Rencontre : Pascal Balancier, expert e-learning en Belgique francophone

Retrouvez cette semaine notre troisième portrait de professionnel du numérique. Rencontre avec Pascal Balancier, expert chargé de promouvoir et développer l’e-learning en Belgique francophone.

Quel a été votre parcours avant d’accéder à votre fonction actuelle en tant qu’expert e-learning ?

Sociologue de formation, j’ai d’abord travaillé en tant que chercheur en sciences politiques à l’ULg pendant cinq ans. J’étais alors spécialisé dans la question des risques technologiques et mettais en œuvre des méthodologies d’enquêtes participatives. J’ai ensuite été affecté pendant deux ans au département de pédagogie des technologies, toujours à l’ULg, où je me suis penché sur la question de l’usage des technologies dans l’apprentissage.  À l’issue de cette période, j’ai été recruté par l’Agence wallonne des Télécommunications, institution publique wallonne aujourd’hui appelée Agence du Numérique. Je suis actuellement chargé de promouvoir les technologies dans des contextes d’apprentissage divers (scolaire, professionnel) et selon des méthodes différentes (mobile-learning, video-learning, serious game, accompagnements distanciel, présentiel ou mixte, etc.)

Pouvez-vous présenter en quelques mots Digital Wallonia.be, la plateforme Web de l’Agence du Numérique ?

Digital WalloniaLa plateforme, actuellement en cours de construction, est en ligne depuis septembre. Elle propose deux choses :

  • des articles de fond sur différents sujets liés à l’éducation : formations, conférences, Smart Cities, technologies mobiles, Big Data, New Way of Work, etc.
  • une base de données, en construction, des acteurs francophones belges actifs dans différents domaines. Il existe aujourd’hui plus de 1300 entreprises références dans cette base de données mais l’idée est de pouvoir l’alimenter par l’ensemble des acteurs du numérique wallon et francophone belge.

Digital Wallonia, plateforme maintenue par l’Agence du Numérique, souhaite se présenter comme un espace alimenté par l’ensemble des acteurs du numérique wallon. Au-delà des articles et de la base de données, la plateforme propose également un vrai service web aux partenaires qui comprend :

  • le partage d’agendas en ligne qui permet aux différentes institutions de mutualiser leurs emplois du temps ;
  • l’alimentation et le partage de bases de données qui permet à chaque institution de maintenir à jour sa propre base de données clients/partenaires et de l’afficher dans son environnement Web. Chaque institution est donc libre d’extraire la base de données qui l’intéresse.

En quoi consiste exactement votre métier ?

En tant qu’expert en technologie éducative (e-learning), ma fonction englobe la communication et le montage de projets. Je ne produis pas du contenu e-learning. Par contre, je communique sur les réalisations, les tendances à venir, les bonnes pratiques, les outils, etc. Le travail de communication s’effectue par alimentation de la plateforme Digital Wallonia, Facebook, Twitter, Linkedin, etc. Le fait de communiquer par ces différents moyens me permet de sensibiliser différents publics, de promouvoir les technologies auprès de différentes cibles (administration, enseignement, formation professionnelle, entreprises, etc.) Je dirais que je passe 80% de mon temps à communiquer, les 20% restants étant destinés à la gestion de projets. Au-delà de ces deux aspects, mon véritable rôle est celui de facilitateur. Je fais circuler l’information, je mets les acteurs concernés en relation, je leur suggère des stratégies, des outils, méthodes, etc. Il s’agit d’un rôle d’accompagnement.

Quel est votre champ d’action en milieu scolaire ?

Auprès de l’enseignement supérieur de type universitaire, nous intégrons différents réseaux d’experts. Chaque université a joué un rôle pionnier dans le domaine et possède sa propre cellule TIC. Nous mettons donc les différents experts en réseau et participons à leur réflexion.

Concernant l’enseignement supérieur de type non-universitaire, l’enjeu se situe au niveau de la formation initiale des futurs enseignants. Dans le cadre de l’initiative Ecolenumérique.be, plan d’équipement wallon des écoles primaires et secondaires, un volet était d’ailleurs consacré aux hautes écoles de catégorie pédagogique.

Pour les écoles maternelles, primaires et secondaires, le projet Ecolenumerique.be a succédé au plan cyberclasse. Dans le cadre de cette initiative, il s’agit d’intégrer les bonnes pratiques à partir des erreurs passées. Trois appels à projets ont été lancés en vue d’une mise en place à plus grande échelle. Le projet allie non seulement la mise à disposition de matériel dans les écoles mais aussi la formation initiale et continue des enseignants (retours d’expérience, échanges entre pairs, etc.), conditions nécessaires pour qu’ils s’imprègnent de ces nouveaux modes d’enseignement. L’asbl Pédago-TIC a été créée dans cette optique, afin d’accompagner les enseignants au bénéfice des étudiants.

À quel niveau intervenez-vous au niveau professionnel (entreprises) ?

Les entreprises souhaitent s’informer sur les nouvelles tendances à venir pour pouvoir mieux anticiper les futures demandes. Afin de répondre à leurs besoins, nous leur apportons les clés pour réaliser de la veille documentaire, via notamment les réseaux sociaux, et leur proposons également des ateliers de master classe et des conférences durant lesquels ils peuvent s’informer sur ces nouvelles tendances. Les professionnels sont également demandeurs de pouvoir identifier les prestataires dont ils ont besoin. Nous les renvoyons alors sur la base de données de Digital Wallonia sur laquelle sont référencés les prestataires de services compétents dans le développement de logiciels éducatifs, de contenus sur mesure, etc.

