte et oralité, support physique et numérique, le livre audio constitue un support hybride dont le cadre juridique n’est pas encore bien établi : quel type de contrat s’applique entre l’éditeur et l’auteur ? Quels sont les enjeux juridiques et fiscaux au niveau de l’exploitation d’un tel support ? Quels chantiers reste-t-il à mettre en œuvre pour clarifier son statut juridique ? Valérie Lévy-Soussan (PDG d’Audiolib et vice-présidente de la commission livre audio du SNE), Liliane de Carvalho (responsable juridique du groupe Madrigall) et Damien Couet-Lannes (juriste SGDL auprès des auteurs de l’écrit) ont abordé toutes ces questions en juin dernier, à l’occasion de la rencontre interprofessionnelle autour du livre organisé par La Plume de Paon et la SGDL.

  • Du point de vue de l’éditeur

Quel type de contrat, quelles modalités ?

Lorsque l’éditeur premier délègue la production du livre audio à un autre éditeur, le contrat qui les lie correspond à un contrat commercial classique de cession de droits. Comme l’explique Liliane Carvalho, la durée de cette cession de droits varie selon les pratiques des éditeurs et le projet concerné : elle peut être de dix ans ou beaucoup plus longue. Une clause de rémunération est prévue, soit sur les recettes perçues, soit sur le prix payé par le public. Comme il s’agit d’un contrat commercial, il comprend moins de règles protectrices que celui qui lie l’auteur et l’éditeur. Valérie Lévy-Soussan soulève toutefois la question des textes traduits : il arrive que se pose un problème d’alignement entre la durée des droits de l’éditeur français et ceux de l’éditeur d’origine.

Exploitation du livre audio : quels enjeux pour l’éditeur ?

Quelles taxes appliquer au livre audio, alors que ce support se situe à la frontière de plusieurs types d’exploitations ? En effet, le disque est normalement associé à la musique, ce qui implique un certain taux de TVA (19,6 % contre 5,5 % pour le livre imprimé), un certain modèle de distribution et des prix variables… Qu’en est-il du livre audio ?

Le prix du livre audio : vers un prix unique ?

Comme nous l’explique Liliane Carvalho, une fois que la situation contractuelle est établie entre l’éditeur et l’auteur, et que l’éditeur a fait le choix d’une exploitation du livre audio, celui-ci a une obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre, ce qui signifie qu’il doit tout mettre en œuvre pour l’exploiter commercialement. Pour ce faire, il faut d’abord fixer un prix. Grâce à un organisme de régulation mis en place par la loi Lang de 1981, le livre imprimé bénéficie d’un prix unique afin de protéger le secteur. Une question essentielle se pose par rapport au livre audio : cette loi peut-elle lui être appliquée, en tant que déclinaison du livre imprimé ? Si cette vision peut très certainement se justifier, le livre audio n’est cependant pas encore couvert par ce texte, qui s’applique donc strictement aux livres imprimés.

Les éditeurs doivent donc fixer un prix, qui est le prix conseillé. Le marché actuel est régulé de manière à ce que ce prix soit respecté par les détaillants qui proposent les livres audio. Il faut cependant, au moment de fixer ce prix, garder à l’esprit qu’un détaillant qui n’aurait pas appliqué ce prix ne peut être sanctionné, en vertu du droit de la concurrence qui garantit la libre fixation des prix. L’éditeur donne donc une indication, qui est considérée comme une exception au droit de la concurrence.

madrigall

La question de la TVA

Depuis 2009 et le vote d’une directive européenne à la demande de la Suède, très friande de ce format, les livres audio physiques (sur CD ou clés USB) bénéficient d’un taux de TVA réduit (5,5 %), à l’instar des livres papier. La question du champ d’application de ce taux réduit a cependant fait l’objet de nombreuses discussions au niveau européen en ce qui concerne le livre audio dématérialisé. Après des mois de blocage par la République tchèque (qui cherchait ainsi à faire pression sur un autre dossier, celui de l’autoliquidation de la TVA), les pays membres sont enfin parvenus à un accord (voir notre article sur le sujet ici) pour l’application d’une TVA réduite sur l’ensemble des publications numériques.

