Conférence « La crise, et après ?  » : Retour sur les deuxièmes Assises Européennes du Livre

Ce mercredi 24 février 2021, se sont déroulées les deuxièmes Assises européennes du Livre, et les premières en ligne. Introduites par Mariya Gabriel, la commissaire européenne à la culture, elles ont donné lieu à des débats sur les problématiques que le secteur du livre rencontre actuellement. Une bonne partie d’entre elles sont liées à la crise sanitaire que nous vivons. Cette année, les projets de nombreux d’entre nous ont été chamboulés voire avortés. La chaîne du Livre a dû s’adapter, se réinventer et surtout faire preuve de solidarité. La Foire du Livre de Bruxelles, organisatrice de l’événement en partenariat avec la commission européenne, nous a offert des interventions enrichissantes afin de discuter de l’avenir de la chaîne du livre. 

La première conférence de la journée, animée par Nicolas Becquet (L’Echo), a comparé les différentes situations liées à la crise qu’ont rencontrées les acteurs du livre en Europe. Trois intervenants venant de pays différents ont parlé des pratiques qui ont été mises en place pour répondre à ces nouvelles difficultés. 

Avant de leur laisser la parole, Benoît Dubois, Directeur de l’ADEB et membre de la Fédération européenne des éditeurs, a présenté les chiffres clés du secteur du livre en Belgique et en Europe. Malgré le manque de recul nécessaire pour pouvoir tirer des conclusions pertinentes de ces chiffres, nous pouvons observer que le secteur livre, d’un point de vue général bien entendu, n’a pas connu une trop grande catastrophe. 

Voici listées les quelques tendances de cette année en Europe : 

  • ce sont les plus petites maisons d’édition qui ont souffert de cette crise, n’ayant pas toujours un catalogue assez diversifié ni assez de liquidité pour s’en sortir ;
  • les livres électroniques et audio ont quant à eux connu une croissance impressionnante ;
  • les livres jeunesse, parascolaires et les BD sont les grands gagnants de cette année ; les ventes de livres sur le tourisme et l’événementiel ont par contre grandement diminué ;
  • le livre est toujours numéro 1 comme bien culturel même s’il connaît une diminution importante par rapport aux jeux vidéo et à la musique ;
  • 30 % des livres devant sortir en 2020 ont été reportés ou annulés. Ce n’est pas pour autant qu’il y aura plus de nouveaux livres en 2021 ;
  • les habitudes des lecteurs ont été chamboulées ; ils ont dû se tourner vers d’autres points de vente. Les grosses plateformes ont pu tirer leur épingle du jeu ;
  • l’Italie a mis en place le meilleur plan de soutien au secteur. Ils ont créé un microsystème afin que chaque acteur de la chaîne du livre italienne s’entraide. Les bibliothèques ont reçu une aide de l’État italien afin d’investir dans des librairies locales italiennes. 

Pour Benoît Dubois, le mot d’ordre qui doit être sur toutes les lèvres est la diversité. La chaîne du livre doit se focaliser sur une diversité aussi bien de ses créations, des éditeurs que de la diffusion des livres. C’est au moyen de cette diversité que le livre survivra à la crise. 

Anja Kovač (Slovénie) : « La crise a provoqué de grands changements sur le marché du livre »

En Slovénie, comme nous l’explique Anja Kovač, responsable de la coopération internationale à l’Agence slovène du livre, la fermeture des librairies a été un énorme choc. Les librairies sont la première source de revenus pour toute la chaîne du livre. Qu’ils soient auteur, éditeur, ou distributeur, leur survie dépend des librairies et leur fermeture a eu un impact énorme sur le marché du livre. L’agence des éditeurs en Slovénie a préparé une vidéo, à la fin de la première vague, pour promouvoir la réouverture de ces librairies. La population, ayant plus de temps libre, s’est tournée vers le livre. La demande n’a donc pas vacillé. Malgré cela, Anja Kovač nous explique que la crise a provoqué de gros changements sur le marché du livre. Par exemple, les livres audio se sont considérablement développés en Slovénie alors qu’avant la crise sanitaire, ils étaient quasiment inexistants. « La crise n’est pas entièrement mauvaise » nous a-t-elle avoué. La situation actuelle est difficile, mais sur le long terme, il y aura des changements positifs. Lire nous permet de nous évader. Les livres nous offrent un moment de répit et ne sont pas près de disparaître. 

