Pourquoi la lecture numérique ne séduit-elle pas la génération des « Smartphone natives » ?
Une enquête de l’Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) sur les pratiques culturelles des 8-14 ans menée en France fin 2016 montre que cette génération a fait du smartphone son moyen privilégié d’accès à la culture. Mais qu’en est-il de la lecture ? Focus sur les habitudes de la génération des « Smartphone natives ».
L’enquête de l’Hadopi a été menée auprès d’un échantillon de 63 enfants âgés de 8 à 14 ans, tous issus d’Île de France et plutôt habitués au contact de la culture : les jeunes sélectionnés devaient consommer « au moins deux biens culturels dématérialisés parmi les suivants : musique, films, séries TV, jeux vidéo et livre numérique (a minima une fois par semaine) ». Cette génération, formée d’enfants nés entre 2002 et 2008 et appelés « Smartphone natives », a toujours connu l’Internet mobile et le téléphone portable. Le smartphone est ainsi devenu leur moyen le plus courant d’accès aux biens culturels, consommés en ligne et de manière massive.
L’influence structurante de YouTube
Tout d’abord, l’enquête révèle un facteur important, commun à tous les enfants consultés : YouTube est de loin la principale clé d’entrée sur Internet, qui structure l’ensemble des pratiques des jeunes générations. Le média contribue ainsi à façonner une nouvelle manière de consommer, avec des attentes très pragmatiques en termes de modalités d’accès, qui privilégient l’instantané, la facilité, la gratuité et les formats courts.
Les livres peu évoqués
Les biens culturels dématérialisés sont donc consommés chaque jour et en abondance par les 8-14 ans, avec des moments privilégiés selon le type de bien culturel. Si la musique les accompagne tout au long de la journée, notamment à partir de 10-11 ans, les formats courts de vidéos et les jeux sur mobiles viennent plutôt les divertir dans des moments de pause ou d’attente. Comme l’explique le rapport de l’enquête, « [l]es contenus nécessitant des temps de consommation plus longs tels que films, séries TV, jeux vidéo sur console, et dans une moindre mesure les livres, peu évoqués par les enfants interrogés, sont réservés à des plages horaires adaptées, de préférence le soir, le mercredi après-midi ou le week-end ».
Le format papier plus représenté que le livre numérique
Les livres sont donc peu présents, et l’enquête révèle de plus que les livres papiers sont généralement préférés aux ebooks. Le format numérique ne semble donc pas remplacer le papier pour la plupart des enfants consultés. En effet, seulement deux filles au sein de l’échantillon ont adopté la lecture de BD en streaming sur le smartphone de leurs parents, de livres sur la liseuse Kindle de la bibliothèque municipale ou encore sur tablette, après acquisition sur une libraire numérique. L’enquête révèle ainsi que la lecture numérique est occasionnelle, se fait en général sur un mode « découverte » et ludique et est plus de l’ordre du test que du réel intérêt.
Sur base des résultats, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer la faible tendance des enfants consultés à lire sur un écran. D’abord, les formats courts sont privilégiés, ce qui cadre plus rarement avec les livres numériques. Ensuite, la gratuité d’accès est un facteur important dans le choix des biens consommés. Les contenus littéraires gratuits existent bien sûr, mais ces plateformes restent peu utilisées par les enfants. Enfin, la facilité d’accès aux livres numériques est plus discutable que pour d’autres biens culturels comme la musique, les vidéos ou les jeux.
Les ebooks autopubliés plébiscités
Un autre phénomène particulier témoigne de l’influence de YouTube sur la consommation de biens culturels, et dans ce cas-ci de livres numériques. Chez les filles de 10-14 ans, les romans et mangas d’amateurs, librement partagés sur des plateformes comme Mangadraft ou encore Wattpad, connaissent en effet un réel succès. Les avantages de ce type de contenu est qu’il est produit par et pour des pairs, qu’il garantit un accès gratuit et illimité et qu’il est possible de commenter les œuvres, de les noter ainsi que d’encourager les auteurs. De plus, des avertissements sont assortis aux livres et mangas, permettant de savoir s’ils sont adaptés ou non. Ce type de contenus est donc plus en phase avec les attentes et la consommation des jeunes, le format numérique permettant le partage et l’échange sur les réseaux sociaux, ce qui semble séduire cette tranche d’âge.
La légalité des contenus consommés
En ce qui concerne les contenus illicites, la plupart des enfants consultés ne semblent pas se poser la question de la légalité de leurs pratiques et des droits d’auteurs. Par contre, « ils expriment des craintes fortes à l’égard des dangers liés à Internet (contenu inapproprié, cyber-harcèlement, virus, etc.), certains ayant déjà été confrontés à des situations délicates. » Dans ce cadre, l’Hadopi mène depuis plusieurs années des actions de sensibilisation aux enjeux du numérique auprès des jeunes publics, pour une utilisation responsable d’Internet. Concernant les livres numériques, les contenus consommés par les jeunes sont néanmoins majoritairement légaux, ce qui contraste parfois avec les autres types de biens culturels.
Les résultats de cette enquête montrent donc que la lecture en général et la lecture numérique en particulier restent compliquées chez les enfants, ce qui pourrait poser problème à l’avenir. Néanmoins, l’offre de livres numériques est en constante évolution et si ce mouvement perdure, le marché de l’ebook pourra certainement s’adapter aux nouvelles manières de consommer des jeunes générations. N’hésitez pas à consulter le rapport complet de l’enquête, ou ce résumé qui reprend les grandes lignes de ses conclusions, pour de plus amples informations sur le sujet.
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Raphaël Dahl
— Rédaction