Loterie solaire* (Titre provisoire) : une nouvelle approche du spectacle vivant

Depuis sa création en 2012, la GOSH Cie cherche avant tout à proposer des spectacles inscrits dans l’air du temps : s’inspirant de références culturelles diverses, elle élabore des projets au carrefour de plusieurs disciplines, où les nouvelles technologies jouent un rôle prépondérant. Avec Loterie Solaire* (Titre provisoire), un spectacle qui mêle théâtre, jeu vidéo et numérique, le spectateur prend pleinement part à la performance. Rencontre avec Mathilde Gentil, directrice de la GOSH Cie et metteure en scène du projet.

Lettres Numériques : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours ?

mathilde_gentil_portraitMathilde Gentil : Je suis metteure en scène et je dirige la GOSH Cie depuis 2012. Comédienne, metteure en scène et directrice artistique, je me suis formée au Samovar, à l’Atelier Théâtral de Création auprès de Françoise Roche, à l’Institut d’Etudes Théâtrales en suivant notamment les ateliers d’Agnès de Cayeux, de Jean-François Peyret et d’Antoine Caubet. Après avoir travaillé avec différentes compagnies en tant que comédienne et metteure en scène, j’ai créé ma propre structure en 2012 pour y mener des projets de recherche et de spectacle. Mon travail s’appuie sur la notion de réseau et sur l’utilisation d’internet comme outil d’interaction et d’écriture dans la performance théâtrale.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la GOSH Cie ? Comment est-elle née ?

La GOSH Cie est une fabrique de spectacles vivants. Nous travaillons principalement sur des dispositifs interactifs, pour la scène et pour le web, dans lesquels les spectateurs peuvent influencer le cours de la représentation. Pour ce faire, nous avons une approche pluridisciplinaire qui puise ses références dans la littérature et le cinéma, mais aussi dans les sciences sociales ou encore les jeux-vidéo, et qui intègre une forte dimension d’expérimentation avec l’ensemble de l’équipe artistique et technique.

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Celle-ci est d’ailleurs née à l’occasion d’un premier laboratoire de recherche autour de la question de l’interactivité au théâtre qui marquera la direction artistique de la compagnie. À l’origine, j’avais écrit une pièce qui fonctionnait comme un « roman dont vous êtes le héros » : chaque séquence proposait plusieurs issues possibles dans un scénario en arborescence. De ce projet est seulement resté un questionnement, autour duquel nous ne cessons depuis d’élaborer, celui de l’expérience du spectateur dans un dispositif théâtral qui serait connecté, permettant ainsi, d’une certaine façon, d’« augmenter » la scène. Il s’agit finalement d’en bousculer ses codes : ceux des spectateurs en leur laissant une part active dans la dramaturgie, un rôle et une place inédite au théâtre ou encore en leur donnant accès en streaming à une œuvre se jouant à 50 km de chez eux. Ce type de travail vient aussi bousculer les codes des acteurs et de la régie. Car interpréter une pièce dont, à chaque instant, on ne sait pas ce qui va suivre demande une méthodologie de création d’abord et d’interprétation ensuite. De projet en projet, cette méthodologie s’affine et s’enrichit. Les dispositifs en streaming et/ou interactifs proposés dans le cadre de nos performances sont à chaque fois différents. Le projet Utopie(s) mené en 2016 avec le concours du Château Ephémère et avec le soutien d’Arcadi nous a d’ailleurs permis de travailler en ce sens : s’emparer des technologies grand public et à disposition, pour inventer des modalités d’écriture, de diffusion et de communication avec le public. Un public présent en salle ou non, un public rassemblé ou dispersé… À ce moment-là, nous avons pu poser des mots sur ce que nous cherchions à produire.

Le concept de « performance interactive en réseau » consiste à proposer une œuvre vivante jouée par des acteurs en direct et qui met en relation un espace physique et un espace numérique dans lequel le spectateur peut interagir afin d’en modifier le cours.

À partir de là, cela peut prendre plusieurs dimensions différentes, en fonction des projets et de ce que nous avons envie de raconter. Le dispositif technique venant avant tout soutenir, défendre et enrichir le propos.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet Loterie Solaire* (Titre provisoire) ?

J’avais envie de travailler sur la science-fiction. Avant de lancer le projet, je suis tombée sur Ubik [roman de science-fiction écrit par Philip K. Dick, ndlr]. J’ai tout de suite poursuivi avec la lecture de la biographie de Philip K. Dick dans laquelle il est dit que Loterie Solaire, écrit en 1955, est son premier roman publié et qu’il prenait place dans un monde basé sur le hasard et la théorie des jeux. Nous venions d’achever le projet Utopie(s) dans lequel nous avions travaillé sur cette théorie au travers du « Dilemme du prisonnier » que nous avions tenté de mettre en scène au théâtre. Un bel exemple de synchronicité… Mais surtout, l’un des personnages du livre se trouve être une marionnette, un robot piloté à distance par une équipe de techniciens triés sur le volet ; soit l’exemple parfait du dispositif technique sur lequel nous travaillons. Et c’est comme ça que la création a démarré !

