Le Petit Futé à l’ère du numérique : entre catalogue en libre accès et innovations

En 2008, le Petit Futé créait la surprise en proposant sur Nintendo DS 200 destinations dans Travel & Play, une sorte d’application de voyage avant l’heure. Quelques années plus tard, l’éditeur au renard se lance dans l’aventure Google Books et propose la totalité de ses guides touristiques en libre accès en devenant ainsi un des trois partenaires principaux du programme en France (avec L’Harmattan et le guide Michelin). À l’heure où l’édition numérique concurrence plus que jamais les versions papier des guides spécialisés, le Petit Futé semble maintenir le cap, contre vents et marées. On a demandé à Eric Merken, directeur commercial du Petit Futé Belgique si le numérique était l’avenir des guides touristiques. Il nous confie ses impressions.


E. Merken : il est vrai que le Petit Futé a misé très tôt sur le numérique et a été parmi les premiers à proposer des versions homothétiques et gratuites de ses guides. Aujourd’hui, 100% de nos publications papier sont également disponibles en format numérique. Mais le format numérique peut recouvrir de nombreuses réalités différentes : la version traditionnelle homothétique, la version dans laquelle les adresses et numéros de téléphone sont cliquables et enfin, les applications. Celles-ci impliquent la géolocalisation et donc permettent au lecteur de trouver ce qu’il cherche directement sur une carte dans un rayon de X km autour du smartphone ou de la tablette. Il existe également ce qu’on appelle l’application globale du Petit futé qui a des valeurs ajoutées par rapport au simple guide. Ces valeurs ajoutées sont les interactions et les commentaires des utilisateurs, l’historique des visites qu’il est possible de conserver…

Quelles ont été les répercutions de l’accord avec Google Books sur les ventes  ?

E. Merken : lorsque le Petit Futé a décidé de signer un accord avec Google Books, les commentaires ont fusé, tout le monde nous disait que nous étions fous et que les ventes allaient fortement chuter. Mais si on prend l’exemple du guide sur Liège, pour lequel nous étions réellement les tout premiers à proposer en ligne et gratuitement un guide de voyage dans son intégralité, c’est le contraire qui s’est passé.  En effet, chaque fois qu’un internaute avait l’occasion de trouver une info présente dans la version numérisée du guide sur Liège, il avait également la possibilité de cliquer directement sur le lien qui lui permettait d’acheter le guide. Le résultat fut probant, en tout cas pour le guide sur Liège.

Parlons du guide sur Liège. Nous sommes à la fin du mois de mars et le guide est en rupture de stock. Peut-on réellement parler de chute des ventes des guides papier ?

E. Merken :cCette année, il est vrai que de nombreux guides se sont bien vendus et le guide sur Liège a connu un beau succès. Néanmoins, globalement, il faut bien admettre que l’on vend de moins en moins de guides papier.

Cependant, parmi les éditeurs, nous faisons partie de ceux qui gèrent le mieux le passage à l’ère du numérique. Je sais que certains concurrents parlent de pertes de 30 à 35% des ventes papier, pertes qui ne peuvent pas être compensées par l’offre numérique qui est souvent gratuite. Par exemple, Lonely Planet a licencié un tiers de son personnel en juillet dernier, soit près de 80 personnes.

Le Petit Futé souffre moins de la chute des ventes parce qu’on ne fait pas uniquement de la vente de livres, nous avons notre propre régie publicitaire qui nous permet d’apporter des fonds supplémentaires aux ventes. Ce n’est pas le cas de la plupart des autres guides touristiques. Nous sommes un des derniers groupes de presse à être toujours aux mains des fondateurs et à ne pas avoir été racheté par un grand groupe. Cela nous offre une liberté plus grande que des guides comme Le Routard par exemple, mais en même temps, notre diffusion est également réduite par rapport à la leur. C’est également notre indépendance qui nous permet également de vendre nos guides moins chers que les autres. (NDLR: Le Routard Belgique 14,30 euros; Le Petit Futé Belgique 12,90 euros).

Mais le numérique reste un gros challenge à relever sur lequel on travaille activement depuis 2 ou 3 ans maintenant.

Quelles sont les stratégies mises en place pour relever ce défi ?

E. Merken : pour assurer au Petit Futé la transition vers l’ère numérique, on utilise bien sûr les vecteurs traditionnels comme les réseaux sociaux, les blogs, le site internet sur lequel les gens peuvent créer leur propre blog de vacances,… mais ce sont des techniques utilisées aussi par nos concurrents. Il y a d’autres projets plus précis sur lesquels on travaille et qui devraient bientôt porter leurs fruits.

