Livre audio : les enjeux juridiques et fiscaux (Partie 1)
Associant texte et oralité, support physique et numérique, le livre audio constitue un support hybride dont le cadre juridique n’est pas encore bien établi : quel type de contrat s’applique entre l’éditeur et l’auteur ? Quels sont les enjeux juridiques et fiscaux au niveau de l’exploitation d’un tel support ? Quels chantiers reste-t-il à mettre en œuvre pour clarifier son statut juridique ? Valérie Lévy-Soussan (PDG d’Audiolib et vice-présidente de la commission livre audio du SNE), Liliane de Carvalho (responsable juridique du groupe Madrigall) et Damien Couet-Lannes (juriste SGDL auprès des auteurs de l’écrit) ont abordé toutes ces questions en juin dernier, à l’occasion de la rencontre interprofessionnelle autour du livre organisé par La Plume de Paon et la SGDL.
Du point de vue de l’auteur : le contrat et la rémunération
Damien Couet-Lannes revient sur les fondamentaux de la propriété intellectuelle. Lorsqu’un auteur produit une œuvre, il dispose évidemment de droits d’auteur sur celle-ci, qui comprennent les droits patrimoniaux et le droit moral. Le livre audio constituant une œuvre retranscrite, il donne lieu à une cession de droits, à travers un contrat entre l’auteur et l’éditeur.
- Les droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux comprennent les droits de représentation et de reproduction. Le premier correspond au droit de communiquer l’œuvre au public, le deuxième au droit de fixer l’œuvre. Le contrat d’édition sera quant à lui l’instrument juridique qui constate la cession de ces droits par l’auteur au profit d’un éditeur, afin que celui-ci puisse exploiter le livre.
Dans ces contrats, il est généralement prévu la cession des droits audio au profit de l’éditeur. Cette cession, pour qu’elle soit complète, doit prendre en compte la mention expresse de cette cession et une rémunération. Il existe des cas de figure où la cession de droits n’a pas été « parfaite », par exemple parce qu’il n’y a pas eu mention de la rémunération. Elles nécessiteront alors, si l’éditeur veut exploiter lui-même l’œuvre ou les céder à un éditeur audio, la signature d’un avenant. Damien Couet alerte sur le fait que les auteurs ne sont pas obligés de céder tous leurs droits à un éditeur : en effet, le contrat d’édition n’est pas figé et divers éléments peuvent être négociés concernant l’étendue de la cession des droits, notamment ceux d’adaptation en livre audio. Quoi qu’il en soit, lorsque l’éditeur se fait céder les droits audio, il a la possibilité soit de les exploiter lui-même, soit de les céder à une autre structure qui se chargera de réaliser ce livre et de l’exploiter.
- L’éditeur exploite lui-même le livre audio
Dans ce cas, il est prévu qu’un pourcentage des ventes soit versé au profit de l’auteur. Cette rémunération, fixée par l’éditeur, variera en fonction d’un certain nombre d’éléments : l’auteur, le livre, le genre, etc. S’il n’est pas possible de donner une fourchette, elle sera généralement similaire au taux appliqué pour les droits d’édition en grand format. Comme nous l’évoquions, cette rémunération n’est pas toujours prévue dans le contrat : c’est à charge pour l’auteur et l’éditeur de signer un avenant par la suite.
Mais elle peut aussi être mentionnée dans le contrat d’édition au moment de la cession, ce qui permet à l’éditeur d’informer l’auteur du projet de livre audio et de l’y associer complètement. Valérie Lévy-Soussan précise aussi que d’autres droits s’ajoutent à celui-ci, notamment les droits de traduction et les droits numériques.
Qu’en est-il de l’exploitation du livre audio au format numérique ? Il existe des règles protectrices, issues de la dernière réforme du contrat d’édition, qui permettent d’assurer une rémunération à l’auteur, y compris si l’éditeur promeut l’œuvre avec les partenaires commerciaux sur un modèle différent de l’exploitation simple à l’unité : en cas de recettes publicitaires, l’auteur y sera donc associé.
- L’éditeur cède les droits au profit d’un éditeur audio
Il s’agit d’une cession de droits au profit d’un tiers dans le cadre du contrat initial. Dans ce cas, la répartition des droits d’auteur se fait à 50 % au profit de l’auteur et 50 % au profit du premier éditeur. À nouveau, rien n’est gravé dans le marbre : la ventilation peut différer en faveur de l’auteur, s’il apporte lui-même le projet de production audio, par exemple dans le cas où il aurait noué un contact auprès d’une structure spécialisée en livres audio. Dans ce cas, il pourra toucher 60 % des droits contre 40 % à destination du premier éditeur.
- Le droit moral
En parallèle des droits patrimoniaux, l’éditeur est tenu de respecter le droit moral de l’auteur (droit extrapatrimonial et donc immatériel), qu’il exploite lui-même le livre ou qu’il cède les droits au profit d’un autre éditeur. Il a donc l’obligation d’informer l’auteur des modalités de production du livre audio, ce qui implique notamment de l’inclure dans le choix du comédien, ou de lui laisser l’opportunité de lire lui-même son livre. Dans le cas où l’éditeur exploite directement le livre audio, il est évidemment le garant premier de ce droit moral. S’il cède ces droits, il devra demander à l’éditeur tiers des garanties qui lui permettront de vérifier que le projet est bien conforme aux souhaits de l’auteur et aux siens.
Pourtant dans la pratique, comme le note Damien Couet-Lannes, l’auteur qui cède ses droits à un éditeur est rarement informé d’une production éventuelle de son œuvre au format audio. Or, l’éditeur audio engage sa responsabilité dans cette production et apporte sa valeur ajoutée artistique : mieux vaut donc stipuler en amont, dans le contrat, toutes les modalités de production pour éviter la survenue de divergences artistiques qui risqueraient de bloquer le projet.
Quand est-il lorsque l’auteur souhaite lire son texte ? Quel type de contrat entre en jeu ? Selon Valérie Lévy-Soussan, ce cas de figure concerne un auteur sur 10, une part non négligeable. La PDG d’Audiolib explique que l’auteur est alors traité exactement de la même manière qu’un interprète : son contrat d’auteur est bien distinct du contrat d’interprète, qui prévoit une rémunération variable, sous forme de salaire accompagné d’une cession de droits à travers un forfait et/ou un pourcentage. Les différences de rémunération entre auteur et comédien sont minimes, les exceptions concernant les comédiens célèbres qui disposent de peu de temps.
Enfin, qu’en est-il de la situation où l’auteur reste titulaire de ses droits audio et signe directement avec un éditeur de livres audio ? Cette situation, relativement rare, se retrouve surtout dans des domaines spécialisés, pour des titres professionnels et techniques : il n’y a pas d’exploitation audio à la base, l’auteur ayant enregistré son œuvre sur un site avant de décider de la commercialiser. S’il est titulaire de tous les droits, le contrat qui le liera à l’éditeur audio ne sera pas un contrat d’édition, mais un contrat de cession des droits d’exploitation : il l’autorise à faire le livre audio, comme le ferait un éditeur avec un éditeur tiers.
Retrouvez la suite de ce compte-rendu la semaine prochaine : qu’en est-il des enjeux juridiques du point de vue de l’éditeur ? Quel mode d’exploitation et de diffusion doit être appliqué au livre audio ?
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— Elisabeth Mol