Éditeur pure player : à métier pionnier, terme à forger ?

Parmi les anglicismes qui font fortune dans la langue de Molière, pure play et sa variante pure player (littéralement « jeu pur » et « joueur pur ») figurent en bonne place depuis quelques décennies. Petite chronique d’une success story terminologique…

À l’origine: un terme boursier

Ainsi qu’en atteste Termium Plus, la banque terminologique du Bureau de la traduction du Canada, l’expression anglo-américaine pure play est en vogue dès les années 80 dans le monde de la bourse et des finances. Elle y qualifie une société qui concentre son activité sur une catégorie particulière de produits ou de services, par opposition à un conglomérat d’entreprises. Dans ce contexte, on peut parler d’entreprise « non diversifiée » voire, lorsque le segment de marché concerné n’est pas encore exploité ou l’est insuffisamment, de « société de niche ».

Vint alors le commerce en ligne, qui modifia cette donne sémantique en associant la notion de pure player au web. Depuis lors, en effet, la métaphore est généralement employée pour désigner un acteur économique dont l’activité se déroule exclusivement sur Internet. Dans ce contexte particulier, pure player côtoie d’ailleurs volontiers deux expressions que le français des affaires a intégrées sans faire dans la dentelle : « briques et mortier » (brick and mortar) et « clics et briques » (clicks and bricks).

Ne dites pas « pure player », dites « pointcom »

À l’usage de celui ou celle qui souhaite dire la même chose en français, précisons encore que les traductions de pure player dans ce contexte commercial sont légion : société virtuelle ou en ligne, cyberentreprise, entreprise Internet, entreprise point-com. Ou bien encore, par élision, une « pointcom » tout court. (Deux variantes graphiques coexistent dans l’usage : point-com et pointcom. Le Service de la langue française recommande de n’attribuer la marque du pluriel qu’à l’élément final: les (sociétés) point-coms, les entreprises pointcoms. Vous aussi, simplifiez-vous l’orthographe ! )

Maintenant que les présentations sont faites, entrons dans le vif du sujet ! Premiers acteurs de l’édition à bénéficier du qualificatif de pure player : les services de presse (exclusivement) en ligne. Sans doute par effet de mimétisme, l’expression s’applique aujourd’hui aux éditeurs qui ne jouent que la carte du livre numérique.

Pure player = 100% numérique

Nous inspirant à la fois de la définition proposée par Lorenzo Soccavo, prospectiviste du livre et de l’édition, et de celle que l’on trouve sous l’entrée « éditeur » du Grand dictionnaire terminologique québécois, nous définirions un éditeur pure player en ces termes :

Personne physique ou morale qui assure la publication de livres exclusivement dans des formats numériques ou qui développe et fournit des logiciels applicatifs et des services dédiés à l’édition de livres numériques enrichis

En somme, et en français : un éditeur 100% numérique, l’équivalence la plus plébiscitée sur le web. Mais aussi, histoire de varier les plaisirs : un éditeur zéro papier, un éditeur tout numérique, ou plus simplement : un éditeur (du) numérique.

Pour critiquées qu’elles soient (lire par exemple cette chaine de commentaires), ces versions francisées n’en présentent pas moins le net avantage de permettre à un public non averti et/ou non anglophone de saisir d’emblée ce qui fait la spécificité de ces éditeurs « nouvelle génération ».

Un positionnement à risques!

Reste que « pure player » a certainement encore de beaux jours devant lui. La « faute » aux connotations qu’il véhicule, et qui collent si bien à la réalité des éditeurs du numérique. Enjeux, prise de risque, audace. Qu’il suffise pour s’en convaincre de préciser qu’au backgammon, une stratégie dite pure play consiste à placer ses pions sur une position gagnante, même si celle-ci les expose aux mouvements de l’adversaire.

Marie Melina

Service de la Langue française

— Vincianne D'Anna

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