L’ebook se prête-t-il aux contenus culturels ? Le cas BOZAR
Le format numérique peut-il s’adapter à tous les genres ? Qu’en est-il des livres d’art que l’on se procure dans les musées ou les librairies spécialisées ? Gunther De Wit, responsable des catalogues d’exposition à BOZAR, est intervenu à ce propos lors des Rencontres de l’édition numérique, co-organisées ce jeudi 18 mai par le CRLL, l’Association des éditeurs Hauts-de-France et le PILEn. Il nous entraîne dans les coulisses de l’édition d’un catalogue d’exposition et évalue la pertinence du numérique pour ce type d’ouvrages.
Plus communément appelé BOZAR, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, situé au cœur de la ville et ouvert depuis 1928, est un centre dédié à la culture au travers de diverses disciplines (musique, arts plastiques, théâtre, danse, littérature, cinéma, architecture) et événements artistiques. Gunther De Wit y joue le rôle de coordinateur des catalogues d’exposition : avec son collègue, ils orchestrent l’édition des ouvrages de A à Z, c’est-à-dire depuis le lancement de marchés publics pour trouver un éditeur, jusqu’à la vente des ouvrages dans et hors du Palais des Beaux-Arts.
Un appel d’offre pour chaque catalogue
BOZAR est une institution publique et est donc obligé de passer par des appels d’offre lors de chaque exposition pour trouver un éditeur externe qui se charge de la production des catalogues et de leur distribution. Car les ouvrages sont non seulement vendus dans la librairie du centre culturel, mais aussi dans d’autres librairies en Belgique et à l’étranger.
Cette formule permet à BOZAR de ne pas s’embarrasser des invendus. Gunther De Wit explique : « Nous ne fixons jamais un tirage à l’avance. Nous commandons un certain nombre d’exemplaires qui seront mis en dépôt dans notre librairie et chaque exemplaire non vendu sera retourné à l’éditeur. » Elle comporte également divers autres avantages, comme un contrôle maximal du budget tout en évitant de prendre directement en charge le graphisme, l’impression ou la distribution de leurs ouvrages.
Du catalogue papier…
Le travail de Gunther De Wit consiste tout d’abord à choisir l’offre éditoriale la plus intéressante en négociant avec l’éditeur sélectionné les marges et les royalties, par exemple. Une fois qu’un accord est passé avec l’éditeur, le travail rédactionnel commence. « Nous établissons un programme avec les commissaires d’exposition, qui sont souvent les rédacteurs du contenu du livre et/ou nous commandons des textes à d’autres auteurs. »
Viennent ensuite la relecture de ces textes et leur traduction vers le français ou le néerlandais, en fonction de la langue de départ. « La traduction du contenu est systématique, même si elle peut parfois s’avérer paradoxale. Par exemple, nous préparons actuellement une série d’événements consacrés à la scène hip-hop bruxelloise (expositions, concerts, conférences), qui est principalement francophone. Malgré cela, les contenus devront aussi être traduits vers le néerlandais. »
L’importance du travail de recherche iconographique qui s’ensuit est variable selon le sujet traité : il sera plus rapide si l’artiste est encore vivant et plus complexe lorsqu’il s’agit d’une exposition de groupe, par exemple. Cette recherche s’accompagne de la mention des crédits et des droits d’images, ainsi que de la rédaction des colophons. « Nous effectuons finalement un suivi quotidien des ventes et des stocks en organisant des promotions, etc. »
… au catalogue numérique ?
Si la question des catalogues d’exposition numériques est très intéressante et s’est déjà posée à de nombreuses reprises, BOZAR n’a pas encore sauté le pas. Les principales raisons de cette réticence découlent du public encore restreint pour les beaux livres et des faibles bénéfices à gagner en comparaison aux efforts et aux investissements importants, notamment financiers, à fournir.
Selon Gunther De Wit, plusieurs possibilités peuvent être exploitées pour les livres d’art en numérique :
- soit adapter le livre au format PDF, mais la nouvelle version n’apporte presque pas de valeur ajoutée par rapport à l’imprimé ;
- soit créer un ePub avec des liens enrichis qui mènent à un contenu audio ou vidéo supplémentaire, mais cela nécessite un budget de développement considérable. Gunther De Wit ajoute : « On remarque de manière générale que les chiffres de vente d’ebooks sont moins élevés chez nous que dans les pays anglophones, et toujours plus faibles que pour les ouvrages en papier. Si cette solution convient pour la littérature, elle n’est pour l’instant pas intéressante pour le livre d’art » ;
- soit faire abstraction de tout format et lancer une publication principalement en ligne ou sous la forme d’une application.
Ce type de formule hybride est très intéressant pour les visiteurs et BOZAR l’exploite déjà, en postant des fichiers vidéo et audio sur son site web.
Un autre frein au format électronique est la notion de droits d’image : quand un ebook peut être téléchargé mondialement (ou presque), les montants de ces droits, n’étant plus limités à un territoire défini, deviennent très élevés. « En outre, ce type de publications se consacre souvent aux collections permanentes d’un musée, or BOZAR n’organise que des expositions temporaires. »
Le numérique quand même
BOZAR participe au service Arts & Culture de Google, que nous évoquions il y a quelques mois. Gunther De Wit se félicite de cette initiative qui remporte un franc succès et apporte une grande visibilité aux figures de l’art : « Le centre culturel peut ainsi mettre en avant les expositions de certains artistes, comme Daniel Buren par exemple, et être visité virtuellement. » La consultation de nombreux documents est rendue possible grâce au travail du service des archives : les œuvres qui ont été exposées sont systématiquement numérisées pour illustrer les catalogues d’exposition. Cette numérisation permet la conservation des fichiers, qui peuvent toujours resservir pour de futures publications.
Si actuellement le contexte et les options offertes par le marché ne sont pas encore favorables pour la réalisation d’un catalogue d’exposition numérique par BOZAR, Gunther De Wit reste enthousiaste et ne désespère pas de trouver une solution intéressante pour les visiteurs et viable pour l’institution culturelle. Affaire à suivre…
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— Loanna Pazzaglia