Cette nouvelle directive aura aussi un impact sur les livres audio sur support physique dérivés d’un ebook, puisque jusque-là, ils ne bénéficiaient pas non plus de ce taux réduit. La TVA réduite s’appliquant en effet dans le cadre d’une exception culturelle interprétée de manière restrictive, le législateur considérait qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’aux œuvres ayant premièrement fait l’objet d’une publication papier. Comme le remarque Damien Couet-Lannes, c’est une véritable discrimination pour un « éditeur pureplayer qui veut faire du livre audio physique et ne peut le commercialiser avec une TVA à 5,5 % ».

Livre audio numérique : la question du piratage

L’éditeur a l’obligation de protéger les œuvres de son catalogue : or, on l’observe sur certaines plateformes, le piratage de livres audio est monnaie courante.

En cas de piratage, l’éditeur a un devoir de signalement, un processus rationalisé grâce à l’initiative du SNE, qui a conclu un partenariat avec la société Suris pour mettre en place des notifications automatisées auprès des plateformes de vente. Cependant, ce signalement n’est pas forcément efficace : en effet, une loi permet aux plateformes de s’abriter derrière le statut d’hébergeur et de ne pas se considérer comme responsable des contenus qui y sont publiés : s’ils sont obligés de retirer le contenu, rien ne les empêche de les republier par la suite. Il y a donc un véritable travail législatif à mener sur ce front, déjà entamé avec la réforme du droit d’auteur adoptée en septembre dernier (pour relire notre article sur le sujet, c’est par ici).

Le prêt en bibliothèque

En parallèle de l’exploitation normale de l’œuvre, il existe une autre exploitation : celle du prêt. En ce qui concerne le livre audio sur support physique, « il existe une situation de fait qui n’est pas encore clarifiée sur le plan juridique », comme le déclare Liliane de Carvalho : les EAN des livres audio étant identifiés de la même manière que ceux d’un livre papier, ils entrent dans le champ d’application du droit de prêt. Quand une médiathèque achète des livres audio, l’argent transite par des marchés publics, par l’intermédiaire d’un grossiste ou d’un libraire. Le libraire fait alors une déclaration qui permet de reverser le droit de prêt : une rémunération peut donc être versée à l’auteur via une société de gestion collective telle que la Sofia, soit directement, soit via l’éditeur.

Pour que le livre audio entre dans le mécanisme de gestion collective au titre du droit de prêt, il faut qu’il y ait un contrat d’édition et une TVA à 5,5 %. Dans le cas des livres audio tirés d’un livre numérique, l’on se trouve à nouveau face à un problème. En effet, un certain nombre de livres audio sont des enregistrements inédits, de conférences par exemple : si l’on s’en tient à la loi stricto sensu, ces livres ont une TVA à 20 %. Est-ce qu’ils rentrent dans le droit de prêt ? Comment communiquer sur ces livres auprès des libraires ? Doivent-ils faire l’objet d’une double gestion de la part de l’éditeur ? En tant qu’objet hybride, le livre audio n’est pas pleinement considéré comme un livre et ne bénéficie donc pas des mêmes avantages alors qu’il constitue tout autant un produit culturel.

En conclusion, la diffusion du livre audio pose une véritable question : selon Valérie Lévy-Soussan, « il s’agit d’une exploitation à part entière qui doit, à ce titre-là, faire l’objet d’une autorisation de la part de l’éditeur. Des circuits sont prévus pour la musique qui n’existent pas pour le livre audio : ce sont des chantiers à lancer dans le cadre de la commission livre audio pour faciliter ce genre de droits, notamment dans un cadre pédagogique. »

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— Elisabeth Mol

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