Sophie Vandepontseele : « Le dépôt légal est un outil de concertation avec les professionnels du livre »

Les 9 et 10 mars prochains se déroulera à Bruxelles l’EPUB Summit, le rendez-vous international des professionnels du numérique. L’occasion pour Lettres Numériques de s’intéresser à ses intervenants dans une série de billets. Cette semaine, Sophie Vandepontseele, la Directrice opérationnelle des Collections contemporaines de la Bibliothèque royale de Belgique, revient sur une question au cœur du débat actuel : le dépôt légal électronique et la conservation des fichiers numériques.

Pourriez-vous nous rappeler brièvement ce qu’implique la notion de dépôt légal ?

La loi de 1965 qui institue le dépôt légal obligatoire à la Bibliothèque royale de Belgique (KBR) couvre toutes les publications belges, c’est-à-dire les publications des éditeurs domiciliés en Belgique et celles éditées à l’étranger mais dont l’auteur ou l’un des auteurs est belge. En 2006, une modification a été apportée dans la législation, précisant que les monographies doivent être déposées en deux exemplaires et étendant le dépôt légal aux publications sur supports numériques (CD, DVD, disquettes, etc.).

Mais aujourd’hui, cette loi n’est plus suffisante et un projet de loi qui vise à étendre le dépôt légal à toutes les publications numériques sur tous supports est à l’étude en Conseil des ministres.

Comment le dépôt légal pourra-t-il être adapté aux livres numériques ?

Sophie VandepontseeleL’adaptation de la loi va impliquer des changements pour les éditeurs et les professionnels du monde de l’édition et c’est la raison pour laquelle une concertation avec l’ensemble de ces acteurs est indispensable. En effet, la KBR souhaite transformer sa relation aux éditeurs : au-delà de l’application de la loi, le dépôt légal doit être envisagé comme un outil de collaboration et de valorisation des métiers de la chaîne du livre et de l’édition en Belgique.

La nouvelle loi élargit fortement le cadre car elle s’appliquera à toutes les publications en ligne et à tous les documents publiés sur les supports numériques de toute nature, de manière à anticiper les prochaines évolutions technologiques. Quant à la nature des supports, un principe de base sera établi : il devra s’agir de fichiers dans des formats ouverts et standardisés, et donc pas de formats propriétaires ou fermés, ni de fichiers protégés par des DRM (verrous électroniques, NDLR).

Se dirige-t-on vers une obligation de dépôt légal pour l’ebook ?

Si depuis 2006 le dépôt des publications numériques n’est pas du tout obligatoire et se fait sur base volontaire, cette formule disparaîtra bientôt au profit du nouvel e-dépôt, obligatoire. Le dépôt pourra se faire en même temps pour les versions papier et numérique d’un même ouvrage et le process sera uniformisé et adapté au numérique.

Que pensez-vous du choix de la Bibliothèque nationale de France qui travaille avec un robot qui réalise des collectes de fichiers numériques sur Internet ?

Pour une bibliothèque nationale, il existe deux voies d’acquisition des publications numériques : le dépôt légal et la recherche des fichiers sur les sites web, en faisant du moissonnage ou web archiving. Mais cette dernière disposition ne donne accès qu’à ce qui est gratuit, et pas du tout aux publications électroniques qui sont protégées et/ou payantes. C’est pour dépasser ce problème qu’à la KBR nous avons choisi d’instaurer, en plus du web archiving, le dépôt légal électronique.

KBR

Existe-t-il une réglementation européenne à ce sujet ?

Non, la bibliothèque nationale de chaque pays dispose de la compétence de collecter et d’archiver l’ensemble de l’édition de son territoire, mais la mise en œuvre de cette compétence dépend de la législation propre au pays. Par exemple, aux Pays-Bas, le dépôt se fait uniquement sur base volontaire, car il s’agit d’une tradition séculaire, alors qu’en France et au Royaume-Uni, le dépôt légal est obligatoire.

Comment assurer la conservation et la préservation à long terme de contenus dont les formats risquent d’être obsolètes d’ici quelques années avec l’évolution des technologies ?

Le risque zéro n’existe pas, quel que soit le format. En papier par exemple, les publications pourraient subir un dégât des eaux ou un incendie. Pour le numérique, il y a un travail à faire sur la pérennisation des fichiers et le transfert des formats pour assurer la préservation à long terme. Et en ce qui concerne le stockage des formats, nous avons investi dans une « long time preservation platform », qui permet la conservation à long terme des données des institutions fédérales.

Que pensez-vous du format EPUB dans cette optique ?

L’EPUB est le format le plus approprié pour le dépôt légal car il est ouvert et standardisé, et est adapté pour une conservation numérique à long terme. Même s’il connaît des évolutions, nous travaillerons avec EDRLab et les acteurs compétents à la maintenance des fichiers de manière pérenne.

C’est pour cette raison que j’insiste sur le fait que le dépôt légal est un outil de concertation avec les professionnels du secteur, qu’il s’agisse des bibliothécaires, des créateurs de produits numériques, des vendeurs, etc. Un dialogue permanent avec ces acteurs est indispensable pour assurer la pérennisation des fichiers.

Propos recueillis par Loanna Pazzaglia

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— Loanna Pazzaglia

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