La poésie numérique en cinq approches

Le langage informatique se combine au langage humain pour faire naître des créations linguistiques étonnantes et poétiques. The Conversation a recensé cinq approches poétiques liées au numérique. La forme poétique traverse les époques et s’accommode en effet parfaitement de tous les modes d’expression et de ce que permettent aujourd’hui les outils numériques.

La poésie générative

La poésie générative consiste à générer du texte à partir d’une base de données, en s’appuyant sur un programme ou un algorithme. Il suffit de mots isolés ou d’expressions pour que le poète numérique travaille sa matière.

Un extrait du poème génératif Dial (2020) de Lai-Tze Fan et Nick Montfort
Un extrait du poème génératif Dial (2020) de Lai-Tze Fan et Nick Montfort

Pour exemple, le travail de John Barber, qui a généré une liste contenant plus de 5 000 noms de Noirs, Hispaniques et Amérindiens tués par les forces de police depuis 2015. Ni jugement ni condamnation, juste un inventaire à la Prévert qui s’autorécite : une voix artificielle prononce le nom des personnes, avec des intonations étrangement amusées.

Le remix poétique

Simple, percutant et pertinent, le remix agit à la manière d’une écriture surréaliste de recomposition. Le travail de Nick Montfort, poète et professeur à l’Institut des Technologies du Massachusetts, en présente un exemple simple : après une visite à Taroko Gorge, à Taiwan, le poète a produit un texte remarquable.

Montfort écrit : « Si d’autres personnes pouvaient aller dans un endroit de beauté naturelle et écrire un poème sur cet endroit, pourquoi ne pourrais-je pas composer un générateur de poésie à la place ? »

Scott Rettberg, marqué par cette écriture, a repris les codes du poème de Montfort, se séparant de son approche minimaliste pour en faire un texte urbain maximaliste, nommé Tokyo Garage. Cette initiative a donné lieu à des dizaines de remix, toujours partant de Taroko Gorge.

Remix de Taroko Gorge de Scott Rettberg
Remix de Taroko Gorge de Scott Rettberg

Les versets visuels

À la fin des années 1700, William Blake a combiné la poésie et les œuvres d’art gravées dans son recueil conceptuel Songs of Innocence. Apollinaire, pour sa part, a apporté cette adéquation du sens et de la forme, où l’image poétique est sculptée pour exalter le sens. Avec le numérique, cet assemblage entre poésie et imagerie devient plus complexe et puissant.

Le travail de Qianxun Chen autour de Shan Shui (Montagne et Eau) s’articule autour d’un ensemble de peintures traditionnelles de paysages et de mots. Celui-ci se modifie tant dans les mots que les visuels à chaque clic, au moyen d’une génération automatisée.

Shan Shui (2014) de Qianxun Chen
Shan Shui (2014) de Qianxun Chen

Le poème vidéoludique

L’industrie du jeu vidéo a produit des jeux à partir de texte. Les années 1960 et 1970 ont effectivement vu l’émergence de jeux informatiques en mode texte, comme Zork, dont le code source est archivé dans les bibliothèques du MIT.

Le poète numérique Jason Nelson, lui, a effectué le parcours inverse : produire de la poésie à partir d’un jeu. Son œuvre, baptisée Game, game, game, and again game, se présente comme « un poème numérique, un rétrojeu, une déclaration anti-design et une exploration personnelle de la vision changeante de l’artiste en vision du monde ».

Pas de score à pulvériser ni d’objectif, ici le joueur est invité à se déplacer, sauter et tomber dans une atmosphère poétique, excessive et désordonnée.

Un extrait de Game, game, game, and again game (2007) de Jason Nelson
Un extrait de Game, game, game, and again game (2007) de Jason Nelson

L’émergence de la réalité virtuelle a également rencontré la poésie. V[R]ignettes, de l’artiste numérique australien Mez Breeze, est une série de microrécits en réalité virtuelle. Le public peut découvrir cette œuvre en mettant un casque de réalité virtuelle ou en la visualisant dans un espace en 3D dans un navigateur. Chaque V[R]ignette combine un texte poétique, des modèles 3D et une conception sonore atmosphérique. Le lecteur (ou l’utilisateur) peut naviguer en cliquant sur l’onglet « Select an annotation » au bas de l’écran, ou simplement regarder dans l’espace 3D et explorer librement l’œuvre.

Dans la même lignée, Maxime Coton présentait il y a quelques mois à Lettres Numériques son poème en réalité virtuelle Pages Vivantes.

Le message poétique codé

Les poèmes codés, qui installent une confusion des genres originale, n’ont pas besoin d’un ordinateur pour être lus. Les réalisations d’Ishac Bertran en la matière font référence, elles reposent sur des langages informatiques recomposés. Les poèmes codés de sa collection imprimée code {poems} utilisent des langages informatiques.

Pour saisir le message, il faut donc être en mesure de lire du code informatique, ce qui aboutit à des poèmes intraduisibles littéralement et difficiles à comprendre sans une connaissance approfondie.

Ignotus le Mage / flickr, CC BY-SA
Ignotus le Mage / flickr, CC BY-SA

Ces cinq branches du poème numérique ne sont bien sûr pas les seules à exister ou à pouvoir exister, puisque la poésie a pour seule limite l’imagination des créateurs et les nouvelles technologies sont vouées à connaître bien d’autres évolutions.

Ailleurs sur Lettres Numériques :

Sources : https://theconversation.com/beauty-in-code-5-ways-digital-poetry-combines-human-and-computer-languages-140344 ; https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/5-approches-numeriques-de-la-poesie-et-du-poeme-digital/101490

— Cynthia Prévot

Share Button