Belgravia, un roman-feuilleton à l’ère du numérique

Lettres numériques vous présente une initiative qui a ravi les fans de Downton Abbey autant que les amateurs de lecture en numérique. Julian Fellowes, le créateur de la célèbre série télévisée britannique, a publié son dernier roman, Belgravia, sous la forme d’une série littéraire via sa propre application disponible sur tous les supports électroniques.

Un projet innovant

Illu Belgravia 2Il faut dire qu’après l’engouement provoqué par Downton Abbey, Julian Fellowes aurait eu tort de ne pas surfer sur la vague du succès. Avec son éditeur The Orion Publishing Group, il a donc décidé de lancer Belgravia, un roman-feuilleton qui, s’il reste fidèle à l’univers de son prédécesseur, fait également le choix de la modernité. La série littéraire a été avant tout publiée sous la forme digitale, grâce au développement d’une application donnant accès au contenu texte ou audio du livre. C’est donc un public bien précis qui était visé : les lecteurs familiers des nouvelles technologies et friands de romans historiques dans la lignée de Downton Abbey. L’intrigue concerne en effet les relations teintées de secrets et de scandales qui lient les membres de la noblesse au XIXe siècle, elle prend comme point de départ un bal organisé par la duchesse de Richmond à Bruxelles à la veille de la bataille de Waterloo et se poursuit au sein du riche quartier de Belgravia à Londres.

Construction de l’audience

Illu Belgravia 3Pour allécher son public avant le lancement de l’application, Julian Fellowes a accordé une interview au journal anglais The Telegraph et a diffusé une vidéo sur YouTube dans lesquelles il présente le projet et son fonctionnement et annonce que le premier des 11 épisodes de la série sera téléchargeable gratuitement. En conclusion de ces deux entretiens, il était proposé aux intéressés de s’inscrire à la newsletter et de découvrir plus amplement l’univers de Belgravia grâce à un lien menant vers le site web dédié à la série. Les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram ont aussi été mis à contribution pour mener la campagne de « recrutement » de lecteurs en ligne et faire du bruit pour le démarrage de l’application à la mi-avril 2016.

Une offre plurielle

Concrètement, chaque personne intéressée pouvait télécharger l’application gratuite Belgravia sur son smartphone ou sa tablette et choisir la formule de paiement qu’il préférait : soit un forfait de £9,98 pour les 10 épisodes, soit £1,49 par épisode. Chaque jeudi, un nouveau chapitre était téléchargeable et le lecteur accédait ainsi au texte (ou à sa version audio), mais également à un ensemble de contenus exclusifs qui accompagnent le récit : un arbre généalogique des personnages, un plan du quartier de Belgravia, des vidéos, des extraits musicaux, des représentations de la mode et de la décoration du XIXe siècle, ou encore la biographie de l’auteur. À la fin du mois de juin, après la parution de tous les épisodes sur l’application, les utilisateurs ont été avertis de la possibilité d’acheter la version papier du livre, qui est d’ailleurs également disponible en version française aux éditions JC Lattès.

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La sérialisation, un avantage pour le numérique

L’intérêt de ce projet réside notamment dans son approche « digital first », c’est-à-dire que le livre est paru en version numérique avant la version papier. Pour ce faire, l’auteur et son éditeur ont mené une réflexion sur les différentes données qui entraient en jeu : la création d’un support attrayant (l’application), la stratégie pour attirer le public visé et la décomposition en feuilletons. Comme nous l’évoquions précédemment, les contenus courts sont ceux qui sont plébiscités en numérique, car ils correspondent à une lecture nomade et morcelée, dans les transports en commun par exemple. De ce fait, la lecture sur le web et le numérique favorisent la sérialisation des contenus (cet article développait la question). En effet, la publication d’un contenu sous la forme d’épisodes, à l’instar du genre du roman-feuilleton représenté au XIXe siècle par Charles Dickens ou Alexandre Dumas, connait une renaissance dans notre société où règne l’instantanéité. Alors qu’aujourd’hui tout est disponible immédiatement et à portée de clic, la sérialisation oblige le lecteur à attendre, renforçant le suspense et fidélisant l’audience en créant de l’intérêt.

Vers une évolution des contenus numériques ?

La force du projet de Julian Fellowes a été d’allier une forme d’édition ancienne et des techniques à la pointe de la technologie. S’il est possible de soulever le paradoxe de cette formule – les progrès du numérique permettent aujourd’hui de publier un livre sans avoir besoin de le diviser en plusieurs parties –, c’est cette forme de narration qui connait le succès actuellement. Les retombées exactes du projet Belgravia restent inconnues, les chiffres de ventes et de téléchargement n’étant pas divulgués par l’éditeur, mais l’expérience est intéressante et annonce peut-être une évolution des contenus numériques, qui permettent de mêler les supports et de modifier l’expérience de lecture. La réflexion est également ouverte autour de la création d’une communauté de lecteurs et d’un écosystème à part entière autour d’une fiction littéraire grâce aux outils numériques.

Comme les séries littéraires ont connu et connaissent encore leur heure de gloire en livre papier (pensons notamment à Harry Potter ou Hunger Games), le format « podcast » pour les chapitres de livre numérique pourrait se révéler profitable, à condition de s’entourer au préalable d’une communauté de lecteurs. Belgravia donne l’exemple et offre aux éditeurs numériques de nombreuses pistes à explorer.

Loanna Pazzaglia

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— Rédaction

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