Parmi les différentes formes d’apprentissage auxquelles vous faites référence (mobile-learning, video-learning, serious games, etc.), laquelle est actuellement la plus répandue ?

Il faut dire que le paysage est assez confus. Forger un concept et le promouvoir demeure difficile et les technologies éducatives font l’objet d’un gros effort marketing. Plusieurs sociétés essaient de pousser le concept de digital learning avec les Mooc, Spock et autres. Au final, je dirais que tout cela concerne la même chose : l’utilisation des technologies en contexte éducatif. J’ai tendance à vouloir dire « Dis-moi quelle est ta définition et je te dirais dans quel contexte tu évolues. » Il n’y a pas vraiment de tendance qui se dégage car, selon moi, une bonne formation, qu’elle intègre ou non les technologies, c’est une formation qui identifie clairement les objectifs et la manière de les atteindre en fonction des profils des apprenants, du contexte global, des contraintes professionnelles, technologiques éventuelles et des moyens disponibles. En fonction de ces éléments, nous mettons en place un dispositif sur mesure qui répond aux besoins de la cible. Aujourd’hui, je pense que le dispositif le plus fréquemment utilisé est l’accompagnement mixte qui alterne des moments d’apprentissage distanciel (via le Web) et présentiels (en classe, en entreprise).

e-learning

Globalement, quelle place occupe les technologies en Belgique francophone dans les établissements scolaires et les entreprises ?

Les derniers chiffres que nous avons dégagés à ce propos datent de 2013. De manière générale, nous observons que les taux d’usage au niveau de l’enseignement sont assez faibles mais la mesure est assez imparfaite car nous nous sommes calqués sur les grandes enquêtes européennes qui calculent le nombre d’ordinateurs pour 100 élèves. En 2013, nous nous trouvons effectivement en-deçà de la moyenne européenne qui était de 12 ordinateurs pour 100 élèves (8 pour la Belgique francophone). Depuis, la situation s’est améliorée puisque plus de 40 000 ordinateurs ont été placés dans les écoles wallonnes suite au projet Cyberclasse. Mais plutôt que de parler en termes de volume de matériel, il faudrait mesurer le taux d’usage des technologies et leur qualité. Je pense qu’un chariot mobile avec des tablettes mis à la disposition d’une classe pendant une heure mènerait à une qualité d’usage supérieure par rapport à une classe informatisée qu’il faut réserver et vers laquelle il faut se déplacer. Au-delà de la fréquence, qualité et pertinence des usages, le processus d’acculturation des enseignants aux technologies est un point crucial dont il faut tenir compte. Il s’agit d’un processus lent. Les enseignants utilisent dans un premier temps la technologie pour reproduire ce qu’ils faisaient avant, sans cette technologie. On remarque d’ailleurs que les enseignants qui se disent non-technophiles sont pourtant nombreux à utiliser quotidiennement leur ordinateur pour préparer leurs cours. C’est un point de passage obligé, une évolution des usages naturels, avant que ces enseignants ne commencent à envisager des usages plus actifs, interactifs et complexes pour donner cours.

Au niveau professionnel, le taux d’utilisation des technologies dans le cadre de la formation en entreprises est assez faible (18% en 2013). N’oublions pas que les réalités sont différentes entre des PME et grandes entreprises. Ces dernières ont souvent les moyens de développer une véritable cellule e-learning, ce qui permet un taux d’usage plus élevé.

L’e-learning est-elle une réalité en plein essor en Belgique francophone ? Comment nous situons-nous par rapport au reste du monde ?

Je participe à de nombreuses réunions européennes où j’ai l’occasion de rencontrer des institutions, formateurs, enseignants issus d’autres pays. Je peux dire que, même si nous donnons l’impression d’être à la traîne dans le domaine, nous nous situons finalement plutôt bien par rapport à d’autres nations. Je pense qu’il y a un trait culturel francophone qui n’est pas nécessairement facilitateur et pas toujours propice à l’intégration des technologies dans nos pratiques pédagogiques. Notre système éducatif se fonde avant tout sur la transmission d’informations. Le formateur, l’expert transmet à l’étudiant et puis l’évalue. Dans la culture anglo-saxonne par exemple, le formateur a une posture différente. Il est plutôt vu comme un coach qui encourage les étudiants et qui les soutient. Selon moi, cette psychologie est plus propice à l’intégration des technologies, et ce par pure pragmatisme, car elles outillent mieux le formateur. Dans la culture francophone, nous rencontrons un problème avec le statut d’échec alors qu’il est important d’apprendre de ses erreurs. Un autre point primordial concerne les réseaux sociaux. Si les enseignants ferment l’école à Facebook par exemple, ils se privent de l’occasion d’accompagner les élèves dans un usage mature du réseau social. Le problème est alors relégué à la maison.

Un changement de posture de l’enseignant doit selon moi être initié pour comprendre les besoins des apprenants et les aider à construire leurs connaissances, grâce notamment aux technologies. À noter que la durée de mémorisation d’une info qu’on a trouvée par soi-même est beaucoup plus longue que celle qu’on reçoit de manière massive en classe. Les enseignants doivent adopter une posture socratique : mettre au défi les apprenants, les challenger et les mettre en situation. C’est là le principal enjeu de mon travail de promotion des technologies, à savoir l’introduction d’un changement dans les pratiques pédagogiques de nos formateurs pour qu’elles soient davantage participatives.

— Gaëlle Noëson

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Gaëlle Noëson

Digital publishing professional