Le Kindle pour enfants, la fausse bonne idée de l’été ?

À la veille des vacances d’été, le géant Amazon veut conquérir les parents, friands de lecture et de nouvelles technologies et mus par la volonté de faire entrer une dizaine d’histoires au moins dans la valise de 20kg, en proposant des Kindle For Kids. Sous des dehors très alléchants, le Kindle for Kids compte néanmoins quelques inconvénients.

Ces Kindle présentent les caractéristiques des liseuses de base : un écran reproduisant l’effet papier, non rétro-éclairées, dictionnaire, changement de page par effleurement, impossibilité de se connecter à du contenu indésirable et impossibilité également pour les enfants de faire des achats par inadvertance. Amazon propose une série de coques aux couleurs vives, une garantie de deux ans et même si la liseuse ne semble pas avoir été renforcée, elle serait résistante aux projections de liquides et aux griffes.

À qui ces Kindle sont-ils destinés ?

Amazon semble avoir communiqué que ce nouveau produit était destiné à un public allant de la maternelle à la 5e primaire (CM2 ou fifth grade) et dont le but premier est d’améliorer les compétences de lecture des enfants. Dans la conjoncture actuelle, et au vu des compétences de lecture réelles des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, on ne peut que saluer ce genre d’initiatives. Néanmoins, un certain nombre de réticences quant à un produit comme celui-là doivent être mises en évidence.

Les tout-petits et les livres

Pour de nombreux chercheurs spécialisés dans l’apprentissage de la lecture et les compétences de lecture, l’intérêt qu’un enfant va porter aux livres passe généralement d’abord par une phase d’approche motrice de l’objet livre.

Jeanne Ashbé, auteure-illustratrice pour enfants mais aussi thérapeute du langage, l’avait expliqué dans une interview accordée à @CultureULg :

« Dès la naissance, l’activité de la pensée passe par la motricité et nous trouvons cela normal et même souhaitable dans tous les domaines de son développement, sauf lorsque nous leur lisons des livres. On pense généralement que la lecture est une activité qui doit se faire dans le calme et l’immobilité alors qu’il existe une vraie lecture motrice dans laquelle l’enfant fait du sens. Et lire, c’est avant tout faire du sens. Le tout-petit fait du sens avec son vécu, sa place dans la fratrie, sa motricité, ses gestes mentaux préférés qui peuvent être plus visuels, plus auditifs, plus moteurs. Lorsque l’on commence à lire des histoires à un bébé en respectant son rythme, ses entrées personnelles dans la lecture, le contact avec l’écrit à l’âge de 6 ans s’en trouve facilité, et non le contraire. »

À la lecture de cet extrait, on conclut qu’il pourrait être difficile pour un enfant plus « moteur » de porter un quelconque intérêt à un livre qui serait presque totalement dématérialisé et décolorisé. Ce qui nous permet de penser que cibler un public d’enfants de maternelle n’est peut-être pas la meilleure chose à faire.

De plus, la tablette n’étant pas réellement renforcée, elle reste un objet fragile à ne pas mettre dans toutes les mains.

Dès l’apprentissage de la lecture

Dans la vidéo de promotion du Kindle for Kids, on assiste à une série d’évènements se déroulant dans une classe d’enfants du début du primaire.

Une fois encore, il faut préciser qu’un enfant n’est pas l’autre, certains enfants de 6 ans ont déjà derrière eux un énorme bagage de lecteurs parce que leurs parents ont intégré les livres à leur vie quotidienne depuis longtemps déjà. Pour eux, la lecture sur un support numérique est sûrement aussi intéressante que la lecture dans un livre papier mais également que les histoires audio. En bref, ces enfants ont déjà un pouvoir de concentration et un niveau de vocabulaire qui leur permettent de se focaliser sur une histoire en elle-même et non sur l’association histoire/objet livre.

