Tout savoir sur la coédition : comment mettre en place un partenariat international ? (Partie 3)
Au printemps dernier, Jean-Philippe Thivet animait un cycle de conférences sur la coédition organisé par le PILEn. Lettres Numériques vous livre aujourd’hui, toujours en partenariat avec le PILEn, le compte-rendu de la troisième et dernière journée de formation, qui abordait la dimension internationale de la coédition.
Comme abordé par Jean-Philippe Thivet, faire une coédition commence souvent par ces questions : que peut m’apporter un.e coéditeur.trice ? Comment chercher un.e coéditeur.trice ? Quel cadre contractuel pour notre collaboration ? À l’international, on se pose les mêmes questions, mais les réponses ne sont pas forcément les mêmes. Ainsi, une coédition internationale peut être échafaudée sans s’avérer financièrement intéressante, car elle est symboliquement porteuse ; la coédition internationale peut permettre de renforcer le lien entre un.e éditeur.trice et un.e auteur.trice. Ou un ouvrage traitant de la Belgique peut augmenter sa crédibilité auprès des institutions belges s’il existe dans les deux principales langues nationales. Ou un potentiel d’adaptation audiovisuelle peut être boosté par une commercialisation dans les pays anglo-saxons.
Partenariat international, coédition, coproduction ou co-impression ?
Comment monter une coédition internationale en pratique ? D’abord, il faut s’entendre sur les mots : nous parlons de coédition internationale, quand d’autres parlent aussi de partenariat international ou de coproduction internationale. On peut aussi parler de co-impression internationale, dans une dimension plus technique (partage des coûts liés à la couleur, chaque partenaire apportant sa couleur). Par ailleurs, qu’entend-on par international ? La coédition internationale peut se faire à des milliers de kilomètres de distance (un.e éditeur.trice wallon.ne et un.e éditeur.trice québécois.e, partageant la même langue, mais pas actif.ve.s sur un même continent) ou au sein même de la Belgique (un.e éditeur.trice wallon.ne et un.e éditeur.trice flamand.e, actif.ve.s sur le même territoire mais ne partageant pas la même langue). Ce vocabulaire entendu, entrons dans le vif du sujet avec Daniela Bonerba, première invitée de la journée.
Cession de droits : l’indispensable clause de coédition
Toute coédition, internationale ou non, passe par l’établissement d’un contrat. Daniela Bonerba, agent dans l’édition, commence par poser le cadre juridique et la mécanique de ces contrats internationaux ; avec le contrat d’édition classique (le contrat d’auteur), un.e auteur.trice fait une cession de droits d’exploitation à un.e éditeur.trice. Ce.tte dernier.e doit prévoir une clause de coédition dans le contrat d’auteur, pour que la coédition puisse être possible sans avenant. Sans quoi on se retrouve avec une cession de droits simple, et l’avenant sera un passage obligé.
Pour rappel, un.e éditeur.trice ne peut vendre que ce qui est acquis. Attention toutefois à l’effet inverse, et à ne pas acquérir inutilement des droits, en l’occurrence pour une coédition internationale qui aurait très peu de chances de se concrétiser. D’où l’importance de dimensionner le gain économique potentiel, d’effectuer un business plan. Pour Daniela Bonerba, ce business plan doit avoir absorbé les coûts inhérents à la coédition internationale ; pour 100 euros gagnés, 50 sont rétrocédés à l’auteur.trice, 25 à l’agent actif sur le marché international, l’éditeur.trice se retrouvant seulement avec 25 euros restants pour couvrir les frais de production et se rémunérer.
La cession de droits bien réglée en amont, le contrat de coédition proprement dit peut être pensé ; le cadre juridique international de la coédition est défini par la Convention de Berne, qui régit les droits d’auteur à l’international à l’exception des pays anglo-saxons. Dans le contrat de coédition, il s’agit de préciser quel droit régit les relations, l’usage voulant que ce soit la loi du.de la vendeur.se. La durée du contrat est aussi un aspect important. En l’espèce, Jean-Philippe Thivet recommande de ne pas prévoir de contrats automatiquement renouvelables, s’offrant une opportunité de renégocier, de redemander des avances, voire de trouver un.e autre coéditeur.trice si les conditions du partenariat ne sont plus satisfaisantes.
Dans le contrat de coproduction, il est également utile de préciser si la cession de droits sera ou non assortie du prix de fabrication ; pour les livres illustrés, où ce prix peut être élevé, la question mérite d’être posée. Avec le.la coéditeur.trice, il faut par ailleurs avoir déterminé à ce stade le tirage prévisionnel qu’il.elle prévoit, le prix de vente, la langue et le territoire prévus ; est-il pertinent de commercialiser un livre en portugais sur le territoire brésilien sachant que les Brésiliens parlent davantage le brésilien que le portugais ? Mon.ma partenaire a-t-il.elle les droits requis pour commercialiser au Brésil ? Si oui, est-ce opportun d’avoir des droits étendus pour commercialiser au Brésil un livre en portugais ? D’autres éléments, comme les avances, les termes de paiement et le planning, doivent être inclus. Lire le compte-rendu de la deuxième formation pour plus d’informations sur le contrat-type de coédition.
Ceci étant, choisir le bon agent pour représenter son catalogue à l’international est aussi important que choisir le.la bon.ne coéditeur.trice.
