Paiera, paiera pas ?

Et surtout, qui paiera l’accès au contenu des journaux ? Si la question taraude l’industrie du texte depuis belle lurette, elle se pose avec une intensité redoublée depuis l’ère d’Internet et des données massives.

Nul ne semble encore avoir trouvé la formule magique. Sans doute une telle formule magique n’existe-t-elle d’ailleurs pas. Voici cependant un aperçu de quelques tentatives intéressantes.

Business Insider, qu’on trouve sur la toile depuis 2009 et qui fait le point sur l’actualité technologique et des affaires, en a pris son parti : le site est gratuit et regorge d’articles aux titres pratiques et accrocheurs, tels que « les 25 business les plus cools de Brooklyn » ou « les 8 façons de se pousser jusqu’à la salle de sports ». Exactement le genre d’articles qu’on partage facilement sur Facebook et autres médias sociaux. Exactement donc le genre d’articles aux côtés desquels une publicité aime à prendre la pose ! Business Insider le sait, et joue le jeu jusqu’au bout : comme le raconte Nick Bilton dans un article du New York Times, Business Insider a publié un article long de 22000 mots sur Marissa Mayer, à la tête de Yahoo. Cet article a valu quelques mois de reportages et de fouilles diverses à son auteur, Nicholas Carlson. Pourtant, il se retrouve gratuitement sur le site de Business Insider. Les annonceurs publicitaires doivent s’en frotter les mains : le portrait de Marissa Mayer a été partagé plus de 13000 fois sur Facebook, rien de moins. Un texte libre d’accès certes, mais diffusé avec un budget marketing des plus réduits. Pari réussi donc semblerait-il. En tous cas pour Business Insider

BuzzFeed, qui nourrit votre page d’accueil Facebook de vidéos de chats et autres articles aux titres avec un chiffre dedans, est connu pour sa stratégie de « paid content advertising »: une équipe de 40 personnes s’y emploie à produire du contenu pour des publicitaires ainsi qu’à leur prodiguer des avis sur comment écrire à la façon Buzzfeed. C’est là sa seule source de revenus. Évidemment, les articles Buzzfeed se partagent très facilement sur les réseaux sociaux, au grand bonheur des entreprises qui y sponsorisent du contenu.  Quartz, qui appartient au même groupe de médias que The Atlantic, applique une stratégie similaire à celle de BuzzFeed: une équipe de copywriters et de designers travaillent avec des marques à leur communication sur le site de Quartz. Si ce contenu publicitaire est identifié comme tel, il n’est cependant jamais très loin des articles traditionnels. Selon The Guardian, la pratique serait des plus rentables.

Tous n’y recourent pas… Nick Bilton cite également l’exemple de NSFWCORP : le pari de son initiateur, l’auteur et blogger Paul Carr, est de partager des nouvelles économiques de fond, l’humour en plus. Ce journalisme de fond a un prix, et il revient pour Paul Carr aux lecteurs de s’en acquitter. Un des avantages selon Paul Carr ? Pas question de dépendre des bonnes volontés d’un seul annonceur, ou d’un nombre réduit d’entre eux, mais bien d’une vaste assemblée de lecteurs. Pari réussi ? Oui et non : NSFWCORP a été racheté (trois mois après l’article à son sujet dans le New York Times, donc en novembre 2013) par un autre média. L’objectif? Rassembler des talents, rassembler des fonds également.

Bref, la formule magique se fait attendre. En attendant, il est tentant pour les journaux de réduire la voilure et/ou de mettre leurs talents d’écriture et de créativité au service d’entreprises plus rentables – comme la publicité.

En parallèle, les entreprises découvrent qu’elles peuvent diffuser des nouvelles à un large public sans passer par une imprimerie et un gamin en vélo, casquette sur la tête, qui fait le tour des banlieues américaines pour y lancer un quotidien fraîchement imprimé. Microsoft a fait parvenir aux journaux un kit « prêt à l’emploi » à l’arrivée de son nouveau CEO. Tout s’y trouve, sauf une occasion pour les journalistes de poser des questions en interview ! C’est du moins ce qu’en dit le Financial TimesGoogle a ainsi un blog assez documenté de même qu’une série de vidéos Youtube des plus accrocheuses pour les amateurs de sciences. Les moyens faramineux d’une entreprise comme Google, sa présence et son ambition en font, également, une source d’information sur certains sujets chers à son cœur.

Évidemment, les moyens d’une entreprise comme Google ne sont pas comparables avec ceux d’une rédaction lambda. Les lecteurs apprécieront sans aucun doute les exposés brillamment documentés et présentés de cette entreprise – et d’autres entreprises. Cependant, nous leur souhaitons de continuer à s’informer également via des articles journalistiques – c’est-à-dire qui poursuivent une vocation d’objectivité, de pertinence, de qualité. C’est d’ailleurs sans doute là des qualités que le journalisme a intérêt à faire valoir  en ces temps de chamboulements tous azimuts.

Crédit photo: crotchedmountain.org

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— Sibylle Greindl

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