La Journée du Domaine public à l’ère numérique

Chaque année en date du 1er janvier, des milliers d’œuvres entrent dans le domaine public à l’expiration des droits de leurs auteurs. Théoriquement, elles deviennent alors un bien commun, consultable et réutilisable par chacun. La Journée du Domaine public est une célébration internationale de ce patrimoine ouvert. C’est aussi l’occasion pour des chercheurs, institutions et plateformes de se questionner ensemble sur les manières de le rendre plus accessible, notamment au travers du numérique.

Le 21 janvier dernier, la KBR a accueilli l’édition belge de la Journée du Domaine public, une journée d’étude sur le droit d’auteur destinée aux personnes actives dans le secteur patrimonial. Organisée par le PACKED avec le soutien de Constant, cette journée vise à mettre en lumière les enjeux patrimoniaux des droits d’auteurs et d’offrir des pistes pratiques pour favoriser l’accessibilité au domaine public. Depuis quelques années, ce mouvement a connu une recrudescence grâce aux communautés numériques et aux outils qu’elles mobilisent.

L’association PACKED œuvre en ce sens, en soutenant des organisations patrimoniales et culturelles en Flandre et à Bruxelles dans la production, la diffusion et la conservation du contenu culturel numérique. Son objectif est de contribuer à la création d’une mémoire numérique durable et accessible en connectant les institutions culturelles à des plateformes et des outils de numérisation. L’intérêt d’une telle mémoire est partagé.

Comme l’explique Sara Lemmens, directrice générale de la Bibliothèque Royale de Belgique, les droits d’auteurs actuels posent des limitations sévères sur la recherche, en particulier pour les catalogues numériques, qui bien souvent ne peuvent être consultés dans leur intégralité. Si de nombreuses œuvres sont théoriquement libres de droits, les utilisateurs, qu’ils soient chercheurs, artistes ou simplement curieux, se heurtent encore souvent à des barrières d’accès. La journée du Domaine public offre ainsi un nouveau seuil de réflexion en invitant les institutions à s’identifier au mouvement plus large d’OpenGLAM, une initiative d’Open Knowledge qui promeut l’accès libre et gratuit au patrimoine culturel numérique détenu par les galeries, les bibliothèques, les archives et les musées.

Recueillir les œuvres orphelines

L’un des enjeux, lorsqu’on traite du domaine public, est d’identifier les œuvres qui en font partie. En Belgique, les droits d’auteurs se prolongent pendant une période de 70 ans après le décès de l’auteur, durant laquelle l’exclusivité dépend de ses héritiers. Ce principe se complexifie avec la notion des droits voisins, particulièrement en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles et les créations collaboratives. Comme l’explique Davy Hanegreefs de la Cinematek, les droits des œuvres cinématographiques s’appliquent de façon égale au réalisateur, au scénariste et au compositeur. Afin de déterminer le statut d’une œuvre, une recherche parfois fastidieuse s’impose pour éviter tout conflit légal. Dans le cas d’œuvres anonymes ou au statut obscur, il convient de les répertorier comme des œuvres orphelines avant de pouvoir les reconnaître.

Cette « recherche diligente » stipulée par la loi est souvent un obstacle pour les institutions qui visent la numérisation et représente un investissement important en termes de temps et de ressources, particulièrement pour les projets de numérisation massive. À titre d’exemple, la British Library estime que 40 % de sa collection est composée d’œuvres orphelines.

Une solution se présente sous forme de législation : une directive européenne établit un cadre légal pour faciliter la dissémination des biens culturels, dont les bénéficiaires sont les institutions culturelles et les archives. Deux outils ont été développés dans ce sens sous la tutelle d’Heritage Plus. Le premier est un moteur de recherche facilitant le processus de dédouanement pour les institutions culturelles européennes engagées dans la numérisation de leurs collections. Sous le nom de Diligentsearch, ce système de crowd-sourcing permet de simplifier la recherche diligente des ayants droit afin de pouvoir bénéficier de l’exception relative aux œuvres orphelines. Un deuxième outil complémentaire se présente sous forme d’une base de données qui recense les œuvres dont le statut orphelin a été déterminé et que chaque utilisateur peut mettre à jour.

Connexion des métadonnées

Si le premier défi est celui de l’identification du statut des œuvres, un second concerne leur indexation et de fait, leur visibilité.

Pour favoriser l’accès à sa collection, la Fondation Roi Baudoin s’est associée à Wikimedia. En effet, les moteurs de recherche et les plateformes en ligne jouent un rôle majeur dans la visibilité de l’héritage patrimonial. Grâce à l’approche Linked Open Data, des objets étalés sur les collections de dizaines d’institutions se retrouvent connectés afin d’assurer leur navigabilité, leur comparabilité, mais également une mise en lumière du contexte de leur élaboration. En acquérant les métadonnées des collections les plus détaillées, cette collaboration a permis de cartographier les informations relatives aux œuvres ; des matériaux utilisés aux mouvements artistiques auxquels ils se rapportent, en passant par leurs propriétaires et leurs lieux d’exposition.

Domaine public_Linked Open Data

Cette utilisation du web sémantique est une manière efficace pour connecter des informations a priori dispersées ou isolées. Les données Wiki n’étant pas soumises au langage « humain », les nœuds du réseau sont automatiquement traduits et donc accessibles à des publics aux quatre coins du monde.

Au-delà de la visibilité

Domaine public_Louise Danse_Portrait of Mlle Dethier

L’intérêt de la numérisation dépasse largement celui de la simple consultation ou de l’appréciation du passé. Ces efforts ont également permis de redécouvrir des créations qui ont manqué de reconnaissance à l’époque de leur conception, notamment celles de femmes et de minorités. Cette année, ce sont les gravures de la Belge Louise Danse qui ont fait leur apparition dans le domaine public. Comme le note l’artiste Loraine Furter au sujet de sa pratique, l’absence est un point de départ. Les documents du domaine public permettent de raconter des histoires plus diversifiées que celles que l’Histoire a voulu légitimer.

Mais il ne s’agit pas simplement de figer ces artefacts, même sur la toile mouvante du web. La réutilisation, le remix et la dérivation sont autant de conditions essentielles au maintien d’un environnement artistique vivant et libre.

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— Emma Kraak

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