Et puis, il y a les autres. Ceux qui restent plus moteurs ou ceux qui ne vont découvrir l’univers de la lecture qu’en entrant à l’école primaire. Et en même temps que cet univers, ils vont devoir y associer l’écriture et les calculs. C’est probablement pour ceux-là que l’apprentissage de la lecture par l’objet-livre va être le plus important. En effet, on peut se permettre de penser que ce sont eux qui vont être attachés davantage aux images, aux couleurs et aux textures, qu’ils connaissent déjà, plutôt qu’au texte qu’ils découvrent à peine. En revanche, comme tous les enfants, ils connaissent les écrans et ce qu’on leur propose n’est ni un écran, ni un livre, ce qui ne peut manquer de les interpeller.

Les 10-15 ans

C’est peut-être pour cette tranche d’âge que la liseuse est la plus appropriée et surtout pour les déjà gros lecteurs de cette tranche. En effet, quel gros lecteur peut oublier le sac rempli de livres qu’enfant, il trainait avec lui en vacances et qui se vidait à la vitesse de l’éclair ? Alors oui, pour ces jeunes-là, le Kindle for Kids est probablement un bon cadeau à offrir. Il leur permettra d’aller puiser dans l’offre très élargie du géant. Notons toutefois que les contraintes liées à Amazon et aux achats sur Kindle subsistent (formats propriétaires, obligation de créer un compte relié à la liseuse, que faire si papa a associé la liseuse à son compte et que maman veut acheter un livre ?)

Il est donc probablement bien plus intéressant pour l’enfant/ado de télécharger une série de bouquins proposés par les bibliothèques de son quartier ou encore des librairies de son choix. Il suffira d’installer sur un ordinateur le logiciel gratuit Calibre, et l’adolescent pourra convertir n’importe quel fichier en un fichier Kindle Format 8 (AZW3) ou Kindle (AZW) compatible avec sa liseuse.

C’est probablement aussi à ces lecteurs-là que s’adresse la fonction de gamification de la lecture disponible sur la liseuse.

Polices spécifiques ?

Un dernier point qui pourrait se révéler positif n’a pas pu être développé parce que pas testé. On a évoqué ici il y a quelque temps les polices d’écriture spécifiques destinées aux enfants dyslexiques. Si Amazon les avaient intégrées à leur offre, alors, on pourrait considérer la liseuse Kindle for Kids comme un produit réellement intéressant pour ce type d’enfants. Néanmoins, ces infos n’ayant pu être ni trouvées ni testées, nous nous contenterons donc d’évoquer la chose.

Conclusions

En bref, la liseuse Kindle for Kids ne peut améliorer les compétences de lecture des enfants que dans certains cas précis et dans cette optique, n’apporte rien de plus que n’importe quelle liseuse pour adultes.

Le mot de la fin sera celui de deux chercheuses liégeoises Patricia Schillings et France Neuberg qui, dans un article sur les compétences de lecture (proposé sur @CultureULg) soulignent ce qui est finalement le plus efficace pour améliorer les compétences de lecture des enfants :

« Si le goût de lire ne s’impose pas, il peut toutefois s’acquérir progressivement au fil des lectures que les membres de l’entourage familial ou scolaire font aux jeunes enfants, avant même qu’ils ne sachent lire. Ces activités de lecture partagées contribuent à développer le goût de lire. Une étude effectuée par Monique Sénéchal, en 2006, montre en effet que la fréquence des lectures partagées dès 5 ans au sein de la famille prédit la fréquence de lecture pour le plaisir que rapportent les enfants lorsqu’ils ont atteint l’âge de 9 ans. Tout comme les moments de lecture individuelle, les moments où adultes et enfants partagent des albums favorisent le développement de l’imagination et contribuent au développement affectif. Les personnages permettent, par exemple, de vivre des émotions parfois difficiles à exprimer et de découvrir d’autres modes de pensée ou de vie.

Aussi bien en famille qu’à l’école, c’est en partageant des moments de lecture avec les enfants, en interrogeant le texte avec eux, en confrontant les interprétations que les enfants sont amenés à devenir eux-mêmes des lecteurs curieux et actifs et à découvrir à quel point lire est un plaisir et une richesse sans cesse renouvelés. »

Vincianne D’Anna

— Vincianne D'Anna

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