Marier écologie et numérique : un défi moderne
La question de l’écologie touche désormais tous les domaines de notre vie, nous poussant à repenser notre façon de manger, de voyager et d’utiliser les ressources autour de nous… Mais qu’en est-il de notre rapport à l’écologie dans le cadre du numérique, en tant que consommateurs, mais aussi professionnels du livre ? Si les avantages de l’ebook sont indéniables (stockage, accessibilité immédiate, mise à jour du contenu plus facile pour les éditeurs, etc.), il est aussi source de pollution, et de nombreuses mesures restent à prendre pour marier ces deux aspects au sein du secteur de l’édition. Analyse.
Quelles nouvelles pistes pour marier écologie et numérique dans l’entreprise ?
Dans l’optique de convergence entre transformation numérique et transition écologique, nous avons voulu souligner l’initiative du Conseil national du numérique (CNNum) qui propose dans son livre blanc « Numérique et Environnement » présenté en mars dernier, quelques mesures concrètes à destination des acteurs publics. Selon ce rapport, le numérique n’est pas intrinsèquement « bon » ou « mauvais » pour la planète : comme nous le verrons plus loin dans le cas des liseuses et des ebooks, il a des impacts directs et indirects, à la fois positifs et négatifs. C’est donc l’utilisation avisée qu’en feront les acteurs publics et privés qui déterminera son rôle dans la sauvegarde de l’environnement. Ce livre blanc propose une nouvelle conception des technologies numériques utilisées dans les entreprises, en accord avec une politique environnementale globale. Parmi toutes ces recommandations, nous en avons sélectionné quelques-unes pouvant s’appliquer au monde de l’édition et aux supports de lecture numérique.
- Soutenir le développement – au niveau français et/ou européen – d’un label « numérique responsable » pour les entreprises de services numériques, puis faire de ce label un critère de sélection lors des appels d’offres publics, au niveau national et local.
- Allonger à cinq ans la durée de garantie des équipements numériques et généraliser l’affichage « durabilité » de ces produits : empreinte environnementale, durée de vie, réparabilité, etc.
- Faire de la France et de ses territoires les champions de la réparation et du réemploi des équipements numériques, en améliorant le financement des acteurs du secteur : application d’un taux de TVA réduit sur leurs activités, augmentation de l’écocontribution des producteurs, modulation de cette contribution selon le niveau d’écoconception des produits, etc.
Comme nous l’explique Pascal Canfin, qui a participé à la rédaction de ce livre blanc en tant que directeur de WWF France, « [l]e numérique n’est pas une industrie immatérielle. Un téléphone portable, par exemple, consomme soixante métaux différents, dont une vingtaine seulement est actuellement recyclable. Or la durée de vie de nos équipements numériques ne cesse de baisser. L’une des mesures à prendre de toute urgence pour inverser cette tendance est de mieux informer les consommateurs, en généralisant l’étiquetage des produits en fonction de leur durée de vie, leur réparabilité, la disponibilité de pièces détachées et leur empreinte écologique ».
Quid du livre numérique ?
Nous vous en parlions déjà dans un précédent article : contrairement à ce que la logique nous porte à croire, l’ebook tout comme la liseuse polluent… davantage que le livre papier. Selon une étude réalisée par CustomMade en 2015, les matériaux nécessaires à sa fabrication ainsi que le processus de fabrication en lui-même dégagent bien plus de dioxyde de carbone que dans le cas d’un support papier classique. La fabrication des différents composants électroniques d’une liseuse nécessite en effet l’extraction de nombreux métaux non renouvelables, provoquant à terme une pollution des sols, de l’eau et de l’air. Il faut y ajouter le bilan carbone du transport des liseuses, depuis le site de production jusqu’au lecteur final, ainsi que l’énergie consommée tout au long de son cycle de vie. Quant aux ebooks, le bilan est tout aussi décevant. Selon Ronald Blunden, directeur de la communication de Hachette Livres interviewé par le média participatif CDURABLE, les « datas centers par lesquels transitent les livres électroniques sont extrêmement gourmands en énergie ».
D’après les résultats d’une autre étude réalisée par Carbone 4, un cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie carbone, l’empreinte carbone d’un livre papier est de 1,3 kg d’équivalent CO2, contre 235 kg pour une liseuse. Ce qui signifie qu’il faut 180 livres papier pour atteindre l’empreinte carbone d’une seule liseuse ! Cette dernière pouvant cependant servir à lire des centaines de livres, c’est plutôt sa durée de vie qu’il faudrait prendre en compte pour évaluer sa rentabilité d’un point de vue écologique. Pour que cesse l’obsolescence programmée des appareils électroniques, de plus en plus décriée dans les médias, la balle est donc dans le camp des pouvoirs publics, comme nous le détaillions plus haut, mais aussi des grands fabricants tels qu’Apple, Microsoft ou Samsung. Nous avions déjà traité ici cette problématique.
S’il faut très certainement attendre quelque temps avant que ces mesures soient appliquées par les acteurs privés comme publics et obtiennent de véritables effets, l’initiative mérite néanmoins d’être saluée, car elle interpelle sur un enjeu de société crucial des prochaines décennies, où le monde de l’édition numérique aura un rôle à jouer.
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— Elisabeth Mol