Loterie Solaire* (Titre provisoire) est un projet protéiforme qui se situe au carrefour du théâtre, du jeu vidéo et du numérique. Le spectacle se présente sous forme d’un jeu interactif diffusé en temps réel sur internet et dans lequel les spectateurs ont un rôle à jouer. Œuvre d’anticipation politique, le roman met en scène une société entièrement soumise au hasard et régie par le « principe du minimax » ; chacun cherchant alors à établir la meilleure stratégie possible pour se maintenir dans le système. On découvre notre monde en 2203 : un système social et un régime politique fonctionnant par loterie, dans lequel perdurent pourtant inégalités, jeux de dupes et manipulations. S’inspirant de la théorie des jeux, PKD imagine une société où le dirigeant du système est un « meneur de Jeu » tiré au sort de façon aléatoire et propulsé du jour au lendemain à la tête « des Neufs Planètes ». Il doit lutter pour sa survie face à l’assassin public, alors élu pour l’éliminer.

Le changement de pouvoir devient un sport national ultramédiatisé où tous les coups sont permis… Car quand le jeu est truqué, ne vaut-il mieux pas tricher ?

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Source : www.gosh-cie.com

Quels sont les différents acteurs qui ont participé à ce projet ?

Pour la conception du dispositif technique, nous sommes 5 : je m’occupe du texte et de la mise en scène, Cédric Carboni (directeur technique et créateur sonore) du dispositif streaming, de la plateforme et du son, Boris Carré (réalisateur) de la vidéo et du montage, Louise Douet-Sinenberg (scénographe) de la scénographie et des costumes et Lucien Vallé (créateur lumière) de la création lumière. Il y a aussi les acteurs, un compositeur musical et un chef de projet digital qui nous aide à harmoniser l’ensemble des éléments du projet. Une grande partie de mon travail d’écriture et de conception se fait également en collaboration avec Le Ludomaker, le fablab de l’université Paris XIII dédié à la création de jeu. Les mécaniques et principes du jeu qui sont au cœur du spectacle sont travaillés avec Nicolas Pineiros, directeur du fablab et game designer.

Nous sommes par ailleurs soutenus par le CNC-DICREAM, La Paillasse (laboratoire d’innovation participatif) où j’ai été en résidence d’écriture au démarrage du projet, le Lieu Multiple à Poitiers qui nous accompagne sur les questions techniques et de développement web, le 104 & le Carreau du temple qui nous ont accueillis en résidence de création en 2017/2018. Cette saison, nous sommes soutenus par les Subsistances à Lyon via le labo NRV et par AADN dans le cadre de leur accompagnement « Scènes hybrides 2018 ».

Le cœur de la scénographie, présente sur scène et à l’image sur internet, est une ville miniature. La représentation de ce monde de 2203 miniaturisé est un objet de jeu dans tous les sens du terme : un objet du jeu politique auquel s’adonnent les personnages, mais aussi un matériel de jeu pour les comédiens qui construisent et déconstruisent en direct ce que voient les spectateurs en salle et sur internet. Le travail préliminaire de construction a été effectué dans le cadre du dispositif « Création en Cours » porté par les Ateliers Médicis et les ministères de la Culture et de l’Education. Louise Douet-Sinenberg, scénographe et moi-même avons donc été en résidence dans une école de Seine et Marne pour réaliser les premiers plans et prototypes de cette maquette, et ce, avec la participation active d’une classe de CM2. Ce travail de médiation et d’intégration du public à plusieurs niveaux de la création est une vraie volonté de la compagnie que nous souhaitons poursuivre notamment à Lyon avec les Subs/AADN, mais aussi en Île-de-France.

Comment envisagez-vous l’apport du numérique dans la création artistique ? Que permet-il ?

Je considère le numérique comme un outil. Un objet offrant des possibilités dont les médiums traditionnels peuvent, doivent, s’emparer. Quand je dis « doivent s’emparer », je pense principalement aux questions de médiation et de lien avec les publics, qui sont du coup plutôt des questions portées par les lieux de création et/ou de diffusion. En tant qu’artiste, cela ouvre des possibles. On prolonge la narration, la fiction, on poursuit et on augmente la scène, pour reprendre cette expression. Le numérique ne va pas à l’encontre du théâtre ou de son essence qui est le vivant. Il permet au contraire de poursuivre le moment partagé ou d’enrichir l’illusion et la machinerie théâtrale.

Dans notre démarche autour de la performance interactive en réseau, il y a aussi une très grande envie de rendre accessible à tous des œuvres dont on se serait éloigné, physiquement ou symboliquement parce que l’on considère que « le théâtre, c’est pas pour moi, c’est un truc de vieux ». Je crois que le numérique, et internet en particulier, peut jouer (et joue déjà à certains égards) un rôle dans la démocratisation culturelle. Mais encore une fois, cela n’est qu’un outil… Encore faut-il que nous nous en servions correctement.

D’autres projets de performance interactive sont-ils à venir ?

Oui, d’autres projets sont en cours d’écriture ; nous en parlerons au fur et à mesure en 2019, dès que la création de Loterie Solaire (dont le titre est provisoire) sera lancée à l’automne de l’année prochaine.

Le spectacle se jouera à Paris et à Lyon à partir de l’automne 2019, dans des lieux et à des dates qui restent encore à définir.

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— Rédaction

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