Amazon Crossing, un programme de traduction vers l’anglais en pleine expansion

En 2009, le géant américain de la vente en ligne s’est lancé un nouveau défi en créant sa propre maison d’édition, Amazon Publishing. Dans cette optique, l’entreprise a développé en parallèle Amazon Crossing, un programme de traduction vers l’anglais qui lui a permis de se propulser parmi les principaux éditeurs de livres étrangers aux États-Unis. Comment ce service fonctionne-t-il ? S’il permet indéniablement aux œuvres de voyager, est-il vraiment avantageux pour les auteurs comme pour les traducteurs ? Lettres numériques vous éclaire sur ce nouveau modèle de traduction littéraire.

Amazon a réussi à transformer l’essai : depuis son lancement en 2010, son programme Amazon Crossing (plus de 15 millions $ investis en 10 ans) a rendu possible la traduction vers l’anglais de plus de 375 titres, aux formats papier, numérique et parfois même audio. En tout, ce sont 29 pays et 19 langues qui sont représentés, dont la France, mais aussi la Chine, l’Allemagne, la Finlande, le Chili, l’Italie, la Turquie, la Colombie, l’Indonésie, etc. Une liste pour le moins impressionnante et de bon augure pour l’expansion littéraire au-delà des frontières !

Amazon publishing

Pour les auteurs : un passage de culture et une ouverture à l’international

En 2015, nos confrères d’Actualitté rapportaient le témoignage de Sarah Jane Gunter, l’une des éditrices d’Amazon Crossing à l’origine du projet : « Nous nous sommes lancés il y a cinq ans avec l’idée qu’il y avait beaucoup de bonnes histoires par de bons auteurs qui n’étaient pas disponibles en anglais. Si vous regardez le nombre de livres qui sont traduits en anglais chaque année, on en parle comme du problème des 3 %. Moins de 3 % de livres qui paraissent en anglais sont de la fiction traduite. Nous avons senti qu’il y avait une opportunité d’importer plus d’auteurs — des best-sellers et des exemples fameux de la littérature contemporaine — d’autres cultures dans la langue anglaise. Et nous nous réjouissons du résultat. »

En effet, dans un pays anglophone comme les États-Unis, les auteurs étrangers ont souvent beaucoup de mal à s’implanter, car la lecture de littérature traduite ne fait guère partie des habitudes de consommation des lecteurs américains ou britanniques. Ce programme permet donc à une fiction internationale de qualité d’élargir son public. Thrillers, polars, romances, romans historiques… Toute une littérature nationale, populaire et moins populaire, trouve ainsi un nouvel écho.

Le fonctionnement de ce programme est simple, comme nous l’explique sur son blog Jean-Jacques Vandroux, un auteur français dont l’ouvrage a été traduit en anglais en 2014. Fait relativement rare dans le monde de la traduction littéraire, c’est la maison d’édition qui repère les auteurs étrangers à succès et tente de les attirer dans son giron en leur proposant une offre de traduction et des services séduisants, comprenant notamment le versement mensuel des droits d’auteur. Pour les romanciers inconnus hors de leur pays, c’est une occasion précieuse de faire voyager leurs ouvrages et de s’offrir une mise en avant à grande échelle que ne pourraient leur proposer les maisons d’édition classiques.

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Pour les traducteurs : des conditions de travail qui font polémiques

Si un tel programme représente une opportunité alléchante pour les auteurs, mais aussi pour les traducteurs littéraires qui peinent souvent à gagner leur vie grâce à leur passion, les conditions de travail proposées par la maison d’édition américaine n’ont pas manqué de faire réagir les associations de défense des traducteurs littéraires, et notamment l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France). L’association dénonçait en 2014 un contrat de traduction très défavorable aux traducteurs et peu en accord avec les normes européennes. Nous vous en retranscrivons les grandes lignes :

  • Des clauses illégales : elles comprennent notamment la cession des droits d’exploitation de l’œuvre de manière exclusive et irrévocable, dans tous les formats et pour tous les pays, et l’abandon du droit moral, ce qui signifie que le traducteur n’aura pas son mot à dire concernant une éventuelle mise à jour ou révision de sa traduction ;
  • Au niveau des méthodes de travail éditorial : concernant les traductions vers le français, Amazon Crossing ne garantit pas qu’il sera effectué par une équipe dont la langue maternelle est le français, une condition pourtant essentielle à la qualité de la traduction, qui implique de maîtriser les enjeux culturels et stylistiques des textes. Amazon Crossing exige également que le traducteur rende compte deux fois par semaine de l’état d’avancement de son travail, sujet à d’éventuelles corrections : une demande qui va à l’encontre de la confiance censée s’établir entre éditeur et traducteur ;
  • Des clauses de confidentialité jugées abusives : comme c’est souvent le cas avec les grandes entreprises américaines, le dévoilement des contrats à des tiers est rigoureusement proscrit.

Si Amazon Crossing assure ne pas tenir compte des tarifs des traducteurs, mais d’un ensemble de paramètres pour faire sa sélection (expérience, domaines de traduction, délais, etc.), l’ATLF appelle à la vigilance des professionnels face à ce type de contrat, qui, heureusement, est encore loin de s’être généralisé en Europe.

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— Elisabeth Mol

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