Entrevue avec Claire Leymonerie sur l’accessibilité numérique dans le contexte français et européen

À l’occasion de son intervention lors de l’édition 2019 du DPUB Summit, Lettres Numériques s’est entretenu avec Claire Leymonerie, chargée de mission au sein du ministère de la Culture français, pour un état des lieux en termes d’accessibilité numérique en France et en Europe. Compte-rendu de cette rencontre !

Lettres Numériques : Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Claire Leymonerie : Je suis chargée de mission à la Direction générale des Médias et des Industries culturelles du ministère de la Culture français. Au sein du département de l’Économie du livre et en lien avec mes collègues du département des Bibliothèques, je suis depuis 2016 les questions relatives à l’accessibilité des livres pour les personnes en situation de handicap.

Pouvez-vous nous parler de votre intervention lors du DPUB Summit 2019 ?

Je suis intervenue dans le cadre d’une session consacrée aux initiatives européennes en matière d’accessibilité des livres numériques. J’ai présenté la politique menée en France par le ministère de la Culture et ses partenaires, pour accompagner et inciter les professionnels de la chaîne du livre numérique à évoluer vers une offre nativement accessible.

En effet, pour les ouvrages à maquette simple et faiblement illustrés (littérature générale, essais, sciences humaines, etc.), il est désormais possible de publier des livres numériques grand public qui répondent d’emblée aux besoins des personnes en situation de handicap, en particulier celles qui souffrent de déficience visuelle ou de troubles cognitifs tels que la dyslexie ou la dyspraxie.

Quel est le contexte européen en termes d’accessibilité numérique ?

L’actualité européenne est marquée par l’adoption d’un texte ambitieux : la directive relative aux exigences en matière d’accessibilité applicable aux produits et aux services, dite « Acte européen d’accessibilité », publiée le 7 juin au Journal officiel de l’Union européenne. La chaîne du livre numérique est particulièrement concernée, puisque, en plus des livres eux-mêmes, le champ d’application de la directive s’étend aux liseuses numériques, aux logiciels et applications de lecture, ainsi qu’à l’ensemble des sites de commerce en ligne. Les États membres devront désigner une autorité chargée de contrôler le respect des exigences d’accessibilité, et définir un régime de sanctions. Ils disposent de trois ans pour transposer la directive dans leur droit national et les exigences s’appliqueront en 2025.

Quelle est la mission stratégique du ministère de la Culture français en termes d’accessibilité numérique ? 

Le ministère de la Culture est engagé de longue date dans une politique en faveur de l’accès aux livres pour les personnes handicapées, qui se déploie maintenant sur deux versants. Le premier consiste à favoriser la production et la diffusion, dans un cadre non lucratif, de livres spécialement adaptés pour les besoins des personnes handicapées : livres en braille, livres audio au format Daisy, adaptations en langue des signes française ou en « facile à lire et à comprendre » (FALC), etc.

Le second versant de cette politique, plus récemment mis en œuvre, consiste à accompagner, encourager et coordonner le déploiement d’une offre de livres numériques nativement accessibles à travers la constitution d’un comité de pilotage interministériel qui réunit les associations représentatives des personnes handicapées, les acteurs professionnels de la chaîne du livre numérique et le Centre national du livre. Ce comité de pilotage a adopté un plan stratégique qui décline douze orientations à suivre pour garantir une évolution coordonnée du secteur vers l’accessibilité, ainsi qu’un programme d’actions partagé.

Dans ces initiatives, le ministère de la Culture peut compter sur des acteurs particulièrement mobilisés sur le sujet de l’accessibilité : la commission numérique du Syndicat national de l’édition, à travers son groupe normes et standards, ou encore EDRLab, organisateur du Digital Publishing Summit, qui œuvre pour le développement d’un écosystème de lecture numérique interopérable et accessible. Il a pu également s’appuyer sur les travaux réalisés à l’échelle internationale par le Daisy Consortium dans le cadre du projet Inclusive Publishing.

Comment peut-on développer un parcours d’accès et d’usage stratégique ?

Mettre en circulation des livres numériques accessibles dans des environnements non accessibles serait un non-sens. L’accessibilité doit donc se penser à toutes les étapes du parcours d’accès et d’usage. Pour les personnes handicapées, cela suppose de pouvoir clairement identifier les livres qui correspondent à leur besoin, de pouvoir les acquérir ou les emprunter sur les plateformes de vente ou de prêt en bibliothèque, de ne pas être confrontées à des mesures techniques de protection qui bloquent l’accessibilité, de pouvoir s’équiper d’outils de lecture adaptés. Celles qui ne disposent pas d’une familiarité suffisante avec les technologies numériques doivent être accompagnées afin de s’approprier ces nouvelles pratiques de lecture. C’est pour cela que le comité de pilotage rassemble, au-delà des éditeurs, l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre numérique : libraires, gestionnaires de bases de données bibliographiques, bibliothèques. Les associations spécialisées dans le domaine auront aussi un grand rôle à jouer.

L’édition adaptée conserve-t-elle toute sa pertinence ?

Le travail des associations qui produisent des documents adaptés pour les besoins des personnes handicapées conserve toute sa pertinence, car l’édition nativement accessible ne répondra pas à l’ensemble des besoins. Pour les livres dont les contenus ou les maquettes sont complexes, tels que les livres pratiques, les ouvrages universitaires et scientifiques, les livres très illustrés ou encore les bandes dessinées, produire du nativement accessible restera une gageure. Sur ces segments éditoriaux, les professionnels de l’édition adaptée ont donc une expertise à affirmer. Par ailleurs, un livre numérique, aussi accessible soit-il, ne répondra jamais aux besoins de toutes les personnes handicapées. La réalisation d’adaptations en langue des signes, la production de versions faciles à lire et à comprendre ou la fabrication de livres en braille imprimés resteront par exemple du ressort de l’édition adaptée.

Rendez-vous ici pour retrouver le programme complet du DPUB Summit 2019 !

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— Victoire Dunker

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