Les libraires vont-ils dépasser les bornes ?
Actissia vient de lancer son service eBookdirect. Un complément aux bornes numériques installées dans certaines librairies. Le loup dans la bergerie ? Peut-être. Mais ne faut-il pas aller plus loin, pour sauver les libraires ?
Au fond, vous les avez peut être déjà vues ou même utilisées, ces bornes numériques en librairies.
En 2009, ePagine installe une borne dans la librairie Doucet au Mans. D’autres librairies parisiennes suivent le mouvement en 2010. La Procure, célèbre et conservatrice librairie de la place Saint Sulpice, au cœur du quartier Saint-Germain à Paris, s’y met en 2012.
L’idée : acheter un livre numérique via la borne installée dans la librairie. Le lecteur rentre quelques informations (mail, adresse, téléphone, nom et prénom) et reçoit un ticket, qui lui permettra, chez lui, de télécharger le livre et de l’installer sur son support de lecture favori. Le lecteur n’a plus qu’à passer à la caisse régler son achat… au besoin, en espèces ! Au XXIe siècle, il est désormais possible de régler du numérique en monnaie physique. On n’arrête pas le progrès !
En résumé, on se déplace pour acheter un produit dématérialisé. Le sens de la démarche n’est pas aisé à saisir de prime abord. Nina Steffan, d’ePagine, explique : « nous avions le sentiment que, pour faire décoller le livre numérique, il fallait y associer les libraires« . L’avantage principal de ce système est évidemment de pouvoir bénéficier de toute l’expertise d’un vrai libraire sur place.
Rematerialisation, un pas en arrière ?
ePagine n’est pas seul à proposer ce genre de service. Le groupe Actissia (les librairies chaPitre, Libris-Agora et les clubs France et Belgique Loisirs, notamment) propose deux services dans le même esprit. « Nous avions déjà un réseau de librairies, il nous fallait réfléchir au moyen d’y intégrer le livre numérique« . Depuis quelques années également, des bornes ont fait leurs apparitions dans le réseau Actissia. Le groupe ne s’arrête pas là pour autant. En lançant cet été l’eBookdirect, Actissia fait un pas de plus vers la rematerialisation du numérique. Le principe : acheter en librairie une carte qui permet de télécharger le livre chez soi. Pas de comptes à créer, pas de coordonnées (bancaires ou autres) à donner ; on ressort de la librairie avec un élément préhensible, qu’on peut offrir par exemple, et qui donne accès au livre acheté. « Cette carte permet au lecteur d’avoir un objet à conserver, à collectionner ou à offrir, chose impossible auparavant« , précise Corentin Bergeron, directeur projets eBook d’Actissia, à notre consœur Marine Goy.
Enfin, cette rematerialisation du livre numérique ressemble quand même furieusement à un bon pas en arrière. Ce dont se défend Caroline Mirkovic, directrice de la communication du groupe Actissia : « on s’adapte juste à une réalité sociologique. Certains des plus gros lecteurs sont des personnes âgées. Ils s’intéressent d’ailleurs au livre numérique, mais ne sont pas forcément axé informatique. On ne peut pas pour autant les exclure de ce mode de lecture« .
Une solution d’avenir ?
Au fond, ces bornes, c’est une histoire de pédagogie, plus que d’intérêt commercial. « Le livre numérique, c’est peanuts par rapport au reste de la librairie. Mais Filigrane ne peut pas se permettre de ne pas faire du livre numérique. Question de cohérence : une librairie ne peut pas vendre des tartes (la librairie Filigranes propose de la petite restauration au cœur de son espace, ndlr) et ignorer le livre numérique. Ça n’aurait pas de sens » confirme la libraire bruxelloise. « Ce corner est une vitrine, et on contribue beaucoup à l’éducation des lecteurs. On démystifie« .
Donc, on essaie de capter un certain lectorat, plus âgé. Intention infiniment louable, mais cette rematerialisation ne semble pas être la solution pour l’avenir. Elle s’adresse à des lecteurs, moins axé numérique, qui, comme catégorie, tendent à disparaître.
Pour aider les libraires à survivre à cette – pour le moment encore – timide révolution numérique, il faudra vraisemblablement aller plus loin que des bornes numériques dans les librairies. « Personne ne peut dire comment la librairie va évoluer dans les années qui viennent. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le livre numérique ne décolle pas et qu’on est en retard sur le monde anglo-saxon » conclut Caroline Mirkovic, d’Actissia.
Ce constat n’est-il pas l’aveu que le problème est plus structurel que technologique ? Il n’est pas nouveau que les jeunes lisent moins. Et ce n’est pas un changement de support, numérique ou papier, qui peut endiguer ce mouvement. Mais non, décidément, à notre sens, se focaliser sur un public âgé ne peut pas être une solution à long terme.
Le livre et les libraires, s’ils veulent entrer de plain-pied dans l’univers numérique, doivent désormais s’attacher à… dépasser les bornes.
Martin Boonen
@martyboonen
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— Martin Boonen