L’accès libre dans les bibliothèques universitaires belges

François Renaville travaille pour les Bibliothèques de l’Université de Liège et la Bibliothèque Interuniversitaire de la Communauté française de Belgique (BICfB). C’est un spécialiste des questions liées aux bibliothèques académiques et l’auteur du blog : bibliothethique.net.

Le dossier de Lettres Numérique sur l’open access était l’occasion de lui demander comment l’accès libre se développait dans les bibliothèques belges.

Lettres Numériques : Comment marche l’accès libre dans les bibliothèques ?

François Renaville : Il y a deux types de diffusion en open access : la Voie d’Or et la Voie Verte. C’est une distinction importante. Les bibliothèques sont actives dans les deux. Dans le cas de la Voie Verte, il n’agit pas vraiment de publication, mais plutôt de diffusion. Les chercheurs publient dans des revues scientifiques ; ensuite, via des archives ouvertes (que l’on appelle aussi parfois « répertoires » ou « dépôts »), ils peuvent déposer leurs articles pour les mettre à disposition de la communauté scientifique internationale. Cela se passe en parallèle du schéma traditionnel de publication et habituellement après la publication dans la revue. Les articles scientifiques constituent le type de document le plus représenté, mais on peut aussi trouver des chapitres de livre, des ouvrages, des thèses, des documents pédagogiques, des cartes, des textes de conférences…

La Voie d’Or, c’est la publication dans des revues directement en open access. Le lecteur, qu’il soit scientifique ou non, a directement accès au contenu. Il n’y a pas de barrière ou de freins à l’accès, pas d’abonnement à payer pour accéder au contenu. Il existe parfois des frais de publication (Article processing charges [APCs]) pour être publié en Voie d’Or dans certaines revues. C’est le modèle inversé : on paie pour être publié. Les frais de publication demandés varient de quelques centaines d’euros, jusqu’au prix abusif de plusieurs milliers d’euros. Certaines revues, en jouant sur l’excellence et sur leur réseau, détournent les frais de publication pour engranger des revenus supplémentaires. C’est un détournement de l’esprit de l’open access.  Certaines sociétés savantes demandent des frais exorbitants ! Mais attention, la règle générale est bien de ne pas demander de frais de publication ! En 2009, une étude a ainsi révélé que plus de 70% des revues scientifiques répertoriées dans le Directory of Open Access Journals (DOAJ) ne réclamaient aucun frais.

L.N. : C’est le principe de base. Comment se met-il en place dans les bibliothèques, notamment en Belgique ?

F. R. : Les bibliothèques jouent sur les deux tableaux. Au niveau de la Voie Verte, depuis quelques années,  les universités francophones (Bruxelles, Mons, Louvain-la-Neuve, Namur, Saint-Louis et Liège) ont mis en place des répertoires institutionnels pour permettre à leurs chercheurs de diffuser leurs publications en open access : ORBi à l’ULg, DIAL à l’Académie Louvain et DI-fusion à l’ULB et l’UMONS.

Et parallèle à la Voie Verte, la Voie d’Or permet de publier directement en open access. En 2005, on a mis en place à Liège le portail PoPuPS.

La majorité de ces revues sont peer reviewed, ce qui garantit la validité scientifique selon le principe du double aveugle. Votre article, rendu anonyme, est relu anonymement par d’autres spécialistes de votre domaine. Cela garantit l’indépendance.

L.N. : Quelle Voie remporte la faveur des bibliothèques ?

F. R. : On aime bien la Voie Verte parce qu’elle est sans doute la moins chère et permet de mettre en avant la production scientifique de l’institution. Si toutes les universités mettaient en place un répertoire  et décidaient d’une politique institutionnelle forte en matière de dépôt des textes intégraux dans leur répertoire, cela augmenterait significativement la visibilité et l’accès libre à leur production scientifique!

L.N. : C’est un peu le mythe de la gratuité ?

F. R. : Ce n’est pas le mythe de la gratuité puisqu’il y a des coûts. Ne nous leurrons pas : mettre en place une archive ouverte a un coût en termes de travail, de développement informatique, de matériel, etc. Mais l’accès, lui, est gratuit. Les coûts sont supportés par l’institution qui met en place l’archive. La mission des universités, c’est de faire de la recherche, et de rendre accessible le fruit de cette recherche en publiant. L’open access y contribue ! Il permet aussi de mesurer la production d’une université. À Liège, depuis ORBi et grâce au dépôt institutionnel, nous nous sommes aperçus que nous produisions beaucoup plus que ce nous imaginions.

L.N. : Tout le monde joue le jeu ?

F. R. : En mai 2007, le conseil d’administration de l’ULg a décidé de rendre obligatoire l’introduction dans ORBi des références de toutes les publications des chercheurs de l’ULg et le dépôt de la version électronique de tous les articles publiés par un membre de l’ULg.

Comme ce mandat est difficile à contrôler, il fallait un incitant. Pour bénéficier d’une promotion, obtenir une nomination ou des crédits auprès de l’Université, les chercheurs doivent rentrer un dossier avec un CV. Le recteur et le CA de l’ULg ont décidé que seul les CV’s générés par ORBi seraient pris en compte dans ces évaluations. Pour faire simple : un travail qui ne se trouve pas sur ORBi, aux yeux de l’ULg, n’existe pas.

Très vite les chercheurs se sont pris au jeu. Ils y ont beaucoup d’avantages : un  référencement Google presque immédiat après dépôt, un archivage pérenne de leurs références et de leurs textes, des CV’s très facilement générés, une visibilité accrue de leur travail, une deuxième vie offerte aux publications parfois plus anciennes, etc. En ce qui concerne le droit d’auteur, son seul rôle visé dans le contexte de l’open access est de « garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités ».

L.N. : Alors, ORBi est un succès ?

F. R. : Le dépôt en open access est sans cesse croissant. C’est une belle réussite que ce projet piloté par les bibliothèques. Et des projets pour améliorer ORBi existent. On a mis en place un ORBilu, sorte de petit frère luxembourgeois d’ORBi.

L’Open Access est un mouvement international qui prend de plus en plus d’ampleur, un sacré coup de pied dans les modèles commerciaux traditionnels de publication car il amène les éditeurs scientifiques, commerciaux et même les ‘non profit‘, à se repositionner. On est sans aucun doute à un tournant.

Propos recueillis par Martin Boonen

@martyboonen

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— Martin Boonen

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