Le numérique, une solution au stockage des livres
À l’heure où certains livres s’entassent dans les bibliothèques sans être lus durant plusieurs années, les bibliothécaires doivent réinventer l’espace en l’adaptant à nos nouvelles habitudes de consommation. Une évolution souvent soumise à des contraintes budgétaires et de stockage auxquelles le numérique peut répondre.
Une bibliothèque pleine de livres dont la moitié n’a pas été consultée depuis des années, voir des décennies. C’est le constat fait par les gérants de la bibliothèque de l’Université d’Indiana en Pennsylvanie (IUP). Grâce à des logiciels créés par le groupe Lugg, acteur dans les secteurs de la livraison et du stockage, ils ont établi une liste d’environ 170 000 livres délaissés qui devraient quitter les étagères de la bibliothèque pour être stockés dans un entrepôt situé à plus de 90 km du campus. Une décision qui relance le débat autour de la conservation du livre papier.
Le livre papier encore bien défendu
Selon Charles Cashdollar, professeur d’histoire émérite de l’IUP, limiter l’offre serait dommageable à l’apprentissage. Il déclare que « [p]our les humanistes, jeter ces livres est aussi dévastateur que verrouiller un laboratoire ou un studio ou encore la porte d’une clinique » et que « [r]éduire considérablement la collection d’imprimés d’une bibliothèque, c’est ignorer aussi le rôle de la sérendipité dans la recherche – en cherchant un livre dans les piles et en trébuchant sur un autre on fait des découvertes, menant à une nouvelle approche ». Notons que le débat sur le stockage des livres a déjà touché de nombreuses universités américaines, opposant ces dernières aux bibliothécaires, étudiants et professeurs œuvrant pour la défense du livre papier sans pour autant contester la légitimité des ebooks.
Réduire l’offre papier dans les bibliothèques est souvent nécessaire financièrement. C’est en effet un moyen efficace de répondre aux coupes budgétaires puisque le stockage d’un seul ouvrage coûte en moyenne 4 dollars annuels à une bibliothèque américaine. L’espace disponible est donc crucial pour les lieux de lecture qui doivent constamment accueillir de nouveaux titres sur leurs étagères. Au niveau de la fréquentation, les bibliothèques universitaires sont des lieux très visités, mais où les attentes du public évoluent. Les étudiants ont avant tout besoin de salles d’études, d’espaces de travail de groupe ou encore de lieux de détente. Une tendance aussi visible dans les bibliothèques publiques, utilisées plus souvent comme lieu de travail ou d’étude plutôt que d’emprunt de livres. Des évolutions pour lesquelles il faut repenser l’espace et imaginer de nouveaux aménagements.
Le numérique, une solution au stockage des livres
L’objectif des bibliothèques n’est donc pas de diminuer l’accès aux livres, mais plutôt de rendre l’offre plus pertinente et actuelle. La numérisation représente alors la solution parfaite pour conserver le savoir sans devoir le stocker physiquement dans des endroits accessibles au public. Plusieurs initiatives vont déjà dans ce sens aux États-Unis. Citons par exemple HathiTrust, un référentiel numérique travaillant avec de nombreuses bibliothèques et instituts de recherche dans la conservation de plusieurs millions de titres, ou encore l’Eastern Academic Scholars Trust, consortium de 60 bibliothèques provenant de 11 États différents ayant déjà conservé 6 millions de documents académiques. Ces outils permettent également de préserver et de diffuser le patrimoine culturel et éducatif, autre fonction phare de la numérisation.
Certains acteurs vont même plus loin quant à la réinvention des lieux de lecture. La BiblioTech en est un bon exemple, puisque ce projet ambitieux lancé en 2013 par la ville de San Antonio met à disposition des lecteurs des contenus uniquement numériques (ebooks, livres audio, vidéos, etc.), évitant ainsi les contraintes liées au stockage papier. Elle a depuis rencontré un franc succès et s’est déjà étendue dans d’autres villes de la côte sud et ouest du pays.
Qu’en est-il du territoire belge ?
Chez nous, plusieurs projets de numérisation de bibliothèques existent aussi. Nous avons déjà abordé l’exemple de la Bibliothèque royale de Belgique qui entreprend depuis plus de 10 ans de conserver sa collection de documents et d’œuvres artistiques. L’objectif : préserver le patrimoine culturel, mais aussi faciliter le travail des chercheurs et l’accès aux documents à un public éloigné géographiquement.
Plus récemment, les universités KU Leuven et UCL se sont associées dans un projet visant à numériser et mettre en ligne la collection de l’ancienne bibliothèque de l’université, qui était à l’origine une seule entité avant la scission en 1968. Bart Raymaekers, vice-recteur de la KUL, explique que « [c]es livres anciens sont conservés physiquement dans l’une ou l’autre institution, mais ils sont actuellement numérisés de manière à former à terme un nouvel ensemble commun ». La numérisation est alors utilisée comme un outil pour faciliter l’accès à ces ouvrages dispersés entre les deux universités. Une initiative qui s’intègre dans un projet plus vaste de collaboration et de rapprochement entre les deux entités entrepris depuis maintenant quelques années.
De nouveaux projets de numérisation ne cessent de se développer chaque jour dans le monde, autant pour préserver un héritage culturel que pour optimiser l’accès à la connaissance pour le plus grand nombre. Le numérique représente de par sa nature un outil de conservation et de diffusion du savoir, une belle option qui se veut complémentaire au livre papier.
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— Aude Luyckx