« Les murs ont des voix », une expérience littéraire autour d’une application audio géolocalisée

Dans le cadre de sa présence à la Foire du Livre de Bruxelles, le PILEn vous convie à une première rencontre thématique le jeudi 18 février de 16h à 18h au sein du Quartier Web/ Nouvelles Ecritures : regards croisés France-Belgique sur le livre audio à l’heure du numérique. Vous pourrez notamment y découvrir le projet novateur « Les murs ont des voix ». Lettres Numériques est parti à la rencontre d’un éditeur ayant participé de près au projet : Benoît Verhille, directeur des éditions La contre allée.

Le projet « Les murs ont des voix » fut lancé en 2013 en partenariat avec Olivier Carpentier, cofondateur de Book d’Oreille, une librairie en ligne de livres audio. Pouvez-vous nous présenter ce projet en quelques mots ?

Tout démarre de façon simple : Olivier Carpentier est tombé sur un texte de Lucien Suel, D’azur et d’acier que nous avions publié en 2010 et produit dans le cadre d’une résidence d’auteurs. Le texte D’azur et d’acier est une écriture qui investit l’histoire d’une friche et à travers laquelle on retraverse l’ère industrielle et le réaménagement urbain. Olivier ayant une formation d’historien, c’est un sujet qui le passionnait. Il m’a alors contacté pour acquérir les droits et lors d’une rencontre, il m’a fait part de son projet d’application. J’étais d’accord, mais je m’interrogeais sur la façon de m’engager dans le numérique en dehors de ce qui était déjà proposé. De plus, je n’y comprenais pas grand-chose : le numérique correspond à un nouveau langage, de nouveaux intermédiaires, de nouvelles fonctions et j’avais besoin d’appréhender ce monde. Alors plutôt que de lui vendre les droits, nous nous sommes associés.

L’idée du projet était de mettre les gens dans les pas de l’écrivain qui s’est lui-même placé dans ceux des ouvriers. Le texte est lu et adapté par l’auteur et accompagné d’une création musicale inspirée de l’histoire sonore du lieu. C’est un site industriel donc on peut imaginer la cacophonie. La vie y était rythmée par le son de l’usine. Ce projet a un intérêt artistique, historique, patrimonial, mais amène également une réflexion sur le rapport aux écritures contemporaines et sur les différents niveaux d’appréhension d’un texte (audio et papier).

Les murs ont des voix

L’application connait un succès auprès des gens mais également des institutions et a été récompensée par le prix PILEn dans le cadre du concours Protopitch. Pensez-vous développer cette application à d’autres ouvrages et à d’autres lieux ?

Pour développer ce projet à d’autres endroits, il faudrait réussir à mettre en place le même schéma de production. Or la mise en place des « Murs ont des voix » a nécessité un financement lourd de plusieurs dizaines de milliers d’euros, ce qui requiert beaucoup d’aides financières extérieures. De plus, il ne faut pas oublier que cette application correspond avant tout à l’exploitation d’un contenu qu’il faut donc produire en amont. Après, il serait possible de créer le même parcours avec d’autres contenus. Nous avions d’ailleurs produit des résidences sur le même terrain, avec d’autres regards d’écrivains et donc des approches différentes. Toutefois, il faudrait adapter les contenus, car les autres textes ne sont pas conçus pour une lecture itinérante. Cela représente tout de même un moindre coût de production. De manière générale, ce fut un projet stimulant sur tous les plans. Le numérique en tant que champ d’expérimentation et de création est une chose fabuleuse, on s’est régalé en exploitant les possibilités offertes par ce média.

book d'oreilleVous travaillez également avec Book d’oreille pour la création et la commercialisation de livres audio. En tant qu’éditeur, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?

La contre allée existe depuis 2008 et quasiment toutes les premières publications sont accompagnées d’adaptations audio que vous pouvez télécharger depuis notre site. C’était l’idée d’un argument supplémentaire pour le libraire, l’audio justifiait notre place chez lui. Mais c’était également un moyen pour le lecteur de s’emparer du texte, d’y entrer d’une autre manière, car les œuvres sont assez poétiques. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné et comme une production studio coûte cher, on a donc cessé après 3-4 ouvrages. Puis, en 2013, la rencontre avec Book d’Oreille nous a offert l’opportunité de réinvestir le champ de l’audio. Après deux ans de réflexion et de travail sur l’application « Les murs ont des voix », le prolongement de notre partenariat avec Olivier Carpentier vers le livre audio s’est fait de façon naturelle.

Le livre audio rencontre un certain succès aux États-Unis. Qu’en est-il en Europe et notamment en France ?

Le livre audio en France n’est pas encore très prisé, mais cela semble s’améliorer. Cela est dû notamment aux pratiques franco-françaises. Prenons un exemple voisin : en Allemagne, là où l’on observe une grande pratique de la lecture publique, le livre audio sort du lot. Il est en effet assez courant pour les gens d’aller assister à une lecture donnée par l’auteur. En France, il en existe tout de même et les gens apprécient le fait de pouvoir entendre l’auteur lire, mais cette pratique n’est pas courante. De plus, en France, le focus est surtout mis sur l’écrit. C’est notamment le cas dans l’enseignement : pour l’apprentissage des langues étrangères par exemple, on est contraint par le rapport à l’écrit et l’on se trouve assez peu dans un rapport à l’oralité. On considère encore le livre audio comme un accès pour les personnes en situation de handicap. Pourtant, le livre audio peut constituer un vrai plaisir. Il s’agit d’un rapport différent au texte.

Une commission des éditeurs de livres audio a été créée en juin 2015 par le SNE. Que pensez-vous de cette initiative et de l’impact que cela peut avoir sur le marché du livre audio ?

Cela sous-entend que quelque chose est en train de se structurer et d’essayer de se faire entendre. Jusqu’à là il y avait beaucoup d’acteurs isolés dans ce domaine. Moi-même je découvre l’espace du livre audio avec La contre allée par une réflexion aussi bien dans la production que dans l’exploitation. J’ai fait le pari de réinvestir ce champ-là, car je me suis senti épaulé par la structure Book d’Oreille qui a une bonne vision de ce marché, de ses usages et qui constitue un bon outil pour observer les pratiques. Pour l’instant, je suis plus observateur qu’acteur. Cette commission permet donc de « déblayer » le terrain qui se trouve devant moi.

Que retirez-vous de cette expérience du livre audio ? Qu’envisagez-vous pour l’année 2016 ?

Nous n’avons pas encore assez de recul pour le moment, car nous sommes présents avec 3 livres sur la plateforme Book d’Oreille depuis décembre 2015 seulement. Je ne pense pas que l’on puisse encore parler de rentabilité du livre audio à l’heure actuelle. Pour ma part, je cherche plutôt à réaliser un montage financier cohérent pour alimenter le catalogue audio de deux ou trois références cette année et continuer d’explorer ce champ. C’est une expérience dans laquelle je me projette sur le long terme, car les pratiques évoluent et j’estime que nous avons une place à prendre dans le marché du livre audio. Cela fait partie d’une réflexion plus large autour du numérique.

Retrouvez ici toutes les informations sur la rencontre consacrée au livre audio organisée le jeudi 18 février dans le cadre de la Foire du Livre.

Elena Burgos

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— Rédaction

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