Choisir son agent, pierre angulaire de la coédition internationale
Prospecter sur les marchés internationaux, c’est d’abord créer du matériel de prospection propre à l’international. C’est-à-dire des catalogues de droits étrangers qui possèdent une ligne éditoriale propre, différente pour la vente au grand public. Ces catalogues doivent reprendre la présentation des auteur.trice.s et de leurs ouvrages, mais aussi des traductions partielles déjà réalisées. Ces catalogues de droits étrangers sont la base pour créer et entretenir un portefeuille client.e.s d’acheteur.se.s et vendeur.se.s de droits. C’est ici qu’interviennent les agents d’édition.
Un agent dans l’édition peut, par exemple, vendre des catalogues d’éditeur.trice.s étranger.e.s auprès d’éditeur.trice.s français.e.s souhaitant en acquérir les droits de traduction. Un agent peut également vendre des catalogues d’éditeur.trice.s du monde entier uniquement auprès d’éditeur.trice.s de son marché local, dans lequel il s’est spécialisé. Un agent peut aussi prendre en charge la fonction de droits étrangers pour le compte d’un.e éditeur.trice particulier.e, pour tout ou une partie des catalogues et des territoires. On le nomme alors agent d’éditeur.trice.
Mais pourquoi et comment utiliser un agent pour une coédition internationale ? Pour des éditeur.trice.s aux lignes éditoriales proches et souhaitant exister à l’international, un agent peut s’avérer intéressant. En effet, un.e éditeur.trice peut ne posséder qu’un seul ouvrage revêtant un potentiel à l’international. Mais un.e acheteur.se étranger.e ne sera jamais intéressé.e par l’acquisition des droits d’un seul ouvrage. D’où l’intérêt pour des éditeur.trice.s de se rassembler sous une bannière commune, portée par un agent. Ce dernier défend le catalogue et négocie les droits, typiquement dans des zones ou des pays où la communication ou l’accès sont difficiles, ou dans des pays secondaires pour gagner du temps : l’Asie, l’Europe de l’Est, la Grèce, la Turquie…
Engager un agent exige de définir clairement ses objectifs, implique un suivi mais peut générer un chiffre d’affaires additionnel en faisant exister des droits acquis en amont.
Coédition internationale : ressources et aides en Belgique francophone
Les agents dans l’édition peuvent constituer une ressource pour lancer une coédition internationale. Les institutions publiques, en l’occurrence la Fédération Wallonie-Bruxelles et Wallonie-Bruxelles International, peuvent être également d’une grande aide pour favoriser le développement à l’international.
Deuxième intervenante de la journée, Sylvie Philippart De Foy travaille à la Fédération Wallonie-Bruxelles, à la diffusion internationale de la littérature belge francophone. La Direction des Lettres soutient la création et la promotion littéraire. À cette fin, le Service général des Lettres et du Livre propose en particulier des aides à la traduction aux éditeur.trice.s flamand.e.s et étranger.e.s publiant des auteur.trice.s francophones belges. Essentiellement, le.la traducteur.trice doit être professionnel.le, indépendant.e et rémunéré.e et les éditeur.trice.s doivent mettre en place des actions de promotion de l’œuvre traduite. Les frais de traduction sont alors pris en charge jusqu’à 75 %. Trois appels sont lancés par an (en janvier, mai et septembre). Les critères d’attribution prennent en compte le CV et la rémunération du.de la traducteur.trice, la qualité éditoriale (à ne pas confondre avec la qualité littéraire. Il s’agit ici du catalogue de l’éditeur.trice et de la place de l’ouvrage dans ce catalogue. La Fédération ne se prononce pas sur la qualité littéraire de l’écrit par contre), la viabilité économique du projet (prix de vente, public cible, diffusion), etc. Un accueil en résidence de traducteur.trice.s étranger.e.s d’œuvres francophones belges est également organisé chaque année, au mois d’août à Seneffe. Des traducteur.trice.s s’y relaient durant 15 jours pour traduire une œuvre francophone belge, tout en ayant l’occasion de se rencontrer et d’échanger.
Emmanuelle Lambert, troisième et dernière intervenante, travaille quant à elle à Wallonie-Bruxelles International. Le WBI propose un éventail d’aides destinées à l’Édition et à la Littérature. On en épinglera deux :
- En tant que maison d’édition, librairie labellisée ou bibliothèque reconnue, il se peut que vous souhaitiez prospecter à l’international pour y développer votre réseau et vos débouchés. Vous serez dès lors peut-être tenté.e de participer à une manifestation en Flandre ou à l’étranger, comme le Salon du livre de Genève ou le Salon du livre de Francfort. Le WBI pourrait dès lors, sur soumission d’un dossier, intervenir dans vos frais de déplacement et de séjour. Plus d’infos.
- En tant qu’éditeur.trice, si vous souhaitez renforcer votre stratégie internationale, vous pourriez avoir recours à un coaching professionnel. Le WBI pourrait alors soutenir cet accompagnement. La demande, portée par un minimum de cinq éditeur.trice.s, doit alors démontrer la consolidation d’un projet d’exportation en développement (vente de droits sur un salon, développement sur des zones géographiques spécifiques ou des genres spécifiques…). Ce projet doit inclure le programme de formation par un.e coach, laissé au libre choix des demandeur.se.s. Plus d’infos.
Retrouvez ce compte-rendu ainsi que d’autres billets sur le blog du PILEn.
Ailleurs sur Lettres Numériques :
- Tout savoir sur la coédition : une coédition, pour quoi faire ? (Partie 1)
- Tout savoir sur la coédition : comment structurer un partenariat ? (Partie 2)
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— Gilles Simon