Pour moi, parmi les projets les plus porteurs, il y en a un dans lequel je crois beaucoup et qui n’a été relevé chez aucun de nos concurrents jusqu’à présent, c’est le B.O.D., le Book On Demand, c’est-à-dire un carnet de voyage construit sur la base d’informations pêchées dans le Petit Futé. Par exemple, je pars en voyage, je passe par Paris, l’Espagne, et le Portugal. J’encode les différentes informations liées à mon itinéraire, je précise que je recherche des restos de gamme moyenne et des hôtels bon marché et que je suis intéressé par ce qui touche au design. L’application va récupérer mes informations et me construire un Petit Futé personnalisé en fonction des différents critères que j’ai sélectionnés.

Dans un premier temps, le BOD ne sera proposé qu’en version numérique mais à terme, on envisage aussi d’offrir au lecteur la possibilité de recevoir chez lui une version imprimée. On utiliserait le principe de l’impression à la demande. C’est en quelque sorte un Petit Futé sur mesure. On peut aussi envisager de créer sa version « après les vacances » dans laquelle on aurait intégré ses commentaires et ses impressions. C’est évidemment un concept qui va coûter plus cher mais pour lequel je pense que les gens seront prêts à débourser davantage.

Actuellement la version numérique est en test, et la version papier suivra dans quelques mois. Malheureusement, pour la version papier, c’est surtout la question du coût qui va être décisive.

TripAdvisor et les réseaux sociaux sont-ils une menace pour la survie des guides touristiques ?

E. Merken : la position que je défend ici n’engage que moi et non celle des éditions Petit Futé. Pour moi, des sites comme Tripadvisor ne sont pas une mauvaise chose. Cela force à dynamiser le monde de l’édition du tourisme. Quand bien même on sait qu’il y a de faux commentaires, que des entreprises paient de faux profils pour engendrer de fausses réactions, je pense qu’à l’heure actuelle, de plus en plus de gens sont capables de repérer ces supercheries.

Au final, je pense que le web 2.0 constitue un bon complément aux guides touristiques traditionnels. Et même si le web 2.0 a fait de Monsieur et Madame Tout-le-monde un expert, la prochaine étape sera de faire revenir les experts sur le devant de la scène. Je pense que l’on arrivera à trouver un bon équilibre entre les spécialistes dont le métier consiste à critiquer sur des bases solides et les consommateurs qui feront part de leur propre expérience.

Vous êtes souvent en contact avec les commerçants, restaurateurs et hôteliers qui parfois gèrent mal leur image sur le net, est-ce que cela fait partie de vos rôles d’accompagner les professionnels du tourisme vers l’ère du numérique ?

E. Merken : tout comme certaines grosses sociétés ont les moyens de se payer les services d’un community manager, certains professionnels du tourisme savent très bien gérer leur image sur internet ; néanmoins, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ainsi, il arrive souvent qu’un seul client déçu par une mauvaise expérience (peut-être exceptionnelle) relate le tout dans un commentaire qui pourrait pénaliser fortement le restaurateur. Si ce dernier ne connaît pas le fonctionnement d’un site comme TripAdvisor, il ne profite même pas de son droit de réponse.

Donc, oui, même si cela peut sembler étrange, on considère que notre rôle (celui de notre régie publicitaire en tout cas) est de leur expliquer le fonctionnement de ce genre de site internet et de les aider à redresser la barre. Très sincèrement, on a quelques exemples de cas où une simple séance d’information a aidé les restaurateurs à éviter de peu le désastre.

Les versions numériques du Petit futé sont lues majoritairement sur des tablettes et des smartphones. Dès lors, est-ce que la rédaction des guides tend à s’adapter aux supports en adoptant une écriture « web » ?

Oui, c’est un point sur lequel nous travaillons. Non seulement, les textes doivent être assez courts et dans un style léger (mais avec un fond toujours dense et bien documenté), mais ce qui est surtout primordial dans le concept d’écriture web, c’est de veiller aux impératifs liés aux moteurs de recherche. Comment les moteurs de recherches réagissent-ils par rapport à ce qui est publié sur internet ? Quels sont les mots-clés à intégrer, les règles particulières à suivre, la structure sur laquelle greffer son texte afin que les moteurs de recherche choisissent de mettre en avant ces textes-là plutôt que d’autres ? C’est à ce niveau-là que nous devons travailler l’écriture.

Sera-t-il possible d’envisager à court ou moyen terme une diminution du prix des versions numériques ?

(NDLR: actuellement la version du Petit Futé Liège en version papier est à 12,95 euros et la version numérique à 7,95 euros.)

À l’heure actuelle, tous les éditeurs sont en plein questionnement en ce qui concerne le prix du numérique. Honnêtement, je ne sais pas si une diminution pourra être envisagée puisque pour compenser la vente d’un livre papier, il faudra vendre deux guides numériques. En tout cas, une chose est sûre, c’est qu’en plus de l’édition numérique, il faut multiplier les pistes, sinon, ni nous ni aucun autre éditeur de guides touristiques ne parviendra à conserver son chiffre d’affaires.

Propos d’Eric Merken recueillis pas Vincianne D’Anna

À lire dans notre numéro spécial Tourisme et numérique :

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— Vincianne D'Anna

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