Lucille Calmel : Performance numérique et écriture vivante

Depuis presque 30 ans, Lucille Calmel expérimente un vaste ensemble de pratiques contemporaines partant des corps jusqu’aux ordinateurs. Performeuse, metteuse en scène, écrivaine, artiste numérique, professeure et curatrice, Lucille Calmel mène une activité artistique proliférante depuis 30 ans. Retour sur le parcours d’une artiste plurielle.

Lucille Calmel commence à Montpellier, où elle codirige la compagnie théâtrale Myrtilles ainsi que .lacooperative, lieu de recherche transdisciplinaire. Elle s’implante ensuite à Bruxelles dès 2005, où elle développe en chair et en ligne des performances, laboratoires et événements autour de la poésie sonore et visuelle, des musiques expérimentales et des scènes numériques.

Une écriture vivante

Les travaux de Lucille Calmel comportent de nombreuses pistes de lecture. L’artiste s’interroge sur la nature de l’écriture en s’aidant de divers outils tels que le théâtre, la danse, la voix et le numérique. Le résultat de ses recherches est une écriture vivante, basée sur le ressenti, se situant dans une dimension picturale au-delà de toute logique littéraire.

En effet, les mots sortent de leur support principal qu’est le livre, se réincarnant en d’autres formes : l’écriture vivante se projette des pensées et se crée au moment même, et disparaît aussi vite qu’elle ne se crée. C’est un « art dont l’enjeu est de résister à ses propres traces ».

Pour Lucille Calmel, l’origine de cette écriture vivante est l’apparition des ordinateurs, des logiciels de traitement de texte et surtout des chats, permettant l’écriture collective et en direct avec d’autres personnes partageant toutes le même écran. Continuant sa démarche d’interrogation sur les nouvelles technologies, Lucille Calmel accompagne ainsi ses textes de différents médiums sonores ou visuels. Dans Séquence horizontale, l’un de ses poèmes sonores, il s’agit d’allumer la musique proposée et de lire le texte simultanément. Les failles et bugs des ordinateurs sont également recherchés afin d’ajouter des textures et dimensions différentes dans l’œuvre textuelle ou performative.

La fusion de l’homme et de la machine

Lucille Calmel joue aussi sur le rapport qu’il y a entre la corporalité et la machine, ou le besoin de fusion avec celle-ci. En effet, l’ordinateur est tellement ancré dans notre intimité que désormais, nous dormons avec. La performance Sound death of an iBook G4 illustre bien ce concept. Nous pouvons y voir l’artiste mettant en scène la décomposition de son ordinateur « mort » à l’aide de tournevis et marteaux, à la manière d’une dissection où les différentes pièces sont comparables à des organes, prolongement de la machine vers le corps et inversement.

Internet et l’intime surexposé

Une autre dimension importante dans les performances de Lucille Calmel est le rapport au temps, à l’acte présent, à l’état psychique et corporel du moment. Il n’y a pas de hiérarchie du style technique au service de l’art. Cette idée de « démaîtrise » des techniques renforce la porosité existant entre la vie elle-même et l’art : les mises en scène rendent visible la sphère privée, donc l’intimité de la performeuse.

Avec l’avènement des divers réseaux apportés par Internet, la période est à l’intime surexposé : le « moi » devient plus que jamais spectacle. En 2008, Lucille Calmel tente de relier la scène du Web à celle du théâtre avec sa performance en ligne et en live Jetedemandedemedemander. Dans cette intimité publique, elle se met personnellement en scène au théâtre Paris-Villette, filmée par une webcam à travers laquelle les internautes peuvent l’observer et interagir avec elle via différents canaux. À travers cette performance, Lucille Calmel constitue un espace d’expérimentation avec textes, sons, montages, captures d’écran, etc. Le but est de faire exister le réseau mouvant d’Internet sur une scène de théâtre, à un moment donné, avec un public physique et non virtuel, sans disposer pour autant d’une marche à suivre préétablie.

Lucille Calmel aujourd’hui

Actuellement, Lucille Calmel continue son projet Sansespace (previously on), une installation audiovisuelle élaborée à partir de dix ans de captures d’écran de 250 séries TV.

Une première vidéo Sansespace a été créée lors de la rétrospective de Calmel en 2015 à Murcie, en Espagne. En mai 2019 paraît When I’m bad, I’m better, une monographie focalisée sur ses travaux numériques. Et enfin, cette même année, la performeuse se lance également dans un nouveau projet de recherche artistique intitulé L’Animal que donc je suis. Celui-ci interroge la « création avec ou pour des animaux non humains au sein de l’art de la performance » en mixant les connaissances apportées par les penseurs de l’art performance et des sciences animales, parmi d’autres.

Crédits photo à la une : © Lucille Calmel, capture d’écran, Bureau constellé de torrents, 2015.

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— Karolina Parzonko

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