Bibliothèques : on ne prête qu’aux riches

Qu’on le veuille ou non, les bibliothèques sont encore des places fortes du livre. Au XXIe siècle, elles aussi se posent la question du numérique. Y a-t-il une demande ? Pour qui ? Comment organiser cette nouvelle forme de prêt ? Ce n’est pas tellement la volonté qui manque, mais comme bien souvent, les moyens matériels et humains.

« Nous n’avons aucune offre en numérique. En fait, nous n’avons même pas de site internet« . Non, cette déclaration ne date pas d’il y a quinze ans. C’est le constat dressé par Rony Demaeseneer, le directeur de la bibliothèque communale de Saint-Josse, à Bruxelles, pas plus tard que cette semaine.

Certes, Saint-Josse est la plus petite commune bruxelloise, mais tout de même ! « Nous n’avons simplement pas les moyens humains pour nous lancer dans le numérique« , déplore Rony Demaeseneer.

Déplore, parce que l’excuse du manque de moyens n’est pas ce prétexte facile qui dissimule un manque d’intérêt. « L’avenir et le développement de livre numérique, on y passera sans doute, mais à Saint-Josse, notre population est plutôt défavorisée. Il faut éduquer nos lecteurs au numérique. Ça rentre dans notre mission et ça vaut le coup d’ailleurs. Mais on aurait besoin d’un bibliothécaire à mi-temps pour s’occuper de ce travail pédagogique« .

Ensuite, quand bien même les moyens seraient là, comment mettre en place de tels prêts ?

C’est parce que les bibliothèques ont un nombre d’exemplaires limités d’un livre (et qu’il faut laisser l’occasion à tout le monde d’y avoir accès) que le prêt est limité dans le temps. Avec le numérique, la question de la disponibilité d’un fichier ne se pose pas vraiment. Alors, d’accord, on prête, mais pour combien de temps et à quel prix du coup ?

« Ce sont les définitions mêmes du prêt et de la bibliothèque auxquelles il faut réfléchir » concède Rony Demaeseneer.

Prêt ou streaming ?

D’ailleurs, à la bibliothèque des Riches-Claires, on ne parle pas de prêt numérique, mais d’accès à la consultation en ligne. La bibliothèque du centre de Bruxelles propose à ses membres un accès gratuit, et illimité, au catalogue numérique de Bibliovox, chez soi, via un ordinateur ou une tablette. Du streaming, donc.

« Avec l’offre numérique, on est passé de cinq cents références à plus de quatre mille ! » explique, enthousiaste, Marie-Angèle Dehaye, directrice de la bibliothèque des Riches-Claires. Un enthousiasme  modéré par Marie-Christine Jadot, du service informatique de la bibliothèque : « un grand nombre de références ne signifie pas un grand nombre de consultation« . C’est vrai qu’avec un peu moins de cinq cents consultations en ligne en une petite année, on ne frôle pas vraiment l’hystérie. Mais les deux bibliothécaires sont optimistes pour le succès futur de la formule.

Le streaming. Une option intéressante selon Rony Demaeseneer, mais risquée : « ne verra-t-on pas les gens déserter physiquement les bibliothèques ?« 

À la vue des consultations Bibliovox, on aurait tendance à dire non. « L’offre n’est pas tout à fait la même. Lire en numérique n’empêche pas de lire sur du papier. Et puis, c’est du streaming, ça nécessite donc une connexion internet« , rappelle Marie-Christine Jadot.

La directrice est de son avis : « ce sont deux pratiques de lecture différentes, absolument pas antagonistes et même plutôt complémentaires« .

Mais si on a peur de voir les rayons se vider, pourquoi ne pas prêter carrément des tablettes ?

L’argument matériel refait surface : « Nous avons énormément de lecteurs. Acheter dix tablettes serait ridicule. En acheter cent ou trois cents, ce serait encore trop peu, et ça représenterait un cout énorme pour la bibliothèque. Avec le risque de se transformer en réparateur de tablettes« .

Manque de moyens donc. Le refrain est connu.

Le véritable prêt de livres numérique n’est accessible qu’aux grosses structures avec des moyens considérables. Mais ça, on le savait déjà : on ne prête qu’aux riches …

Martin Boonen

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— Martin Boonen

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One thought on “Bibliothèques : on ne prête qu’aux riches

  • 29/06/2013 at 22:11
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    SILVANA MEI, BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE CENTRALE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE (NIVELLES) Espérer des réponses précises aux questionnements qui nous préoccupent aujourd’hui est un peu illusoire. Les directeurs des opérateurs d’appui sont, tout comme vous, dans une totale expectative et en plein questionnement. A mon sens, la problématique devrait être abordée au regard de 2 axes : en effet, les questions se posent différemment pour les opérateurs directs et les opérateurs d’appui. Il me semble que l’interrogation qui devrait porter les opérateurs d’appui, c’est d’analyser comment nous pouvons aider et soutenir le réseau dans ce contexte particulier et par quel biais développer les compétences de nos collègues pour pouvoir assumer ce tournant. Le livre numérique est une nouvelle offre en bibliothèque publique : que vont en faire les bibliothèques ? L’organisation de ces journées professionnelles est l’occasion pour les BC, en collaboration avec le Ministère, de porter une réflexion sur la manière d’aider les bibliothèques locales à aborder cette nouvelle perspective technologique et ses nombreux impacts.

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