Québec : retrouver le goût de la lecture

Le deux décembre dernier, le Ministre de la Culture et des Communications du Québec, Maka Kotto, a dévoilé une variante du prix unique du livre. L’objectif : protéger les libraires indépendants. L’intention est louable, mais la solution est-elle vraiment économique ?

Le collectif québécois « Sauvons les livres », qui rassemble des libraires, des éditeurs, des écrivains et des illustrateurs, réclamait depuis l’automne passé des mesures de protection à l’égard des libraires. Ils semblent avoir été entendu. La semaine dernière, Maka Kotto, Ministre de la Culture et des Communications, a annoncé qu’un projet de loi régulant les rabais sur les livres neufs serait présenté lors de la prochaine session parlementaire. Pendant les neuf mois suivant la sortie d’un livre, les rabais possibles seront limités à dix pour cent.

Le livre numérique pas visé ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas le livre numérique qui est visé, ou rendu responsable des déboires des libraires au Québec. D’après Christian Liboiron, de Kobo Québec, le marché du livre numérique québécois n’excède pas les quatre ou cinq pour cent. « Vu la proximité des marchés canadiens et nord-américains, aux parts de marché beaucoup plus importantes, on peut être impatient. Le livre numérique se développe lentement mais surement« . Pas de quoi inquiéter les libraires à première vue : « la menace qui pèse sur les libraires n’est pas numérique. Il y a un changement de comportement des lecteurs plus généralisé. Au Québec, les gens ne vont plus dans plusieurs points de vente pour faire leurs achats. Ils préfèrent aller dans une grande surface pour faire tous leurs achats, même des biens culturels comme les livres » expose le spécialiste de Kobo. La cible de cette nouvelle législation est donc autre : les grandes chaînes commerciales, type Walmart. Elles seules peuvent se permettre de vendre des livres à des tarifs si concurrentiels. Les pertes engendrées par cette politique agressive étant compensées par les bénéfices des autres catégories de biens vendus. Quitte à augmenter à nouveau les prix une fois que le ménage sera fait chez les libraires indépendants.

Autre géant visé, Amazon, friand de promotions, n’a pas tardé à réagir en s’offrant les services du cabinet de lobbying Gowling Lafleur Henderson pour peser dans le débat.

Le lecteur, au cœur des enjeux

Autre discours chez Kobo : « nous n’avons pas de position officielle. On fera avec la législation en place, comme partout dans le monde. On a toujours été très proche des libraires indépendants, avec de nombreux partenariats » assure Christian Liboiron.

D’ailleurs, pour lui, les mesures prévues par Maka Kotto ne seront pas déterminantes : « Une fois que la période d’essai de la loi sera terminée (le projet prévois d’évaluer l’impact de la nouvelle législation après trente-six mois, ndlr), il faudra regarder de près le comportement des lecteurs. Nous avons de moins en moins de grands lecteurs, que ce soit sur papier ou en numérique« .

Plus que sur une législation économique, pour Christian Liboiron, le salut des libraires repose sur un gout de la lecture retrouvée : « le Brésil a eu des politiques très agressives sur la littératie et sur la technologie qui jouent beaucoup sur la promotion de la lecture« .

Mais ce n’est pas tout. Le livre numérique a peut-être une responsabilité : « il faut rendre le livre numérique plus accessible. Notre système de prêt dans les bibliothèques est très intéressant. Le prêt a toujours un effet positif sur les ventes. C’est vrai pour le livre comme c’est vrai pour le Vélib à Paris (et le Villo à Bruxelles, ndlr) : les gens font plus de vélo. Le prêt de livre numérique, c’est une façon de redonner le goût à la lecture« .

Et le goût de la lecture, ça commence à l’école. Pour sauver les libraires, les mesures les plus pertinentes seront probablement celles portant sur l’éducation, plus que sur l’économie.

Martin Boonen

@martyboonen

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— Martin Boonen

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