Enfants et écrans : « prudence lucide et émerveillement attentif »

Le 17 janvier dernier, l’Académie des sciences, en France, a publié une imposante étude sur les rapports entretenus par les enfants avec les écrans. Culture du livre contre culture du numérique, l’enthousiasme, maîtrisé, est de mise.

Why iPad (and tablets in general) will succeed

Souvent déconcertés, les parents ne savent pas toujours quelle attitude adopter avec leurs chères têtes blondes vis-à-vis de leur usage des outils numériques. Interdire, autoriser, limiter… oui, mais quoi exactement ? C’est qu’à ce petit jeu-là, les digital natives sont, la plupart du temps, plus fort qu’eux. Alors que faire ? Pour aider à trancher, l’Académie des sciences de l’Institut de France vient de se fendre d’un rapport (disponible ici) sur le sujet. Outre les avis médicaux et psychologiques sur l’usage des écrans avec les enfants en fonction de leur âge, on y tord le cou à certains clichés sur cette nouvelle génération née avec une tablette en main, ou presque.

De l’importance de l’éducation

Le rapport bat en brèche notamment le stéréotype qui veut que les enfants du numérique soient naturellement plus à l’aise avec ces technologies : « la génération Google n’est pas plus performante dans la recherche d’information sur Internet que les générations précédentes ne l’étaient avec d’autres moyens. Comme dans tout autre domaine de la culture humaine, l’éducation reste ‘la technologie’ la plus puissante que l’être humain ait su développer pour transmettre, acquérir et améliorer notre connaissance » peut-on lire dans ce rapport.

Et sur ce point, François Jourde, professeur de philosophie dans le secondaire, à l’école européenne de Bruxelles 1, ne désavoue pas le rapport français. Le prof, qui aime se définir comme geek, place les nouveaux outils numériques au cœur de sa démarche pédagogique. Il confirme : « quelquefois, je les traite (les élèves, ndlr) de ploucs du numérique« . Il précise sa pensée : « ils vont naturellement sur Facebook, Youtube et Wikipedia, mais s’arrêtent très vite là. Ils n’explorent pas aussi naturellement qu’on l’imagine toutes les possibilités de leurs écrans« .

Mais a-t-on vraiment besoin des écrans à l’école ? La réponse ne tarde pas : « il n’y a pas de pensée sans outil. Comme le dit Daniel Bougnoux, le Penseur de Rodin, sans stylo, ni papier… ni écran, ne pense pas. À la rigueur, il rêve. Les outils numériques ouvrent un tas de possibilités pour la pensée« .

Alors, comment cela se passe-t-il en pratique ? « Ils prennent note sur des programmes dédiés et les partagent entre eux, prennent des photos du tableau avec leur smartphone, travaillent ensemble, à distance, avec des outils Google. Le fait de pouvoir publier sur internet les travaux des élèves les implique plus (il y a un enjeu, facteur de motivation), donne aux travaux une existence dans la durée, et permet de créer une interactivité avec les internautes. Au fil des années, ces travaux consultables constituent des cultures de cours et d’écoles« . Contre toute attente, le collectif est beaucoup plus facile à mettre en place avec le numérique. Basta, le cliché sur l’isolement des jeunes addicts.

François Jourde enfonce le clou : « si l’école tourne le dos complètement au numérique, les enfants n’auront d’autres choix que de l’apprendre seul. Ce qui ne signifie pas forcement qu’ils le feront mal ou dangereusement, mais ils passeront à coté de beaucoup de choses« .

Les tablettes à l’école ?

Soyons clairs, les tablettes et smartphones ont été créés non pas pour éduquer, mais pour divertir. Dès lors leur place est-elle vraiment sur les bancs d’écoles ? « Il faut détourner l’aspect ludique des écrans vers l’éducatif. On imagine toujours le scénario contraire, mais l’inverse est une réalité aussi« . François Jourde va même jusqu’à l’auto-critique : « si les élèves sont distraits, c’est en partie aussi parce que je n’ai pas réussi à leur donner quelque chose d’intéressant à faire« .

Réduire la fracture du numérique

Alors il reste à équiper tous les élèves de tablettes et de smartphones. Facile, surtout en temps de crise quand on coupe dans tous les budgets. « Évidemment, le numérique a un coût, mais pas forcement aussi élevé qu’on pourrait le penser. Pour ma part, je n’ai besoin que d’un projecteur, d’un ordinateur et d’une connexion internet pour donner cours« . C’est que François Jourde a une astuce : « j’essaie un maximum de les faire utiliser leurs propres écrans« . Ce qui suppose que tous les élèves soient équipés. « Je n’ai pas besoin d’une tablette ou d’un smartphone par élève, je préfère même qu’ils se les partagent » se défend celui qui enseigne dans le quartier huppé de Uccle. « Les smartphones se sont popularisés et démocratisés. Et puis surtout, la vraie fracture numérique n’est pas sur le matériel mais plutôt dans les usages, entre ceux qui y sont éduqués et les autres. Là l’école a un super rôle à jouer !« 

Un constat intégralement confirmé par la conclusion du rapport de l’Académie des sciences : « Livré seul aux écrans, il (l’enfant ndlr) dérivera dans la solitude tandis qu’accompagné, il en fera des usages nouveaux que la génération de ses parents n’imagine pas. Prudence lucide et émerveillement attentif sont, en fin de compte, les meilleurs services que nous puissions rendre à cet enfant du siècle nouveau.« 

Martin Boonen

Retrouvez Lettres Numériques sur Twitter (@Lettresnum) et Facebook

— Martin Boonen

Share Button

Laisser un commentaire