Les normes imposées par les librairies en ligne : un frein au numérique ?

Apple, Amazon, Google Play, on ne vous les présente plus, des acteurs internationaux qui ont largement fait leur place dans le monde du livre numérique. L’auteur, l’éditeur qui propose son catalogue au format ebook peut aujourd’hui difficilement faire l’impasse sur ces librairies en ligne. Mais qu’implique une commercialisation de ses ouvrages sur des plateformes qui imposent leurs propres standards culturels et sociaux ?

Des couvertures jugées inappropriéesLa femme cover

Ce n’est pas nouveau : certaines couvertures sont susceptibles d’être rejetées par Apple parce qu’elles sont considérées de près ou de loin comme érotiques. De nombreux auteurs en ont fait l’expérience, à l’image de Bénédicte Martin dont l’ouvrage La Femme a été retiré de la vente en 2014 en raison de sa couverture jugée inappropriée. Le contenu de l’ouvrage n’a quant à lui pourtant rien de provocant puisqu’il s’agit d’un récit littéraire et poétique sur la féminité. Olivier Frébourg, l’éditeur de l’ouvrage, s’insurge « contre cet acte de censure manifeste, à rebours de la liberté de création. »

Cet exemple n’est pas un cas isolé puisque de nombreux livres se sont ainsi retrouvés retirés de la vente pour cette raison. Ce fut notamment le cas de certaines couvertures de BD pour adultes commercialisées par la plateforme Izneo, un distributeur et diffuseur de BD numériques dont nous vous avons déjà parlé. Pour répondre aux demandes du géant à la Pomme, l’éditeur semble donc avoir deux solutions : adapter la couverture de son livre ou cesser simplement de le vendre sur la plateforme.

Nous nous posons la question suivante : quels sont les critères sur lesquels se basent les acteurs internationaux pour en venir à rejeter certains ouvrages ? La question est d’autant plus légitime lorsqu’on s’aperçoit que certaines œuvres comme par exemple celles de l’auteur Kirira, ayant publié sur Apple trois BD interdites aux mineurs, ne font pas l’objet de rejet.

Kirira

Un contrôle sur les descriptions et le contenu des ouvrages

Si les images de couverture peuvent parfois être rejetées par les plateformes de vente, les textes ne sont pas non plus épargnés. Google Play par exemple se révèle pointilleux concernant les termes à caractère sexuel, aussi bien au niveau des descriptions des ouvrages que de leur contenu. Apple est également très regardant à ce niveau-là puisque, en 2012, l’entreprise américaine avait adapté une partie du titre du livre pour enfant T’Choupi part en pique-nique en masquant par des étoiles le mot « nique », terme jugé inapproprié. L’année suivante, elle avait contraint Izneo, cité plus haut, à supprimer les deux tiers de son catalogue, considérés comme pornographique. Parmi les 2800 BD retirées de la vente, on retrouvait des classiques tels que Largo Winch, XIII ou Blake et Mortimer, ouvrages disponibles dans la plupart des librairies traditionnelles.

Dans certains cas, Apple peut aussi rejeter les ebooks qui mentionnent le nom de sites concurrents, sans pour autant avoir déterminé précisément le contexte dans lequel le nom de la structure est cité.

La chasse aux commentaires frauduleux ?

Les commentaires laissés par les lecteurs sur les librairies en ligne sont un véritable coup de pouce pour les auteurs et éditeurs afin d’améliorer la visibilité de leurs ouvrages. Sur Amazon, la pratique est courante et peut parfois s’avérer frauduleuse : un auteur qui fait l’éloge de son livre pour inciter les internautes à l’acheter par exemple. Dans le but d’éviter tout débordement, le géant américain modère les commentaires publiés par certains usagers qui semblent abuser de la fonctionnalité. Ce fut le cas d’une lectrice en juillet 2015 (témoignage relayé par IDBOOX), dont le commentaire laissé sur Amazon avait été rejeté avec comme explication le message suivant : « Nous n’avons pas publié votre commentaire client parce que vous connaissez l’auteur personnellement. Étant donné la nature sensible de notre activité, nous ne vous expliquerons pas comment nous avons déterminé que vos comptes sont liés. » La lectrice  affirmait suivre l’auteur sur les réseaux sociaux mais n’avoir aucun lien direct avec lui.

La chasse aux commentaires frauduleux d’Amazon, jugée excessive dans certains cas, en a fait bondir plus d’un, parmi lesquels Jas Ward. L’auteure a décidé de réagir en lançant une pétition intitulée « Change the « You Know This Author » Policy ». L’objectif : demander à Amazon d’adapter sa politique à propos des relations entre lecteurs et auteurs. À l’heure actuelle plus de 17 000 personnes ont déjà signé la pétition.

Certains commentaires peuvent être rejetés par Amazon pour d’autres raisons, comme par exemple le fait de recourir à une autre langue que celle du site ou d’évoquer le prix du livre. Les commentaires jugés trop négatifs peuvent également faire l’objet d’un rejet.

À l’heure où le numérique abolit les frontières et favorise l’accès aux contenus culturels, comment interpréter les limites fixées par des acteurs comme Amazon, Google Play et Apple ? Une forme de « censure » particulière n’est-elle pas en train de refaire surface et d’entraver la liberté de création des auteurs ? La commercialisation à l’international grâce au numérique est une véritable opportunité mais elle implique de se plier aux règles de grands acteurs américains dont la perception des contenus peut s’avérer différente de la nôtre.

E.B.

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— Rédaction

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