Caroline Couteau (Suisse) : « Il faut plus développer la diversité de la création »

En Suisse, Caroline Couteau des Éditions Zoé constate une grande lassitude. Lors de la première fermeture des libraires, une grande mobilisation s’était mise en place pour défendre le secteur du livre. En effet, le ministère de la Culture avait décidé d’indemniser la culture, mais d’en exclure le livre. Ils ont aussi rencontré beaucoup de problèmes liés aux gestions différentes selon les cantons. Chacun suivait leurs propres règles. À présent, la presse ne parle plus ou quasi plus du livre. Le click and collect se pratique, mais ce sont seulement les best-sellers qui se vendent, car les librairies sont de plus en plus sensibles au risque. Elles sont sur leurs gardes et les plus petites maisons d’édition en souffrent grandement. On retrouve donc moins de diversité dans les livres. 

Caroline, à la suite de cette crise, suggère qu’il pourrait être utile de mettre en place un mois sur l’année sans rentrée littéraire. En effet, lors du premier confinement, de nombreux titres ont été reprogrammés ou même annulés un peu partout dans le monde. Les libraires ont dû regarder ce qu’ils avaient à proposer dans leurs stocks. Cela a permis de belles redécouvertes. En ralentissant un peu le rythme de la chaîne du livre, on permettra de mettre en avant des livres qui seraient passés inaperçus.

Le milieu du livre en Suisse est très conservateur. Il est difficile de venir chambouler les choses. Mais si on arrive à mieux comprendre comment fonctionne chaque acteur de la chaîne du livre, on arrivera peut-être à oser prendre plus de risque et à développer la diversité de la création. 

La Suisse s’est aussi penchée sur la question des libraires indépendants. Ceux-ci n’ont pas les moyens de mettre en place des librairies en ligne. Avec le développement digital que le livre connaît, ne pas être sur ce marché les pénalise. C’est pourquoi la création d’un site afin de représenter ces librairies indépendantes est dans la liste des projets suisses.

Peter Kraus vom Cleff (Allemagne) : « Lisez des livres à vos enfants »

L’Allemagne a elle aussi connu un confinement total. Même si certains segments du marché du livre s’en sont sortis mieux que d’autres, ce confinement a été une catastrophe pour le chiffre d’affaires de chacun. Peter Kraus vom Cleff, directeur exécutif des Éditions Rowohlt et président de la fédération européenne des éditeurs, explique que les librairies ont dû être créatives et repenser leur manière de vendre. En Allemagne, des livraisons de livres à domicile se sont organisées en vélo et même en skateboard. Malgré cela, beaucoup de lecteurs se sont tournés vers les ventes en ligne. 

Le problème des ventes en ligne, c’est qu’elles sont très ciblées. Cela nuit à la diversité culturelle. On ne déambule plus entre les rayons et ne tombons plus par hasard sur un livre qu’on n’avait pas prévu d’acheter. Un algorithme ne remplacera jamais l’instinct d’un libraire. 

L’aide des gouvernements pour le secteur du livre s’est organisée différemment selon les pays. Comme dit plus haut, l’Italie est la grande gagnante du soutien mis en place alors qu’au Portugal, on déplore la somme ridicule allouée à la chaîne du livre. En Allemagne, de grands moyens ont été mis en place afin de soutenir la foire de Francfort, par exemple. 

C’est l’un des problèmes de cette crise, il manque un espace public où les maisons d’édition peuvent montrer ce qu’elles ont, où l’on peut échanger, partager des idées, se côtoyer et créer des liens. Il faut trouver une solution pour rencontrer les gens, car on ne peut pas atteindre tout le monde par le biais des conférences en ligne.

Pour le président de la fédération européenne des éditeurs, les leçons à tirer de la crise sont claires.  Il y a dans le secteur du livre :

  • un besoin d’aide et de soutien des librairies et des éditeurs ;
  • un besoin de support structurel pour le tout le secteur ;
  • un besoin de renforcer la diversité culturelle ;
  • un besoin de support écoresponsable (acheter plus local) ;
  • une nécessité de s’attaquer à certains monopoles.

Peter Kraus vom Cleff conclut en demandant à chacun de lire des livres à ses enfants. Si on ne leur en lit pas quand ils sont jeunes, ils auront du mal à lire en étant plus grands. Il faut leur acheter des livres ! 

En conclusion, « cette crise aura été un accélérateur d’idées et de créativité ».

On peut conclure sur les mots de Marie Noble, commissaire générale de la Foire du Livre de Bruxelles, qui nous dit que malgré cette période difficile, de belles stratégies de survie ont vu le jour dans la chaîne du livre. Cette crise aura été un accélérateur d’idées et de créativités. Il faut continuer à ouvrir de nouvelles portes, de nouvelles pratiques pour être encore plus solidaires et se soutenir les uns les autres face à cette crise.

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— Clémence Claes

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